Neuchâtel, Musée d’art et d’histoire (MAHN)

Musée d’art et d’histoire, Neuchâtel
Esplanade Léopold-Robert 1
CH-2000 Neuchâtel
Tel.: +41 (0)32 717 79 20
mahn@ne.ch

Le fonds céramique

Roland Blaettler (avec la collaboration de Rudolf Schnyder) et Andreas Heege 2019

Avec plus de 1700 objets dans les domaines de la vaisselle et des objets décoratifs de table ou de vitrine, le fonds céramique constitue indéniablement l’un des points forts des richesses patrimoniales conservées au MAHN, et singulièrement dans le registre des productions nationales, lesquelles fournissent plus de la moitié de cet ensemble. Parmi la céramique suisse, les terres cuites engobées et glaçurées – principalement originaires du canton de Berne – sont nettement majoritaires, puisqu’elles représentent la moitié du contingent suisse. Dans cette catégorie en particulier, la collection neuchâteloise compte, aujourd’hui encore, parmi les plus grands ensembles de référence du pays.

D’une manière générale, les fonds de l’actuel Département des arts appliqués du MAHN trouvent leur origine dans les premières collections réunies par le Musée historique dès le début du XIXe siècle. En 1835, une collection d’objets liés à la vie neuchâteloise se crée, grâce aux dons stimulés par l’installation du musée au Gymnase latin. Les autorités de la ville (1838), puis celles du canton (1858), enrichiront ces fonds originels en confiant au Musée historique des objets précieux relatifs à l’histoire de la cité et une importante collection d’armes. En 1884, le Musée historique s’installait dans les murs du nouveau Musée des beaux-arts, qui deviendra Musée d’art et d’histoire en 1972. Les collections se développèrent dés lors grâce aux achats et aux dons provenant de familles neuchâteloises. C’est à cette époque que les fonds céramiques commenceront à prendre leur véritable essor, l’essentiel des acquisitions s’échelonnant grosso modo entre 1884 et les années 1920. Le cas neuchâtelois s’inscrit parfaitement dans le contexte général de l’histoire des musées suisses, et plus particulièrement des musées d’histoire, qui connaissent une première vague de fondations entre 1870 et 1914 (Lafontant Vallotton 2007, 15). Le mouvement culminera avec l’inauguration du Musée national en 1898. Dans sa monographie sur la céramique de Bäriswil, Andreas Heege constate que la plupart des grandes collections céramiques dans les musées suisses se constitueront pour l’essentiel entre les années 1880 et la fin des années 1930 (Heege et al. 2011, 61).

Rien ne prédestinait le Musée historique neuchâtelois à devenir un centre d’excellence dans le domaine céramique. Un tel développement ne peut s’expliquer à notre avis que par la présence concomitante à la tête de l’institution de trois personnalités visiblement intéressées, voire passionnées par cette discipline: Auguste Bachelin (1830-1890), qui fut le premier conservateur du Musée historique, de 1885 à 1890; Alfred Godet (1846-1902), sous-conservateur de 1886 à 1890, puis conservateur de 1890 à 1902, et Charles Alfred Michel (1854-1935), membre de la Commission du musée dès 1888, conservateur adjoint de 1905 à 1935. Si la première passion d’Auguste Bachelin fut la peinture, il ne cessa de s’intéresser à l’histoire et aux témoins matériels du passé, une inclination qui le conduisit à développer une activité de collectionneur (Calame 2001). En 1864 il fit partie de ce groupe de Neuchâtelois éclairés qui créèrent la Société d’histoire et d’archéologie de Neuchâtel et son organe, le Musée neuchâtelois. La liste impressionnante de ses contributions à cette revue fournit un aperçu saisissant de la diversité de ses centres d’intérêt. Le Bachelin collectionneur s’est visiblement épris, entre autres domaines, de la céramique. Nous en voulons pour preuve les cinquante-cinq objets qu’il offrit au musée entre 1884 et 1890.

Alfred Godet, qui avait secondé Bachelin dans l’organisation du nouveau Musée historique à partir de 1886 avant de lui succéder au poste de conservateur, était lui aussi une personnalité d’une activité débordante et pour le moins éclectique. Enseignant, dessinateur illustrateur, membre de la Commission fédérale des monuments historiques et de la Société française d’archéologie, Godet s’investira avec passion dans le développement du musée, notamment dans l’enrichissement de ses collections (Châtelain 1905). Parmi ses contributions nombreuses et variées au Musée neuchâtelois dans les domaines de l’histoire et des arts appliqués, les études vouées à la céramique régionale occupent une place de choix, tout particulièrement dans le registre de la poêlerie (p. ex. Musée neuchâtelois 1885, 1886, 1888, 1892, 1898).

Charles-Alfred Michel était assurément le plus effacé des trois personnages. Entré à la Commission du Musée en 1888, il en deviendra le secrétaire en 1895. Après la disparition de Godet, il assumera la charge de conservateur par intérim de 1902 à 1904, l’année où Paul de Pury fut nommé conservateur. Dès lors Michel dut se contenter du titre de conservateur adjoint, une fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort. Son rôle dans le développement des collections (en particulier pour la céramique et le verre) n’en demeure pas moins primordial, notamment en raison de sa longévité au sein de l’institution. Il fut probablement l’«homme de l’ombre», mais aussi celui qui avait le loisir et le goût d’approfondir les choses. Dès 1914, semble-t-il, il entreprend la rédaction du catalogue manuscrit des fonds. Dans le domaine qui nous intéresse, Michel réalisera ce travail avec une précision et des connaissances remarquables pour l’époque, alors que la littérature spécialisée n’en était qu’à ses premiers balbutiements, tout particulièrement en Suisse.

Michel publiera très peu: on retiendra surtout son catalogue de la collection de verres du Doubs du musée, paru dans l’Indicateur d’antiquités suisses (Nouvelle série, vol. 37, 1935, 259-272). Mais entre 1915 et 1935, il présenta onze communications devant la Société neuchâteloise des sciences naturelles, à laquelle il avait adhéré en 1912. Tous ces exposés traitaient des techniques céramiques ou verrières, de différentes productions européennes et même japonaises. Dans son article nécrologique de 1935, Montandon relève que Michel avait amassé des connaissances particulièrement fouillées en matière de céramique, ce qui lui conférait une autorité largement reconnue dans le domaine. C’est ainsi que dans un article fondamental sur l’histoire de la céramique suisse et à propos d’une question controversée, Hans Lehmann, directeur du Musée national de 1904 à 1936, se réfère effectivement à l’avis de Michel, «Abteilungschef für die Keramik am Historischen Museum in Neuenburg» (Lehmann 1920, 47). Dans son hommage, Montandon souligne le rôle prépondérant de Michel dans le développement de la collection de «Heimberg» (le terme étant utilisé ici comme un raccourci pour qualifier l’ensemble des productions de terres cuites bernoises): «Il parvint à en constituer une collection qui est certainement la plus belle et la plus importante de Suisse» (Montandon 1935, 241). L’intérêt de Charles Alfred Michel pour la céramique se nourrissait également de son activité professionnelle dans le cadre d’un commerce qui, parmi beaucoup d’autres choses, vendait également des antiquités et des objets utilitaires ou de décoration modernes, en particulier dans les domaines de la céramique et de la verrerie: le Grand Bazar de Neuchâtel. Entré à 14 ans au service de ce qui s’appelait alors le Bazar Humbert & Cie, Michel restera dans la maison jusqu’en 1927. En 1893 il était associé à la direction de l’entreprise dont la raison sociale s’intitulait désormais Schinz, Michel & Cie.

Si nous faisons abstraction des 10 % de céramiques pour lesquels nous ignorons tout du mode et de la date d’acquisition, il apparaît qu’entre 1885 et nos jours, 61 % des objets ont été achetés, alors que 39 % sont entrés dans la collection à la suite de dons et de legs. Une part impressionnante du fonds céramique (85 %) a été constituée avant 1935. Sur la même période, la part des achats – l’expression par excellence d’une démarche concertée de la part des responsables de l’institution – s’élève même à 66 %. La collection céramique du MAHN est donc indiscutablement le reflet d’une politique d’acquisition portée par Bachelin, Godet et Michel (ce dernier bénéficiant apparemment du soutien de son nouveau conservateur, Paul de Pury, en poste de 1904 à 1964). C’est sous leur responsabilité, entre 1885 et 1935, que la collection telle que nous la connaissons aujourd’hui s’est constituée. Symptomatiquement, les achats de céramiques semblent s’interrompre brutalement après le décès de Michel en 1935. Les seuls achats ultérieurs dans le domaine se manifesteront en 1979, 1987 et 1989.

Globalement, la collection compte quelque 850 objets d’origine suisse (51 %), la France vient en seconde position avec une part de 15 % des collections, suivent l’Allemagne (12 %), la Chine (8,5 %), la Grande-Bretagne (6,5 %), l’Italie (2 %), les Pays-Bas (1,3 %) et le Japon (1 %), le reste se répartissant entre diverses provenances européennes ou indéterminées. Quantitativement la porcelaine représente 35 % du fonds, les terres cuites 26 %, la faïence 24 %, la faïence fine 10 % et les grès 5 %.

Le fonds suisse

Parmi les productions suisses, les terres cuites – engobées ou simplement glaçurées – représentent la moitié de l’ensemble, la porcelaine 27 %, la faïence 15 %, la faïence fine 7 % et le grès 1 %. Les terres cuites des XVIIIe et XIXe siècles, majoritairement issues des campagnes bernoises, forment ainsi le cœur de la collection suisse et constituent un ensemble dont la réputation était déjà bien établie parmi les connaisseurs de la fin du XIXe siècle.

Terres cuites glaçurées et engobées   Le fonds des poteries suisses comporte quelques spécimens revêtus de glaçure verte de la fin du XVIIe ou du XVIIIe siècle, originaires du canton de Berne (poterie Vögeli à Burgdorf ?: MAHN AA 2063, MAHN AA 1308, MAHN AA 2101; poterie de Langnau : MAHN AA 1783, AA 2058, MAHN AA 1806 [incertain], MAHN AA 1266; voir Heege 2015; Heege/Kistler 2017/2), ou d’autres régions du pays (MAHN AA 1251), comme cet intéressant pot trompeur daté de 1774 (MAHN AA 2062, région de Berthoud ou Langnau ?).

Dans le chapitre des «terres cuites à fond brun», qui constitue un groupement de convenance, nous avons réuni des céramiques de diverses factures, pas toujours très lisibles (simplement revêtues d’une glaçure incolore ou brune, d’une glaçure incolore sur un fond d’engobe brun ou encore d’une glaçure brune sur engobe blanc), parmi lesquelles deux beaux exemples traditionnellement attribués à Albligen BE (MAHN AA 2040; MAHN AA 1235). Toujours dans le groupe des terres cuites engobées bernoises, les productions communément attribuées à Heimberg et Langnau se taillent la part du lion, à parts égales, puisqu’elles représentent conjointement 56 % de l’effectif global. Le reste du groupe témoigne du caractère systématique de la démarche des responsables du musée, puisqu’on y retrouve tous les grands types de céramique engobée à fond clair recensés dans le canton de Berne: des œuvres de l’atelier d’Abraham Marti à Blankenburg, avec deux spécimens remarquables dont nous supposons qu’ils représentent la phase précoce de l’activité du potier (MAHN AA 1860; MAHN AA 1858; voir Heege/Kistler 2017/1, 127-173); un bel ensemble représentatif des différentes périodes d’activité de la poterie Kräuchi à Bäriswil, auquel nous avons adjoint deux rares exemples de la production de faïence du même atelier (MAHN AA 1571; MAHN AA 1878; voir Heege et al. 2011), et de superbes exemples de ces productions à fond d’engobe blanc et à décors peints (généralement en bleu) qui furent longtemps et abusivement attribuées au Simmental et dont on ignore toujours la provenance exacte. Dans cette dernière catégorie on relèvera deux beaux spécimens de la série des plats aux armes des XIII cantons (MAHN AA 1855; MAHN AA 1856; voir Heege/Kistler 2017/1, 115-125) et trois exemples d’un autre groupe connu mais relativement restreint, celui des terres cuites engobées imitant l’ornementation des grès rhénans (MAHN AA 1258; MAHN AA 2030; MAHN AA 1172; voir Heege 2009, 41-42).

L’énorme production de terres cuites engobées de Langnau est richement illustrée dans la collection, avec notamment une belle série d’exemples de la phase polychrome précoce (des années 1720 jusqu’au milieu du XVIIIe siècle) avec leurs décors à dominantes vert et brun-rouge (voir Heege/Kistler 2017/2). Particulièrement remarquables, une verseuse rare datée de 1724 (MAHN AA 2044) et une écuelle datée de 1731 (MAHN AA 2043). Deux spécimens intéressants témoignent des efforts consentis par les potiers pour enrichir leur palette de couleurs dans les années 1740-50, notamment par l’adjonction du bleu: un plat daté de 1745 (MAHN AA 1157). La période «classique» de Langnau est représentée par de nombreux exemples, majoritairement des pièces datées et confectionnées dans les années 1780 à 1800. Relevons ici deux objets particulièrement inhabituels: une petite boîte à thé de forme rococo, visiblement inspirée de productions destinées à une clientèle plutôt urbaine, qu’elles fussent d’argenterie ou de faïence (MAHN AA 1225), et un plat daté de 1791 qui montre à l’avers un décor classique d’aigle bicéphale, tandis que le revers est orné d’une scène mystérieuse où un écureuil (?) à visage humain se réchauffe devant un brasier (MAHN AA 1166). Le bol à crème («Nidelnapf») de 1795 (MAHN AA 1210), bien qu’il ne se distingue pas par la qualité de sa facture, constitue un précieux objet de référence, dans la mesure où il est l’un des rares spécimens à porter la mention du lieu de sa fabrication. Au nombre des chefs-d’œuvre de la collection figure évidemment la superbe «coupe de mariage» datée de 1801, l’un des cinq exemples de ce type connus à ce jour (MAHN AA 3317; voir Heege/Kistler 2017/1, 267-269).

Le fonds neuchâtelois restitue une image très complète de la céramique de Langnau, dans la mesure où la phase qui suit le tournant du XIXe siècle, et qui témoigne d’une déperdition qualitative évidente dans la production de la plupart des poteries de la région, y est elle aussi abondamment illustrée. Parmi les objets témoignant d’un effort de renouvellement esthétique dans certains ateliers des années 1840 et 1850, signalons une soupière qui présente une marque de potier inédite à ce jour (MAHN AA 2055; voir Heege/Kistler 2017/2, 381-386).

Heimberg, l’autre grand centre de production bernois, est lui aussi représenté dans les différentes périodes connues de son développement (voir Heege/Kistler 2017/1, 362-508). On distingue ainsi une phase précoce – des années 1780 à 1800 –, où le fond brun laisse peu à peu la place au fond brun-noir typique (MAHN AA 3313; MAHN AA 1269; MAHN AA 3294; MAHN AA 1425; MAHN AA 3295; MAHN AA 1461; MAHN AA 1464; MAHN AA 1472; MAHN AA 1469; MAHN AA 1452; MAHN AA 1465), et une phase que l’on pourrait ici aussi qualifier de classique – entre 1800/1810 et 1840 –, pendant laquelle le décor polychrome sur fond brun-noir atteint sa pleine maturité, comme sur l’imposante cruche aux lions affrontés de 1812 (MAHN AA 2014) ou sur ce beau plat de 1823 (MAHN AA 1471). La physionomie de la céramique de Heimberg commença à se modifier radicalement dès la fin des années 1830: au fond brun-noir on préféra de plus en plus un fond beige clair, les motifs de figures humaines ou animales tendront à disparaître, la peinture se fera moins soignée et sur les pièces de forme, le décor s’enrichira d’ornements en relief. Dans la collection, cette évolution est largement documentée, en particulier par un groupe de quatre soupières, véritables pièces d’apparat (MAHN AA 2048; MAHN AA 1448; MAHN AA 1443; MAHN AA 1446). Dans les années 1850-60 on commence à distinguer plusieurs styles individualisés dans la production de Heimberg, même si leurs auteurs ne sont pas toujours identifiés. La plupart de ces styles se retrouvent dans le fonds neuchâtelois, qui compte même une pièce signée: un bol à crème de 1864 marqué «N. L.» (MAHN AA 2023).

Contrairement à leurs homologues de Langnau, les potiers de la région Heimberg- Steffisbourg sauront s’adapter au monde moderne et s’ouvrir à de nouveaux marchés, du moins pour une partie d’entre eux. Certaines poteries se développèrent pour devenir de véritables manufactures, tandis que les petits ateliers se conformaient aux modèles fournis par les grossistes. À partir des années 1873/74-1878 se développe peu à peu une catégorie de céramiques communément appelée «majolique de Thoune» ou «Vieux Thoune», destinée avant tout aux touristes étrangers (voir Heege/Kistler 2017/2, 489-501). Sur le fond brun-noir retrouvé se déclinent désormais des décors qui se réclament tantôt d’un «Heimatstil» foisonnant, tantôt d’un éclectisme orientalisant ou historiciste. Les responsables du Musée historique ont suivi cette évolution jusqu’à un certain point en acquérant plusieurs exemples de cette production contemporaine (MAHN AA 2018; MAHN AA 2150; MAHN AA 1433; MAHN AA 1449; MAHN AA 1450; MAHN AA 1420; MAHN AA 1876; MAHN AA 1989-60; MAHN AA 1989-61; MAHN AA 1992-35; MAHN AA 1416; MAHN AA 1417).

Dans l’histoire de la céramique suisse, pour ce qui touche à la technique de la terre cuite engobée, il est évident que les ateliers des campagnes bernoises ont dominé la scène, par le nombre (voir Heege/Kistler 2017/2, 45, fig. 7) et souvent aussi par la qualité ou l’inventivité de leurs ouvrages. Il est d’autant plus troublant de constater à quel point cette production considérable reste peu documentée. Pendant longtemps, le seul ouvrage de référence digne de ce nom sera la contribution de Robert Wyss, parue dans le cadre des Berner Heimatbücher en 1966 (Wyss 1966). Une publication encore trop sommaire, où l’on retrouve les grandes catégories usuelles (Langnau – Heimberg – Bäriswil – Blankenburg – Simmental – Albligen), mais une étude qui reflétait, pour la première fois, le souci d’une approche scientifique et critique du sujet. Il faudra attendre une quarantaine d’années pour voir publié un travail plus complet sur la céramique bernoise du XVIe au XIXe siècle, sous la plume d’Adriano Boschetti-Maradi (Boschetti-Maradi 2006).

L’auteur y brosse, entre autres, un profil réactualisé des productions bernoises de l’époque (technologie, typologie avant tout formelle) élaboré sur la base de collections muséales et de trouvailles archéologiques, tout en présentant une compilation renouvelée des potiers attestés dans les différentes parties du canton. Boschetti-Maradi envisage les attributions conventionnelles avec un esprit critique bienvenu, comme dans le cas du «Simmental» et de l’«Albligen». Dans l’un et l’autre cas, l’auteur relève le manque d’indices matériels et documentaires susceptibles de fonder raisonnablement ces attributions. Reprenant des réserves que Wyss avait déjà clairement formulées (Wyss 1966, 25 et 35), il suggère d’user de la plus grande prudence dans l’attribution à Langnau ou à Heimberg, des termes qu’il n’utilise pratiquement plus qu’entre guillemets, de sorte qu’ils se réfèrent davantage à des typologies qu’à des provenances géographiques précises. Il est un fait que dans les années 1730-50, plusieurs potiers venant de l’Emmental, et dont on peut supposer qu’ils avaient travaillé à Langnau, vinrent s’installer à Heimberg, où ils ont très bien pu perpétuer leur style originel. Boschetti-Maradi rappelle très justement que nous ignorons tout de l’aspect des céramiques produites à Heimberg avant 1781, la date portée par les premiers objets arborant le fond brun-noir caractéristique du style local (Boschetti-Maradi 2006, 227).

Pour notre part, nous nous en tenons aux catégories Langnau et Heimberg sans user des mêmes précautions graphiques que l’auteur précité, tout en admettant que ces termes ne sont pas forcément à prendre comme des indications géographiques strictes (pour Langnau, voir aussi Heege/Kistler 2017/2; pour Heimberg, Heege/Kistler 2017/1). Par contre, nous avons abandonné les appellations «Simmental» ou «Albligen» pour les remplacer provisoirement par la mention générique «canton de Berne».

Outre les poteries bernoises, la collection du MAHN comporte un groupe nettement plus restreint mais hautement intéressant de terres cuites engobées visiblement originaires d’autres régions du pays, témoignages de productions encore moins connues et documentées. Ici, nous avons tenté parfois de suggérer des provenances, par comparaison avec quelques rares spécimens documentés dans d’autres collections suisses ou en nous inspirant des indications fournies par Michel dans son inventaire manuscrit. Il est évident que les possibilités de recoupements se multiplieront au fur et à mesure de l’avancement de notre projet, dont on peut espérer qu’elles déboucheront sur des propositions d’attribution plus précises.

Dans ce groupe, on relèvera en particulier une très étonnante fontaine et son bassin qui ne se rattache pour l’heure à aucune typologie connue (MAHN AA 1415 et MAHN AA 3280). Elle fut achetée à Bâle et l’inventaire la décrit comme une «fontaine de sacristie». Dans l’intervalle, Andreas Heege a pu étudier des objets de comparaison dans d’autres ensembles muséaux, pour arriver à la conclusion que cette production atypique est probablement l’œuvre d’un potier bernois, actif à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle. Le corpus, relativement nombreux, comporte notamment des poteries portant des dates falsifiées et des objets complétés a posteriori. Il semblerait que le faussaire ait commercialisé ses œuvres grâce à l’intermédiaire d’un marchand bâlois (voir Heege/Kistler 2017/2, CD, fichier contenant des textes complémentaires «Langnau-Nachahmungen-Fälschungen.pdf»). Heege propose d’attribuer à ce même potier deux autres objets de la collection neuchâteloise: une lampe à huile avec la date falsifiée «1770» (MAHN AA 3281) et un bénitier recomposé (avec notamment le remploi d’un couvercle avec décor de perles typique de Heimberg – MAHN AA 1436).

Le même chapitre compte quelques rares objets dont on peut raisonnablement penser qu’ils proviennent du canton de Neuchâtel, et plus particulièrement de la poterie des Champs Girard, près de Couvet (MAHN AA 2065; MAHN AA 3289). Il ne fait aucun doute que la commune de Couvet fut un foyer d’activités céramiques au plus tard aux XVIIIe et XIXe siècles, mais il nous semble que son ampleur sera notablement exagérée par les historiens locaux dans le dernier tiers du XIXe siècle. Symptomatique de ce phénomène, le discours prononcé en 1872 par Fritz Berthoud, président de la Société d’histoire de Neuchâtel, pour inaugurer l’Assemblée générale de la société qui se tenait justement à Couvet, où l’orateur affirme que les ateliers du lieu étaient connus loin à la ronde au XVIe siècle déjà (notamment en Bourgogne), «non seulement pour [leurs] réchauds, chaufferets ou covets, mais encore par [leurs] magnifiques poêles de faïence peints aux couleurs éclatantes qui faisaient l’ornement des châteaux » (Berthoud 1872, 168). Le domaine de la poêlerie n’entre pas dans le cadre de notre travail, mais il est patent que des ateliers se distinguèrent dans cette spécialité à Couvet. Signalons simplement le beau poêle en terre cuite engobée à décor de fleurs et d’oiseaux polychromes sur fond brun-noir exposé au MAHN, signé de Henry Frédéric et de Jean Henry Borel «à Couvet». Le style de ce décor, que nous situons dans le premier tiers du XIXe siècle, se rapproche de celui que l’on peut observer sur certains récipients de la collection (MAHN AA 1231; MAHN AA 1467; MAHN AA 1768; MAHN AA 1412), pas suffisamment cependant pour que nous puissions en tirer d’autres conclusions. Quant aux «covets» mentionnés par Berthoud, nous y reviendrons plus loin (voir le chapitre «Céramiques de Couvet ? Faïences, ‘covets’ et autres terres cuites»).

Pour ce qui est des autres catégories céramiques suisses, le fonds neuchâtelois est moins somptueusement fourni. Parce que certaines de ces productions, notamment dans le domaine de la faïence, furent de courte, voire de très courte durée, et parce qu’à l’époque de la constitution de la collection, faïences et porcelaines s’échangeaient à des prix déjà nettement plus élevés que la terre cuite. On constate néanmoins, ici aussi, le souci des responsables de restituer un panorama aussi complet que possible du patrimoine national.

Faïences  –  On relèvera d’abord un ensemble particulièrement riche de cette catégorie de faïences rustiques attestée entre le début des années 1660 et le début des années 1730 et relativement répandue dans les grandes collections suisses, mais dont on ignore toujours la ou les provenances exactes (MAHN AA 3286; MAHN AA 1572; MAHN AA 1577; MAHN AA 1580; MAHN AA 1574; MAHN AA 1579; MAHN AA 1575; MAHN AA1570; MAHN AA 1573; MAHN AA 1827; MAHN AA 1174; MAHN AA 1173; MAHN AA 2151; MAHN AA 1820; MAHN AA 1811; MAHN AA 1576; MAHN AA 1601; MAHN AA 1578). Comme beaucoup d’autres céramiques bernoises qui posaient un problème d’attribution à l’époque, on a rangé ces faïences dans la rubrique «Simmental» dès les années 1880. Une classification que l’on retrouve encore chez Wyss quatre-vingts ans plus tard, l’auteur admettant toutefois qu’une telle attribution reposait essentiellement sur la tradition et n’était soutenue par aucune preuve documentaire (Wyss 1966, 15-23). Le seul fait qui semble établi est que ces céramiques sont originaires du canton de Berne, les trouvailles archéologiques tendant à prouver qu’elles étaient essentiellement diffusées dans le canton, de l’Oberland jusque dans la région de Moutier, dans le Jura bernois (on consultera à ce propos deux études parues dans l’intervalle: Frey 2015, 221-248 «Dünnglasierte Fayence»; Heege/Kistler 2017/1, 106-113). Ces faïences relèvent indéniablement d’une pratique artisanale, par opposition aux processus plus élaborés mis en œuvre dans le cadre des manufactures, avec notamment le phénomène de la division du travail; c’est la raison pour laquelle nous avons choisi de les regrouper sous le terme générique de «faïences de potier». Par leurs formes et leurs décors elles s’apparentent indéniablement à certaines productions de terres cuites engobées à fond clair, avec lesquelles elles tendent parfois à se confondre. Il nous semble probable qu’un seul et même atelier pouvait pratiquer les deux types de techniques: terre cuite engobée et faïence stannifère, voire une combinaison des deux – une couche sous-jacente d’engobe permettant d’économiser le coûteux étain qui entre dans la composition de l’émail de faïence.

La collection du MAHN compte une seule faïence de Winterthour (Heege/Kistler 2017/1, 81-99), une belle coupe sur pied à l’effigie du Printemps et que nous datons des années 1630-1640 (MAHN AA 1522). La cité zurichoise est également connue pour ses terres cuites engobées à fond clair rehaussées de décors peints dans un style similaire à celui des faïences locales. La collection en compte quelques exemples que nous avons regroupés par commodité avec la faïence susmentionnée (MAHN AA 2069; MAHN AA 2068; MAHN AA 2067).

Au chapitre de la faïence suisse du XVIIIe siècle, c’est évidemment la manufacture de Zurich-Schooren, celle qui connut la production la plus durable et donc la plus importante, qui est la mieux représentée, avec quelques exemples rares et de belle qualité, comme ce flambeau (MAHN AA 1944) dont on connaissait surtout la version en porcelaine (MAHN AA 2303), cette saucière à décor floral (MAHN AA 1565) ou une soupière rehaussée d’un décor «à la haie» (MAHN AA 1564). Les faïences bernoises, éminemment plus rares, ne sont représentées que par deux spécimens, mais de la plus haute tenue et uniques en leur genre: un pot-pourri en trompe-l’œil de la manufacture Frisching provenant de la collection zurichoise de Heinrich Angst (MAHN AA 1867), et un plat à bordure rocaille et décor floral en qualité fine, probablement issu de la manufacture Willading (MAHN AA 1520).

Selon nos critères actuels, le MAHN ne conserve aucune faïence des manufactures de Hünerwadel ou de Frey à Lenzbourg. Ses fonds recèlent par contre toute une série d’objets qui étaient attribués à Lenzbourg au moment de leur acquisition, un phénomène qui s’observe dans la plupart des autres collections du pays et même à l’étranger. Ce quiproquo céramologique prendra une ampleur toute particulière à propos des produits de la manufacture de Jacques Chambrette à Lunéville (MAHN AA 1672; MAHN AA 1669; MAHN AA 1373; MAHN AA 1665; MAHN AA 1666; MAHN AA 1667; MAHN AA 1668; MAHN AA 1666; MAHN AA 1664).

Le fonds neuchâtelois est relativement riche en faïences fribourgeoises (voir Maggetti 2007, où le corpus neuchâtelois n’a pas été pris en compte), plutôt rares dans les collections muséales, avec un exemple de la manufacture de François Camélique (MAHN AA 2089) et six spécimens issus de la fabrique de François-Charles Gendre (MAHN AA 1676; MAHN AA 1671; MAHN AA 1677; MAHN AA 1875; MAHN AA 1874; MAHN AA 1885). On se rappellera à ce propos qu’à la fin du XIXe siècle, les productions fribourgeoises n’avaient toujours pas été identifiées. Au début des années 1930, par exemple, le service aux armes de la famille de Gléresse de Gendre était attribué à Frisching de Berne, et c’est bien avec cette étiquette que les deux exemples neuchâtelois sont entrés dans la collection (MAHN AA 1875; MAHN AA 1874); quant aux autres objets fribourgeois, ils furent acquis comme faïences «suisses», «de Lenzbourg» ou encore «de Beromünster». Signalons pour la petite histoire qu’en 1958, dans le cadre de l’exposition «Vingt siècles de céramique en Suisse» présentée au château de Nyon, la production de Camélique – souvent marquée «FC» – sera attribuée à une hypothétique manufacture de Couvet (Nyon 1958, 22). Nous reviendrons plus loin sur le mythe de la faïence de Couvet, au chapitre de la faïence allemande.

Quant aux faïences réalisées par Andreas Dolder à Beromünster puis à Lucerne, elles sont représentées par deux pots de pharmacie probablement relativement tardifs, provenant eux aussi de la collection Angst (MAHN AA 3337; MAHN AA 3338). Ces deux exemples relèvent peut-être de la phase lucernoise de l’atelier, pour laquelle on n’a identifié à ce jour qu’une seule production de poêles.

La collection comporte aussi quelques faïences isolées, très probablement d’origine suisse, dont deux exemples qui semblent se rattacher à des ateliers de poêliers de la région Neuchâtel-La Neuveville (MAHN AA 1881; MAHN AA 1799).

Porcelaines    Le groupe des porcelaines de Zurich-Schooren dénote encore une fois une volonté de restituer une image aussi complète que possible de la production en question, du moins dans le registre de la vaisselle. On notera d’abord un ensemble acquis en 1891 (apparemment un service recomposé) qui comporte quelques beaux exemples de peinture florale relativement précoces (MAHN AA 2319; MAHN AA 2318; MAHN AA 2317; MAHN AA 2316). Dans la même veine, trois objets rejoindront le fonds à l’occasion d’un don consenti en 1995 (MAHN AA 1995-2; MAHN AA 1995-1; MAHN AA 1995-3). Parmi les spécimens qui sortent de l’ordinaire, signalons encore le plateau rehaussé d’un imposant bouquet peint dans le style qui prédomine dans le célèbre service offert par les autorités zurichoises au couvent d’Einsiedeln en 1776 (MAHN AA 2378).

La porcelaine de Nyon est représentée avant tout par des exemples plutôt courants, malgré l’intérêt particulier que Michel semble avoir développé pour cette manufacture dans la dernière partie de sa carrière. Dans sa nécrologie, Léon Montandon relève en effet qu’outre les poteries bernoises, «il s’intéressa aussi à la porcelaine de Nyon» (Montandon 1935, 241). La grande majorité des achats dans ce domaine interviennent entre 1903 et 1935, alors que les exemples de meilleure qualité étaient devenus rares et coûteux. Parmi les objets remarquables figure le sucrier de la maréchale von Roll à Soleure, parfaitement représentatif des services de table de première qualité produits par Nyon vers 1790, une période où la manufacture avait atteint sa pleine maturité (MAHN AA 2390). À relever également le bol à bouillon acquis en 1910 avec un présentoir dépareillé (MAHN AA 2452; MAHN AA 2453); une tasse et sa soucoupe, ornées d’un monogramme «MP» qui pourrait, si l’on se réfère à la provenance des objets, désigner un membre de la famille de Pury (MAHN AA 2416). Particulièrement intéressants, ces trois spécimens donnés par Jean de Pury en 1905 pour l’un et par Domique de Montmollin en 1996 pour les deux autres (MAHN AA 2456; MAHN AA 1996-1), trois objets dont on peut supposer qu’ils proviennent d’un seul et même ensemble originel: des pièces de réassortiment commandées à Nyon pour compléter un service en porcelaine chinoise d’importation («Compagnie des Indes»).

Faïences et faïences fines du XIXe siècle    Nous avons regroupé ces deux types de produits céramiques, pour la simple et bonne raison qu’ils étaient parfois pratiqués en parallèle dans une seule et même manufacture, comme à Kilchberg (ZH) et à Matzendorf (SO). Les manufactures de faïence fine de Nyon et de Carouge sont illustrées par des ensembles relativement basiques et peu nombreux. Visiblement, les responsables de la collection n’étaient pas particulièrement intéressés par ces productions déjà fortement marquées par l’industrialisation, les quelques acquisitions dans le domaine sont plutôt tardives, puisqu’elles interviennent surtout en 1914 et 1932.

Les produits issus des établissements installés à Kilchberg (ZH), dans les lieux-dits du «Schooren» et du «Böndler» sont mieux représentés, mais presque essentiellement dans le registre de la faïence. Kilchberg abritera deux manufactures sur son territoire au XIXe siècle, tandis que deux autres s’installeront dans la commune voisine de Rüschlikon.

Au Schooren, Mathias Neeracher (1756-1800) avait repris l’ancienne manufacture de faïence et de porcelaine en 1792 pour s’y consacrer essentiellement à la fabrication de faïences, de faïences fines et de vaisselle à cuire brune. À son décès, sa fille Anna Magdalena hérita de l’entreprise, avant de la vendre à la seconde épouse de Neeracher, Anna Herdener. Cette dernière épousera en secondes noces le président de commune de Kilchberg, Hans Jakob Nägeli (1772-1830), lequel se rendit acquéreur de la manufacture en 1802. Il  renoncera très vite à la production de faïence fine, probablement dès 1804. Son fils Johann Jakob (mort en 1860) reprendra le flambeau en 1830. Confronté à de sérieuses difficultés financières, ce dernier dut se résoudre à fermer l’entreprise en 1849. Sa sœur Louise Nägeli reprit l’établissement, qui entrait ainsi dans une phase de transition dont nous ne savons pratiquement rien. En 1858, Louise vendit le terrain et les installations à Johann Jakob Staub (1825-1897) qui poursuivit la production sur une plus petite échelle jusqu’à sa mort. Ses héritiers mettront un point final à l’entreprise en 1907. Les bâtiments furent transformés en résidence de campagne en 1919, avant d’être démolis sans autorisation en 2002 (Matter 2012, 14-17).

Dès 1820, au lieu-dit du Böndler, une deuxième fabrique fut inaugurée par Johannes Scheller père; elle sera déplacée au Schooren en 1835. Johannes Scheller fils reprendra les rênes de l’entreprise après le décès du fondateur, en 1846. En 1847/48, il introduira la production de faïence fine. La manufacture Scheller cessa ses activités en 1869 (Matter 2012, 17)

À Rüschlikon, deux autres fabriques de faïence de dimensions plus modestes virent le jour dans les années 1830: celle de Jakob Fehr, active de 1832 à 1866, et celle des frères Abegg, qui ne produira que quelques années, de 1836 à 1842 (Matter 2012, 17).

Toutes ces productions sont relativement homogènes, que ce soit par leurs formes et leurs décors, et aujourd’hui encore il n’est pas toujours aisé de les différencier (Schnyder 1990). À première vue, l’ensemble neuchâtelois se compose essentiellement d’objets attribuables aux deux manufactures de Kilchberg. Dans les cas où il n’est pas possible de trancher, nous avons adopté l’intitulé «Kilchberg» (soit Nägeli au Schooren, soit Scheller au Böndler, avant 1835) ou «Kilchberg-Schooren» (soit Nägeli, soit Scheller, après 1835).

La manufacture de Matzendorf, dans le canton de Soleure, fut créée en 1798 à l’instigation de Louis von Roll (1771-1839), membre éminent d’une famille patricienne soleuroise qui se distinguera sur plusieurs siècles dans l’histoire industrielle de la Suisse. Selon toute vraisemblance, sa production de faïence et de faïence fine fut viable dès 1800 environ. Les derniers exemples datés de faïence fine remontent à 1820; quant à la faïence, elle connut une destinée plus durable puisqu’elle se maintiendra au moins jusqu’en 1884, l’année où l’entreprise entra définitivement dans l’ère industrielle sous la dénomination de Thonwarenfabrik Aedermannsdorf (voir, entre autres, Vogt et al. 2000; Schnyder 2008). La production soleuroise n’atteindra jamais, et de loin, l’ampleur de celle des fabriques zurichoises, du moins dans le registre de la faïence décorée. Les objets qui s’y rattachent sont donc assez rares dans nos musées, surtout pour la période antérieure aux années 1840-50. Dans ce contexte, l’ensemble conservé au musée de Neuchâtel est remarquable, avec notamment trois exemples rarissimes en faïence fine (MAHN AA 2213; MAHN AA 1697; MAHN AA 1696) et un spécimen précoce en faïence avec un décor inédit (MAHN AA 1930 et 1931), que nous avons retrouvé sur un deuxième objet conservé dans le canton, au Musée régional du Val-de-Travers (MRVT No 70).

Le fonds européen

L’enthousiasme des responsables du musée pour la chose céramique ne s’arrêta point aux frontières nationales, mais s’ouvrit également à l’Europe – prioritairement aux pays voisins – et même, comme nous le verrons, à l’Asie. Cette ouverture débouchera en général sur des résultats plus modestes que dans le champ de la céramique nationale, l’accès aux objets étrangers étant évidemment moins direct. On verra plus loin que le musée entretenait des contacts épisodiques avec quelques antiquaires allemands, mais pour l’essentiel la collection européenne se constitue d’objets qui se trouvaient probablement sur le territoire national depuis un certain temps déjà, et qui reflètent d’ailleurs, dans les grandes lignes, ce que nous savons de l’histoire des importations céramiques en Suisse aux XVIIIe et XIXe siècles.

Au vu de l’effort consenti par le musée pour le développement des fonds suisses, on comprend aisément que son engagement dans le secteur européen soit resté plus mesuré: si dans le domaine de la faïence suisse, par exemple, les achats représentent 75 % des acquisitions, ils ne comptent que pour 40 % dans le développement des fonds de faïence française et allemande. Et l’on retrouve à peu près les mêmes proportions dans le registre de la porcelaine. On remarquera aussi qu’un certain nombre d’objets étrangers – en particulier dans les domaines de la faïence française et allemande – ne sont entrés dans les fonds que parce qu’ils étaient attribués à l’époque à des centres de production nationaux, comme nous le verrons plus loin. D’une manière générale, le fonds européen, par le fait qu’il reposait davantage sur les dons, prendra un profil moins cohérent que le fonds suisse.

Faïence française   –  Ce segment des collections est caractérisé par une prédominance spectaculaire des faïences de l’Est, conformément à ce qui s’observe dans d’autres collections suisses, en particulier le long du Jura et sur le Plateau. Ces régions constituaient en effet un débouché naturel pour les innombrables manufactures établies en Franche-Comté, en Alsace et jusqu’en Lorraine. Les importations prendront une ampleur considérable dans les années 1750-60, à une époque où la production indigène était quasi inexistante ou du moins largement insuffisante pour couvrir les besoins d’une population toujours plus sensible à la mode de la vaisselle en faïence (Schnyder 1973). Les deux grandes manufactures qui se distinguèrent de la manière la plus prégnante dans ce contexte furent celle des Hannong à Strasbourg, pour le segment supérieur du marché, et celle de Jacques Chambrette à Lunéville, qui proposait également des produits plus avantageux, essentiellement décorés selon la technique du grand feu.

La collection ne compte que neuf faïences de Strasbourg, parmi lesquelles cinq exemples remarquables: une fontaine d’applique présentant une forme répertoriée mais rehaussée ici d’un décor inédit (MAHN AA 1336), une aiguière classique de la période de Paul Hannong (MAHN AA 1337), une assiette d’aspect relativement modeste mais d’un type rarissime (MAHN AA 1389), une saucière à décor de «fleurs des Indes» (MAHN AA 1380) et une terrine en trompe-l’œil en forme de chou (MAHN AA 1279). L’aiguière et la saucière portent la même marque de peintre: «IHK». On remarquera au passage que cette marque avait été interprétée, peu avant l’acquisition des objets, comme appartenant à J. H. C. Klug, l’un des associés de Marx Hünerwadel, le fondateur de la première manufacture de Lenzbourg qui commença son activité en 1762 (Lehmann 1920, 38-39, 43 et 53). Dans la foulée, Hans Lehmann proposait d’attribuer à Lenzbourg des faïences ornées de «fleurs des Indes» dans le genre de notre saucière. Cette attribution erronée – on rappellera ici que Lehmann fut le premier auteur à tenter de brosser une histoire de la faïence de Lenzbourg – explique-t-elle la présence de ces objets strasbourgeois à Neuchâtel ? Difficile de trancher.

La question est plus claire pour ce qui concerne les faïences de Lunéville, dont le musée possède une douzaine de spécimens (MAHN AA 1672; MAHN AA 1669; MAHN AA 1373; MAHN AA 1665; MAHN AA 1668; MAHN AA 1666; MAHN AA 1664; MAHN AA 1405; MAHN AA 1795; MAHN AA 1358; MAHN AA 1357; MAHN AA 1359). Dans le même article, en effet, Lehmann attribuait à Lenzbourg plusieurs types de faïences particulièrement répandus dans les collections du pays: des objets ornés de décors en violet de grand feu, notamment le fameux décor «à la grue» (MAHN AA 1669; MAHN AA 1665; MAHN AA 1668; MAHN AA 1664), de motifs de «fleurs des Indes» en polychromie de grand feu (MAHN AA 1672; MAHN AA 1373) ou de petit feu (MAHN AA 1795), ou encore de décors à la rose pourpre de petit feu (MAHN AA 1358; MAHN AA 1357; MAHN AA 1359). Les anciens inventaires indiquent clairement qu’une partie au moins de ces faïences furent effectivement acquises comme étant des produits de Lenzbourg.

Ce quiproquo céramologique, qui semble se cristalliser dans l’article de Lehmann avant d’être conforté et développé trente ans plus tard par Siegfried Ducret (Ducret 1950), ne sera levé qu’en 1973, sous la plume de Rudolf Schnyder. Partant du simple constat que la petite manufacture de Hünerwadel, dont on savait entre-temps qu’elle n’avait guère duré plus d’une année, n’aurait jamais été en mesure de réaliser une production aussi nombreuse et variée, Schnyder proposa d’attribuer cette dernière à la manufacture de Jacques Chambrette, à Lunéville. Un établissement dont on savait l’importance, qui avait en son temps bénéficié du soutien prestigieux de Stanislas Leszczynski, mais dont on n’avait toujours pas identifié la totalité de la production. Par la suite, l’origine lorraine de ces faïences sera définitivement confirmée grâce à des recherches dans les archives de la manufacture, à des comparaisons avec des objets documentés ou encore à des analyses archéométriques (voir notamment Bastian et Bastian 2009, 70-71; Rosen et Maggetti 2012, 39-60). On notera au passage que les productions de la manufacture de Jacques Chambrette sont notamment attestées dans les trouvailles archéologiques provenant de dépotoirs situés en ville de Berne (Heege 2010, 68, fig. 51).

Les créations de Lunéville auront un impact considérable sur nombre de petites manufactures, en Lorraine mais aussi en Franche-Comté, lesquelles réinterpréteront avec plus ou moins de précision les formules décoratives imaginées dans l’établissement de Chambrette. Parmi ces œuvres dérivées, elles aussi fort répandues en Suisse, on distingue un groupe stylistiquement cohérent et fréquemment doté d’une marque interprétée tantôt comme un «9», tantôt comme un «g». Avec Rudolf Schnyder nous proposons d’attribuer cette production relativement typée à la manufacture de Claude Gautherot, active à Boult (Haute-Saône) entre 1752 et 1772 (MAHN AA 1288; MAHN AA 1289; MAHN AA 1280; MAHN AA 1769; MAHN AA 1282; MAHN AA 1285; MRVT No 96; MRVT No 79; MAHN AA 1286; MAHN AA 1281; MHLCF No 7; MAHN AA 1797). Voir à ce propos le chapitre consacré à «Boult, Manufacture de Claude Gautherot».

Les autres régions de France sont représentées dans la collection par des exemples plus isolés. Comme ce spécimen inédit et spectaculaire en faïence de Meillonnas (Ain) de la fin du XVIIIe siècle: une fontaine de table avec un décor polychrome inspiré des motifs de grotesques de Moustiers (MAHN AA 1291; MAHN AA 3355). À relever également, cette écuelle probablement parisienne, avec un décor de lambrequins bleus d’une qualité exceptionnelle (MAHN AA 1275), ou encore cette autre écuelle à décor de Chinois de la manufacture Leroy, à Marseille (MAHN AA 1339).

Faïence allemande  –  Sensiblement moins important en nombre que le contingent français, le groupe des faïences allemandes n’en compte pas moins une soixantaine d’objets, avec un ensemble relativement important de faïences à décors bleu et blanc issues des manufactures du sud de l’Allemagne (en particulier Hanau et Nuremberg). Il est désormais bien établi, notamment grâce à un certain nombre de trouvailles archéologiques, que ce type de céramiques était abondamment exporté vers les territoires helvétiques. Mais la forte présence de ce genre de faïences dans la collection neuchâteloise s’explique aussi par un autre quiproquo céramologique: les inventaires du musée nous apprennent en effet qu’un nombre non négligeable de ces objets étaient considérés comme des produits suisses au moment de leur acquisition, et qu’ils furent intégrés aux fonds avec l’étiquette «Vieux Zurich» (MAHN AA 1516; MAHN AA 1861; MAHN AA 1545; MAHN AA 1888; MAHN AA 1542; MAHN AA 1527; MAHN AA 1889; MAHN AA 1891; MAHN AA 1546; MAHN AA 1541; MAHN AA 1523), «Suisse orientale» (MAHN AA 2125 ) ou «Winterthour» (MAHN AA 1861), des attributions qui ne seront corrigées que bien plus tard par des connaisseurs de passage.

Les faïences de Durlach ou de Mosbach, dans le Bade-Wurtemberg, constituent un autre groupe relativement important (MAHN AA 1382; MAHN AA 3342; MAHN AA 1904; MAHN AA 1921; MAHN AA 1927; MAHN AA 1920) et qui fera lui aussi l’objet d’attributions erronées. Nous reviendrons sur ce phénomène, proprement neuchâtelois cette fois-ci, à propos du Musée régional du Val-de-Travers.

Faïence italienne    Le seul exemple illustrant l’art de la majolique italienne du XVIe siècle est un beau plat – certes fragmentaire – décoré à Venise par le «peintre de l’Éloquence» (MAHN AA 1758). Bien qu’endommagé, l’objet était visiblement apprécié à sa juste valeur puisque l’un de ses anciens propriétaires avait pris le soin de le cercler d’une baguette métallique. Au vu de la nouvelle forme – étonnamment symétrique – du plat, on doit supposer que l’auteur du montage aura sacrifié une partie plus ou moins importante du récipient original. Le petit groupe des faïences italiennes comprend en outre une série d’exemples de Deruta, la plupart ornés des décors stéréotypés à motifs de grotesques qui furent produits en masse dans la première moitié du XVIIe siècle (MAHN AA 1727; MAHN AA 1725; MAHN AA 1739; MAHN AA 1729; MAHN AA 1728; MAHN AA 1737; MAHN AA 1738; MAHN AA 1740). La plupart de ces exemples furent acquis à l’occasion d’une «vente Léon Berthoud» organisée à Neuchâtel en 1892. Le peintre neuchâtelois Rodolphe Léon Berthoud (1822-1892) avait très probablement ramené ces faïences d’Italie, qu’il visita une première fois en 1845, avant de travailler à Rome.

Parmi les objets plus tardifs on relèvera deux jolis exemples de Castelli, dont un gobelet apparemment décoré par l’un des maîtres faïenciers du lieu, Carmine Gentili (MAHN AA 1718; MAHN AA 1719), ainsi que deux chevrettes attribuables à une manufacture encore peu connue, fondée à Venise en 1769 par le célèbre Geminiano Cozzi (MAHN AA 3336; MAHN AA 3335). On notera au passage un plat à décor floral de la manufacture Ferretti à Lodi, acquis en 1932 avec la mention «Lenzbourg» (MAHN AA 1667).

Faïence hollandaise   L’énorme production des multiples manufactures de Delft est représentée par quelques spécimens classiques, voire basiques (MAHN AA 1599; MAHN AA 1507; MAHN AA 1514; MAHN AA 1509; MAHN AA 1515; MAHN AA 1512; MAHN AA 1528; MAHN AA 1511; MAHN AA 1501; MAHN AA 1513; MAHN AA 1510). Deux objets sortent du lot: une petite assiette à décor d’inspiration chinoise, issue de l’un des meilleurs établissements du lieu, la manufacture du «A Grec» (MAHN AA 1599) et un modèle de traîneau des années 1740-60 (MAHN AA 1528).

Grès allemand   La quasi-totalité de ce petit groupe, parfaitement représentatif des produits qui furent abondamment importés du Westerwald entre le dernier quart du XVIIe et le premier quart du XVIIIe siècle, est entrée dans la collection par le biais d’achats (MAHN AA 2282; MAHN AA 3364; MAHN AA 2277; MAHN AA 3372; MAHN AA 2281; MAHN AA 3368; MAHN AA 2278; MAHN AA 3365; MAHN AA 2279; MAHN AA 3371; MAHN AA 2280; MAHN AA 2292; MAHN AA 2291; MAHN AA 3366; MAHN AA 2286; MAHN AA 3367; MAHN AA 3369; MAHN AA 3370; MAHN AA 2289; MAHN AA 2285; MAHN AA 2287; MAHN AA 2293; MAHN AA 3319; MAHN AA 2284; MAHN AA 2288; MAHN AA 1748; MAHN AA 1752). Quatre pichets du XVIIe siècle tardif se distinguent par des décors plus élaborés, des monogrammes de commanditaires, voire par un motif daté (MAHN AA 2276; MAHN AA 2283; MAHN AA 3320; MAHN AA 2274).

On notera par ailleurs que toutes ces formes de grès sont attestées – en petites quantités mais régulièrement – dans les trouvailles archéologiques provenant de dépotoirs urbains sur le territoire suisse pour la période 1600-1850. On y retrouve le même répertoire de formes – extrêmement limité dans sa diversité – en ce qui concerne les récipients dévolus au service et à la consommation des boissons, cruches, pichets ou chopes (Heege 2009).

Porcelaine allemande    Pour illustrer la porcelaine de Meissen, les responsables de la collection ont acheté quelques exemples relevant surtout de la production courante. Six assiettes et une corbeille à décors de style «Kakiemon» et provenant probablement d’un même service sont entrés par don en 1912 (MAHN AA 2783; MAHN AA 2816). La plupart des grandes manufactures germaniques sont représentées, parfois par un seul objet (Fürstenberg, Nymphenburg – MAHN AA 2720; MAHN AA 2841), parfois par un petit groupe d’exemples de qualité variable: Höchst (MAHN AA 2724; MAHN AA 2725; MAHN AA 2722; MAHN AA 2721; MAHN AA 2727; MAHN AA 2723), Frankenthal (MAHN AA 2824; MAHN AA 2825; MAHN AA 2826), Ludwigsburg (MAHN AA 2758; MAHN AA 2759; MAHN AA 2763; MAHN AA 2764; MAHN AA 2760; MAHN AA 2766; MAHN AA 2765; MAHN AA 2761; MAHN AA 2767; MAHN AA 2762; MAHN AA 2812; MAHN AA 2769; MAHN AA 2768; MAHN AA 2771) et Ansbach (MAHN AA 2845; MAHN AA 2843; MAHN AA 2844). On signalera plus particulièrement un service à boire incomplet de Frankenthal qui présente des formes néo-classiques inédites à notre connaissance (MAHN AA 2716; MAHN AA 2717; MAHN AA 2718; MAHN AA 2719).

Comme on pouvait s’y attendre, le passé prussien de Neuchâtel a laissé des traces dans ce segment des fonds germaniques du musée: les porcelaines de la Manufacture royale de Berlin forment en effet le groupe le plus nombreux et le plus remarquable d’un point de vue qualitatif. Sept objets revêtent ici une portée historique: une coupe sur pied (MAHN AA 4120) et six tasses accompagnées de leurs soucoupes (MAHN AA 2926; MAHN AA 2925; MAHN AA 2923; MAHN AA 2921; MAHN AA 2924; MAHN AA 2922). Des cadeaux offerts par Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse et prince de Neuchâtel, au comte Louis de Pourtalès, conseiller d’État de Neuchâtel, en remerciement pour les services rendus à l’occasion du voyage du souverain en Suisse et à Neuchâtel en 1814 et de celui du prince royal, le futur Frédéric-Guillaume IV, en 1819. Commandés spécialement pour l’occasion, ces objets uniques – pour ce qui est de l’ornementation – furent rehaussés de sujets de circonstance, basés sur des modèles gravés suisses et exécutés par des peintres de grande qualité.

De fort belle venue également, ces deux vases aux effigies du maréchal Blücher et du prince von Hardenberg, dont nous n’avons pu éclaircir la provenance (MAHN AA 2813; MAHN AA 2814). Plusieurs tasses et soucoupes aux effigies des souverains témoignent de l’attachement de l’aristocratie locale à la maison de Prusse et constituent des exemples typiques de ce genre d’objets-souvenirs (MAHN AA 3849; MAHN AA 2754; MAHN AA 2755; MAHN AA 2933; MAHN AA 2934; MAHN AA 2740; MAHN AA 2739).

Porcelaine française    Hormis quelques exemples dus à la manufacture lorraine de Niderviller (MAHN AA 2664; MAHN AA 2673; MAHN AA 2687; MAHN AA 2679), cet ensemble se constitue majoritairement de porcelaines issues de manufactures établies à Paris ou dans la région parisienne. Relevons d’abord deux récipients en porcelaine tendre de Saint-Cloud (MAHN AA 2657; MAHN AA 2658), des modèles certes classiques mais pas tellement fréquents dans les collections suisses. La manufacture royale de Sèvres est représentée par quelques spécimens relativement basiques et par une tasse et une soucoupe plus intéressantes, datées de 1789, dont le décor montre un militaire au repos, un sujet probablement en rapport avec les événements qui secouaient la France à ce moment crucial de son histoire (MAHN AA 2617). Les fabriques parisiennes sont documentées par des exemples de la production courante, qui offrent notamment un aperçu des mille et une variations possibles autour du thème du bleuet (MAHN AA 2641; MAHN AA 2638; MAHN AA 2647; MAHN AA 2534; MAHN AA 2663; MAHN AA 2636; MAHN AA 2642). Plus rares, un surtout de table, probablement incomplet, de la manufacture Locré à Paris (MAHN AA 2606; MAHN AA 2607; MAHN AA 2608; MAHN AA 2609; MAHN AA 2610; MAHN AA 2611; MAHN AA 2612), ainsi qu’un service rehaussé d’un décor de papillons, dont la marque était inconnue jusqu’à ce jour des spécialistes de la porcelaine de Paris (MAHN AA 2381; MAHN AA 2389; MAHN AA 2387; MAHN AA 2382; MAHN AA 2383).

Faïence fine et grès fin européens    En matière de faïence fine anglaise, le musée possède notamment de nombreux reliquats de deux services (ou d’un service mixte) des manufactures Wedgwood et Neale en provenance d’une seule et même famille neuchâteloise. Un ensemble constitué de modèles basiques et qui, de toute évidence, fut couramment utilisé (MAHN AA 2156; MAHN AA 1935; MAHN AA 1934; MAHN AA 1936; MAHN AA 1965; MAHN AA 1942; MAHN AA 1968; MAHN AA 1961; MAHN AA 1958; MAHN AA 1979; MAHN AA 1992; MAHN AA 1967). Les maisons Neale et Wedgwood sont également représentées par des grès fins, en particulier du type «Black basalte» qui fut en vogue dans toute l’Europe dès la seconde moitié du XVIIIe siècle (MAHN AA 1607; MAHN AA 1612; MAHN AA 1609; MAHN AA 1611; MAHN AA 1608; MAHN AA 1613; MAHN AA 2600; MAHN AA 1614). La popularité de ces grès noirs inventés par Wedgwood était telle que de nombreuses manufactures, notamment en France, se mettront à concurrencer cette spécialité anglaise (MAHN AA 1332; MAHN AA 1329 et 3353; MAHN AA 1325; MAHN AA 1327; MAHN AA 1330; MAHN AA 1326).

Dans le domaine de la faïence fine française et allemande, on retrouve à Neuchâtel les mêmes types que dans d’autres collections suisses. Des produits majoritairement issus des manufactures françaises de l’Est, de Creil ou de Montereau (MAHN AA 1365; MAHN AA 1370; MAHN AA 1369; MAHN AA 1324; MAHN AA 1993-8; MAHN AA 1368; MAHN AA 1367; MAHN AA 1378), ou des fabriques de Zell et de Schramberg dans le Bade-Wurtemberg (MAHN AA 1992-61; MAHN AA 1992-47; MAHN AA 1992-42; MAHN AA 1992-41; MAHN AA 1992-46; MAHN AA 1786). Toutes ces productions annonciatrices de l’industrialisation furent importées en quantité dans une bonne partie de la Confédération dès la fin du XVIIIe et dans la première moitié du XIXe siècle. On relèvera au passage une rare et belle cafetière à décor polychrome de la célèbre manufacture Boch à Septfontaines, au Luxembourg (MAHN AA 1505).

Le fonds asiatique

L’essentiel des céramiques chinoises et japonaises appartenant à la Ville de Neuchâtel est aujourd’hui conservé au Musée d’ethnographie, ces objets seront donc évoqués plus loin, dans le chapitre consacré à cette institution. On remarquera cependant que la moitié de ce fonds avait été constitué avant 1904, l’année où les collections ethnographiques furent définitivement séparées des collections historiques pour être installées sur un site propre. Après la séparation des fonds, dès les années 1920, le Musée historique reconstituera un ensemble de porcelaines chinoises (quelque 150 objets) et japonaises (une quinzaine), surtout grâce à des dons et des legs. On y trouve des exemples basiques de porcelaine d’importation à décors bleu et blanc ou «Famille rose», datant principalement des règnes des empereurs Kangxi (1661-1722) ou Qianlong (1736-1796). L’objet le plus remarquable est sans conteste un plat de porcelaine chinoise décoré aux Pays-Bas, avec un motif qui fait probablement référence au mariage du prince Guillaume IV d’Orange et de la princesse Anne d’Angleterre en 1734 (MAHN AA 2881). Les récipients céramiques ornés de représentations à la gloire de la maison d’Orange étaient très prisés aux Pays-Bas et en Angleterre, et ce dès le XVIe siècle. Mais le présent exemple se distingue par la richesse de son ornementation; on n’en connaît qu’un deuxième exemplaire, lequel est toujours conservé aux Pays-Bas. Dans le petit groupe des porcelaines japonaises, elles aussi destinées aux seuls marchés d’exportation, signalons enfin une imposante terrine de style «Imari» polychrome (MAHN AA 2908).

Le fonds moderne

Dans la chronique annuelle qu’il publiait dans l’Indicateur d’antiquités suisses de 1899 (cahier 3, 153), Alfred Godet signale «[…] de nombreuses pièces de verrerie, de porcelaine et de faïence modernes, œuvres […] que nous conservons, en tiroirs fermés, pour la postérité. Nous nous sommes dit, je crois avec raison, que les beaux produits de l’art moderne […] deviendraient rares un jour et que nos descendants nous seraient reconnaissants de leur avoir conservé certaines pièces qu’il est déjà, à l’heure qu’il est, impossible de se procurer». Une attitude aussi prospective est assurément inhabituelle dans le cadre d’un musée historique, qui plus est à cette époque. À regarder de plus près le contingent somme toute relativement modeste d’un point de vue numérique des céramiques modernes du musée, on constate qu’une majorité de ces objets relèvent de la tradition de la terre cuite engobée bernoise – et singulièrement de la région de Heimberg/Steffisbourg – et constituent en quelque sorte le prolongement naturel de la collection historique. Dans une veine plus résolument moderniste on signalera quelques grès de Paul Bonifas (MAHN AA 2238; MAHN AA 2241; MAHN AA 2242; MAHN AA 2243; MAHN AA 2244), des exemples de faïences et de grès français de style Art nouveau (MAHN AA 2314; MAHN AA 1044; MAHN AA 2313; MAHN AA 3329), des porcelaines de Langenthal (MAHN AA 2604; MAHN AA 2649; MAHN AA 2640; MAHN AA 2691; MAHN AA 2692; MAHN AA 2693; MAHN AA 2694) et un ensemble de faïences de Marcel Noverraz à Carouge, entrées beaucoup plus tardivement dans les fonds (MAHN AA 1992-95; MAHN AA 1992-76; MAHN AA 1992-77; MAHN AA 1992-75; MAHN AA 1992-86; MAHN AA 1992-79; MAHN AA 1992-78).

Relevons ici un objet particulièrement important pour le patrimoine artistique neuchâtelois: le spectaculaire vase décoré par le peintre neuchâtelois Gustave Jeanneret (1847-1927) dans le cadre de sa collaboration avec la Faïencerie Laurin à Bourg-la-Reine (MAHN AA 2028).

Toujours dans le domaine neuchâtelois, il convient de citer quelques objets issus d’un atelier local totalement tombé dans l’oubli: celui du céramiste Vincent Diana à Champ-du-Moulin, actif entre 1899 et 1905 environ (MAHN AA 1321; MAHN AA 1320; MAHN AA 2072; MAHN AA 1870; MAHN AA 2084). Ce cas particulier est développé dans le chapitre «Champ-du-Moulin (Boudry) NE, L’atelier de Vincent Diana (1899-1905)».

De la provenance des objets du MAHN: antiquaires et collections particulières

Grâce à l’inventaire rédigé par Charles Alfred Michel dans les années 1914-1920, nous avons une assez bonne image des circonstances dans lesquelles la majorité des objets céramiques du MAHN furent intégrés à la collection. Les achats se faisaient en règle générale auprès d’antiquaires. À Neuchâtel, nous avons relevé le nom de Ferdinand Beck, qui faisait commerce de monnaies, de médailles, de gravures, d’antiquités lacustres, de porcelaines et d’argenterie, à l’enseigne du «Bazar de Jérusalem» (selon des annonces publicitaires parues dans le Messager boiteux, notamment dans les années 1890). Il fournira une soixantaine d’objets au musée entre 1887 et 1911, surtout des terres cuites engobées bernoises et des porcelaines de Nyon.

Un autre fournisseur local d’importance fut le Grand Bazar, avec une cinquantaine d’objets vendus entre 1891 et 1919 (des poteries de Heimberg, de la porcelaine de Zurich, des céramiques orientales et surtout des productions modernes, suisses et étrangères). Ce célèbre commerce neuchâtelois était l’émanation d’un magasin d’objets d’art, doublé d’une galerie d’exposition, inauguré en 1825 à la rue de l’Hôpital par Frédéric Jeanneret et Henri Baumann, où l’on trouvait surtout peintures, gravures et statuettes diverses. Par la suite, l’entreprise connaîtra plusieurs raisons sociales et déménagera d’abord à la rue du Trésor (1830), puis à la place du Port (1862), dans le bâtiment qui abritera plus tard la Brasserie du Théâtre. Dans l’intervalle, l’assortiment s’était notablement étendu, à la papeterie, à la vannerie, aux porcelaines et aux cristaux. En 1882, la raison sociale devint «Schütz et Schinz». Onze ans plus tard, Charles Rodolphe Schinz s’associa à Charles Alfred Michel, qui travaillait dans la maison depuis vingt-cinq ans. En 1895 «Schinz, Michel & Cie» fit creuser le sous-sol de l’immeuble de la place du Port pour y aménager un département spécifiquement dédié aux porcelaines et aux cristaux.

Le commerce ne cessait de prospérer, si bien qu’en 1909 il investit un immeuble construit par Schinz père au numéro 10 de la rue Saint-Maurice, où il occupera pas moins de cinq étages. Quatre niveaux étaient voués à la parfumerie, la papeterie, la pharmacie, la lustrerie, les bijoux, la maroquinerie, les articles de sport et de voyage, les fournitures pour la pratique du dessin et de la peinture, les porcelaines anciennes, les jouets, les articles de ménage, les articles de Chine et du Japon, sans oublier les «articles pour les étrangers». Quant au premier étage, il était réservé à la porcelaine et aux cristaux (Grand Bazar 1909). La céramique – qu’elle soit ancienne ou contemporaine – avait donc pris une place de choix dans le riche assortiment proposé par cette enseigne, probablement sous l’influence grandissante de Charles Alfred Michel. Le Grand Bazar était ouvert aux nouveautés les plus modernes dans le domaine qui nous intéresse, c’est ainsi qu’il fut l’un des premiers distributeurs du céramiste genevois Paul Bonifas (MAHN AA 2238; MAHN AA 2241; MAHN AA 2242; MAHN AA 2243; MAHN AA 2244). Sous l’impulsion de Michel, l’entreprise collaborait par ailleurs avec l’industrie céramique en commandant des modèles spécifiques, dans le registre du souvenir touristique (MAHN AA 1277) ou de l’objet commémoratif, par exemple avec les plats conçus en collaboration avec l’héraldiste neuchâtelois Maurice Tripet (MAHN AA 1606; MAHN AA 2061; MAHN AA 3360) ou encore avec ce plat illustrant le château d’Oberhofen, qui était alors propriété de la famille neuchâteloise des Pourtalès (MAHN AA 1764).

Pour constituer son important fonds de terres cuites engobées bernoises, le MAHN eut recours à plusieurs marchands établis dans le canton de Berne. Émile Bader à Bienne vendra une vingtaine de céramiques entre 1910 et 1914. Nachtigall à Interlaken et un certain Jaquet à Berne fourniront quelques objets, probablement lors de transactions uniques, en 1887 pour le premier et en 1910 pour le second. Si bien qu’on peut se demander si ces deux personnages étaient des marchands ou simplement des particuliers.

Parmi les antiquaires qui jouèrent un rôle déterminant dans le développement du fonds céramique il faut mentionner J. Jasselin à Berne, qui était spécialisé dans le commerce de céramiques et de mobilier anciens et qui tenait boutique à la Kramgasse, comme le précise son inscription dans l’Adressbuch der Stadt Bern de 1896. Ainsi que le relevait déjà Andreas Heege (Heege et al. 2011, 61; Heege/Kistler 2017/2, 24-25), Jasselin était une figure connue dans le milieu et même de la population de l’Emmental. Dans son ouvrage sur la céramique de Langnau publié en 1928, Emil Aeschlimann raconte que les anciens se souvenaient encore du personnage et comment il arpentait sans cesse la vallée, échangeant les vieilles poteries contre des casseroles et des pièges à rats (Aeschlimann 1928, 9). Le musée lui acheta une quarantaine d’objets entre 1896 et 1919, surtout de Langnau et de Bäriswil, en général des exemples de qualité, de même que quelques spécimens de faïence suisse et européenne.

Schumacher de Langenthal, un autre fournisseur de premier plan, apparaît dans l’inventaire pour les années 1913 à 1934, principalement pour ce qui touche aux productions de Langnau, Heimberg et Bäriswil (une quarantaine d’objets). Entre 1887 et 1890, Heinrich Messikommer à Wetzikon (ZH) vendit quelques objets au musée, en particulier des grès du Westerwald. Hors les frontières nationales, les responsables firent ponctuellement affaire avec des marchands allemands. En 1889, Neumann à Nuremberg leur procura quelques porcelaines allemandes et les trois terres cuites brunes de Bayreuth (vendues à l’époque comme étant des grès de Böttger à Meissen, MAHN AA 1632; MAHN AA 1638). En 1934, Göhringer à Fribourg-en-Brisgau vendra quelques faïences lorraines et échangera une assiette en porcelaine de Zurich contre une «corbeille moderne de Berlin». Chez A. S. Drey, un antiquaire réputé de Munich, on se procura – probablement en 1903 – les deux seules figurines en porcelaine de Zurich de la collection, en échange de deux statuettes de Nymphenburg (MAHN AA 2352; MAHN AA 2353).

Une trentaine d’objets, des terres cuites suisses et bernoises, mais surtout des «faïences de potier» seront achetés entre 1887 et 1922 auprès d’un personnage haut en couleur et qu’il serait abusif de classer parmi les antiquaires, du moins officiels: Ludwig Gerster (1846-1923), le pasteur de Kappelen près d’Aarberg (BE). Non content d’assurer consciencieusement son ministère, cet étonnant homme d’église exerçait aussi ses talents d’ébéniste, achetant des meubles anciens pour les revendre après restauration ou pour en confectionner des reproductions, en tout bien tout honneur. Il sera aussi l’un des premiers en Suisse à s’intéresser sérieusement à l’art de l’ex-libris après qu’Alfred Godet, le conservateur du Musée historique de Neuchâtel, lui eut rendu visite en 1893 pour s’enquérir de ce genre de documents (Türler 1923, 207). Gerster se prit au jeu et finit par devenir, en l’espace de quelques années, non seulement l’un des fournisseurs de Godet en la matière mais aussi l’un des meilleurs spécialistes de l’époque dans un domaine encore relativement peu étudié. Les ex-libris l’amenèrent bientôt à s’occuper de questions d’héraldique, et à publier régulièrement dans les pages des Archives héraldiques suisses (Aeberhardt 1933). L’âge venant, le pasteur se détournera de l’ébénisterie pour apprendre l’art de la reliure ! Gerster collectionnait les antiquités et il est fort probable qu’il ait également fait office de «rabatteur» pour l’un ou l’autre collectionneur de ses connaissances. Apparemment, il entretenait des contacts avec le musée neuchâtelois bien avant la fameuse visite de Godet puisque, à en croire l’inventaire, les trois premières céramiques lui furent achetées dès 1887. La majorité des transactions prendront place entre 1904 et 1921. Türler force évidemment le trait quand il écrit dans sa nécrologie que «la belle collection de poteries de Langnau et de Heimberg du Musée historique de Neuchâtel provient majoritairement de la collection de Gerster» (Türler 1923, 208), à moins que les antiquaires susnommés ne se soient eux aussi approvisionnés auprès du pasteur !

Parallèlement aux antiquaires, les collections privées constituaient une autre source d’objets, souvent de belle qualité parce que choisis avec le regard exigeant de l’amateur averti. Dans l’histoire du fonds céramique du MAHN, ce cas de figure est illustré de manière exemplaire par l’acquisition d’une partie de la collection d’Édouard de Reynier à Berne en 1887. Édouard (1828-1907) était le fils d’un commerçant neuchâtelois aisé, Henry de Reynier (1792-1876), et de Sophie, née Beaujon. Grâce à un confortable héritage qui lui était venu de son beau-père, Henry avait remis son commerce de drap pour vivre de ses rentes, à Neuchâtel puis à Anet, avant de s’établir à Berne en 1862. Quant à son fils, il partira à Paris en 1847 pour y poursuivre ses études. Il y mènera surtout une vie dispendieuse, profitant à outrance des largesses paternelles. De retour à Berne, Édouard acheta la villa Mon Terrier, sise au 73 de la Rabbentalstrasse, dans le quartier de l’Altenberg, où il continua à mener grand train. Selon l’auteur de la chronique familiale, il travaillait occasionnellement en qualité de correspondant pour l’un ou l’autre journal et comme «antiquaire amateur» (Reynier 2006, 97-99). Avec le temps, l’argent vint à manquer sérieusement et, en 1887, de Reynier fut contraint de vendre sa villa. La même année, il se séparera d’une partie de sa collection, apparemment à l’occasion d’une vente publique, du moins en ce qui concerne la céramique. Le solde de cet ensemble remarquable sera acquis en bloc par le Musée historique de Berne en 1907 (Heege et al. 2011, 61; Heege/Kistler 2017/2, 23).

Le Musée historique de Neuchâtel acquit une cinquantaine de pièces lors de la vente de 1887, en partie avec le concours d’un donateur, Frédéric de Perregaux, qui finança l’achat de quelques-uns des plus beaux spécimens de la collection en matière de terres cuites engobées (MAHN AA 3309; MAHN AA 2044; MAHN AA 3317; MAHN AA 2032). Parmi les objets achetés par le musée avec ses moyens propres, on compte surtout des terres cuites de Langnau et Heimberg, des «faïences de potier» et des grès du Westerwald. Dans les registres de l’institution, quelques acquisitions provenant de la collection de Reynier sont datées de 1888. On ignore s’il s’agit d’une erreur dans l’inventaire, si une seconde vente eut lieu en 1888 ou s’il s’agit d’acquisitions subséquentes d’objets invendus lors de la vente de 1887.

Une autre collection de haut vol, et singulièrement dans le domaine céramique, fut celle de Heinrich Angst (1847-1922) à Zurich. Angst se distingua comme collectionneur et marchand d’objets d’art, avant de devenir le premier directeur du Musée national suisse, de 1892 à 1903. Mieux que quiconque, il sut pressentir le potentiel de la céramique ancienne nationale (porcelaine de Zurich, faïence de Winterthour et autres) et contribua largement à sa valorisation, d’un point de vue culturel et commercial. Entre 1878 et 1885, il amassera plus de 1500 objets dans le seul registre céramique, à une époque où ce type d’objets était encore relativement peu recherché. Il ne cessera d’augmenter cette collection qui deviendra le plus grand ensemble du genre jamais réuni par un particulier en Suisse (Lafontant Vallotton 2007, 62; Heege/Kistler 2017/2, 23-24). De par ses connaissances du domaine, Angst fut chargé d’organiser la partie céramique de la section «Art ancien» de l’Exposition nationale de 1883. Plus tard, pour meubler les salles du Musée national inauguré en 1898, il prêtera des pans entiers de ses collections, avant de les céder à l’institution en 1903 à l’occasion d’une transaction qui mêlait habilement vente et donation. On peut dire que Heinrich Angst fut pour une grande part à l’origine de la redécouverte de l’histoire de la céramique suisse à la fin du XIXe siècle, et surtout à l’origine du collectionnisme dans ce domaine. Un mérite non dénué d’ambiguïté, tant il est vrai que l’engagement du personnage semble constamment et largement nourri par des préoccupations mercantiles, même à l’époque où il dirigeait le Musée national.

Les responsables du musée neuchâtelois ont-ils été inspirés par les efforts déployés par Angst pour valoriser la céramique suisse, notamment dans le cadre de l’Exposition de 1883 ? Toujours est-il qu’ils connaissaient l’homme et la collection, et lorsque Angst mit en vente une partie de cette dernière en 1909 à Zurich, ils tentèrent leur chance et finirent par acquérir le superbe pot-pourri de Frisching (MAHN AA 1867), deux intéressantes salières en faïence de Zurich (MAHN AA 1525), une assiette de même provenance (MAHN AA 1552), deux pots de pharmacie attribués à Dolder (MAHN AA 3337; MAHN AA 3338) ainsi qu’une terrine de Lunéville, attribuée à l’époque à Lenzbourg (MAHN AA 1669). Nous savons par ailleurs que Heinrich Angst entretenait également des relations commerciales avec la maison Schütz & Schinz à Neuchâtel, autrement dit le Grand Bazar (Lafontant Vallotton 2007, 109). Il n’est donc pas exclu que les plus beaux spécimens en porcelaine de Zurich dans la collection neuchâteloise, acquis chez Schütz & Schinz en 1891, soient eux aussi issus de la collection Angst (MAHN AA 2318; MAHN AA 2319; MAHN AA 2317; MAHN AA 2316).

Angst était lié à un autre collectionneur zurichois, Alfred Siegfried (mort en 1909). Marchand de soie pour la firme Nägely & Cie, Siegfried s’établira à Marseille puis à Lausanne. Le musée lui achètera deux intéressantes porcelaines de Höchst (MAHN AA 2724; MAHN AA 2275), une rare saucière et une très belle terrine en faïence de Zurich (MAHN AA 1565; MAHN AA 1564), ainsi que cinq assiettes à décors imprimés et un pot à lait en porcelaine de la même manufacture.

Auguste Bachelin, pour qui le Musée historique était «un rêve de [sa] vie», avait rassemblé dans sa demeure de Marin une collection considérable d’antiquités neuchâteloises qu’il destinait en grande partie à l’institution en devenir (Schnegg 1974, 174-176). Bachelin ne se passionnait pas que pour les objets en lien direct avec Neuchâtel, son intérêt s’étendait bien au-delà des frontières régionales, en particulier dans le domaine céramique. Les dons qu’il fit au musée – surtout dans les années 1885 et 1886, alors même que l’on installait les collections historiques dans leurs nouveaux locaux – comprenaient des terres cuites d’origine suisse; des faïences suisses, allemandes, mais surtout françaises; deux porcelaines de Zurich et différents types de céramique d’Angleterre, de Delft et de Chine, sans oublier plusieurs spécimens de productions contemporaines. On notera au passage que le musée fit l’acquisition de deux faïences à l’occasion d’une «vente Bachelin» organisée à Marin en 1891, quelques mois après son décès, probablement par la famille du défunt.

Nous évoquerons plus loin la place de la céramique dans les collections personnelles de Théodore Delachaux, à propos des fonds du Musée d’ethnographie. En 1910, il vendra une trentaine de céramiques bernoises au Musée historique, des terres cuites de provenances indéterminées, mais surtout des plats de Heimberg. Toujours au chapitre des collections neuchâteloises, il convient de revenir ici sur les céramiques ayant appartenu au peintre Léon Berthoud et acquises par le musée lors d’une vente mise sur pied au lendemain de sa mort en 1892: les sept faïences de Deruta, que l’artiste avait probablement ramenées de ses séjours en Italie, et une intéressante fontaine en faïence provenant peut-être d’un atelier de la région (MAHN AA 1799). Par ailleurs, une vingtaine d’objets – où l’on retrouve quelques spécimens de Deruta, mais aussi des faïences de l’Est de la France – furent donnés dans les années 1920-30 par Paul Vouga (1880-1940), conservateur des collections archéologiques, ou par son épouse.

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Matter 2012
Annamaria Matter (éd.), Die archäologische Untersuchung in der ehemaligen Porzellanmanufaktur Kilchberg-Schooren. Keramikproduktion am linken Zürichseeufer (1763–1906). Monographien der Kantonsarchäologie Zürich 43. Zurich 2012.

Montandon 1935
Léon Montandon, Charles-Alfred Michel (1854-1935), in: Bulletin de la Société neuchâteloise des sciences naturelles 60, 1935, 241-242.

Nyon 1958
Vingt siècles de céramique en Suisse, cat. d’exposition Château de Nyon. Nyon 1958.

Reynier 2006
Philippe de Reynier, Chronique familiale: les Reynier. De Dieulefit en Dauphiné, au XVIe siècle, à Neuchâtel en Suisse, au XXIe siècle. Neuchâtel 2006.

Rosen et Maggetti 2012
Jean Rosen et Marino Maggetti, En passant par la Lorraine… Un nouvel éclairage sur les faïences et les «terres blanches» du Bois d’Épense/Les Islettes, de Lunéville et de Saint-Clément. Keramik-Freunde der Schweiz, Mitteilungsblatt 126, 2012, 1-115.

Schnegg 1974
Alfred Schnegg, Auguste Bachelin dans la cité. Musée neuchâtelois 1974, 169-176.

Schnyder 1973
Rudolf Schnyder, Fayencen 1740–1760 im Gebiet der Schweiz. Zurich 1973.

Schnyder 1990
Rudolf Schnyder, Schweizer Biedermeier-Fayencen. Schooren und Matzendorf. Sammlung Gubi Leemann. Berne 1990.

Schnyder 2008
Rudolf Schnyder, Die Ausstellung “200 Jahre Matzendorfer Keramik” von 1997 im Historischen Museum Olten. Keramik-Freunde der Schweiz, Mitteilungsblatt 121, 2008, 5-66.

Türler 1923
Heinrich Türler, Pfarrer Ludwig Gerster 1846–1923. Neues Berner Taschenbuch 29, 1923, 204-213.

Vogt et al. 2000
Albert Vogt, Marino Maggetti et Giulio Galetti, 200 Jahre keramische Industrie in Matzendorf und Aedermannsdorf 1798–1998. Matzendorf 2000.

Wyss 1966
Robert Ludwig Wyss, Berner Bauernkeramik. Berner Heimatbücher 100–103. Berne 1966.