Nyon VD, Manufacture de porcelaine – Chronologie relative de la production

MAG AR 05607

Roland Blaettler 2019

Nous ne connaissons à ce jour que deux objets portant une date: la trembleuse du Musée Ariana signée du peintre Étienne Gide en 1796 et ornée de deux scènes champêtres d’après Debucourt et Taunay (MAG AR 05607) et un médaillon, signé et daté «J. Pernaux, den 16. Febr. 1792», jadis publié par Siegfried Ducret et cité par Pelichet (Ducret 1962; Pelichet 1985/1, 30).

 

Selon Pelichet, Johann Joseph Hubert Pernaux (né en 1772), le fils de Jean Pernaux, tourneur à Ludwigsburg, est attesté à Nyon en qualité de peintre entre 1786 et 1801 (Pelichet 1985/1, 30). Contrairement à la trembleuse, le médaillon ne porte pas la marque au poisson.

Les anciens documents comptables de la manufacture sont sans aucun secours avant 1793, à une exception près: le Grand Livre de 1787 à 1794 permet de dater les tasses portant les silhouettes de la famille de Moïse Bonnard en l’occurrence de 1789 (MHPN MH-PO-2280; MHPN MH-PO-2281; MHPN MH-PO-2282; MHPN MH-PO-2283; MHPN MH-PO-2284; MHPN MH-PO-2285).

Pour les périodes subséquentes, le Journal des années 1793 à 1801 est certes plus loquace s’agissant de la nature des objets commercialisés, mais éminemment lacunaire. Comme le constate Laurent Droz, ce document ne mentionne que les ventes au comptant à la date du bilan et une partie des ventes opérées par les dépositaires (Droz 1997,  46). Quand ces ventes sont détaillées, la description des décors n’est pas toujours suffisamment précise.

Dans le cas des motifs personnalisés (chiffres, armoiries), les livres permettent parfois de définir une fourchette chronologique de quelques années, par exemple pour les commandes passées par des clients importants tels que Anna Pieri Brignole-Sale (MHPN MH-2008-48) ou Georg Gustav de Wrangel (MHPN MH-PO-1423 et -1422; MHPN MH-2007-150).

Depuis un certain nombre d’années déjà, nous tentons d’établir une chronologie relative de la production de Nyon en nous basant presque essentiellement sur l’étude détaillée des objets, eu égard à l’extrême rareté des indices documentés. Notre approche prend en compte un maximum de critères matériels: nature du tesson (sa couleur en lumière réfléchie, sa translucidité en lumière transmise), forme, décor, dorure et conformation de la marque. Nous essaierons, dans les pages qui suivent, de décrire ce qui constitue à nos yeux les caractéristiques propres à chaque étape du développement de la production. C’est la première fois que nous publions le fruit de nos observations, lesquelles se rapportent en priorité au corpus présenté dans cet ouvrage. Une démarche telle que la nôtre doit être considérée comme une approche évolutive, susceptible d’être constamment réajustée au gré d’éventuelles trouvailles. Les «bornes» chronologiques que nous proposons dans nos datations sont donc à prendre comme des données provisoires.

Le travail sur le présent corpus nous a d’ailleurs permis de préciser quelques critères, comme ces types de marque désormais attestés pour les années 1784/85 grâce à la découverte du «service Cuénod» (MHPN MH-2013-117; MHPN MH-2013-113M; MHPN MH-2013-112E ; MHPN MH-2013-106; MHPN MH-2013-105B; MHPN MH-2013-111; MHPN MH-2013-101; MHPN MH-2013-108A; MHPN MH-2013-104; MHPN MH-2013-102; MHPN MH-2013-110; MHPN MH-2013-109; MHPN MH-2013-103; MHPN MH-2013-107).

L’étude de certains décors moins courants nous incite à penser qu’ils correspondent probablement à des commandes isolées, documentées donc datées dans les livres de comptes (MHPN MH-PO-3906; MHPN MH-PO-2868; MHPN MH-2015-95; MHPN MH-PO-3230).

L’identification du service commandé par Maria Anna von Roll semble par ailleurs se confirmer, la date de mort de la patricienne soleuroise, 1795, permettant de fixer un terminus ante quem pour les objets concernés (MHPN MH-2007-200; MHPN MH-PO-4232; MCAHL 30021; MAHN AA 2390).

Dans la mesure du possible, nous avons confronté notre corpus aux informations livrées par les anciens documents comptables, essentiellement pour les années après 1793. Les livres de comptes permettent aussi de situer assez précisément l’apparition d’une série de décors tardifs (après 1795) et des formes qualifiées de «nouvelles» dans les stocks de la manufacture (voir plus bas).

Les premières années, 1781-1785

Dans une lettre envoyée à Leurs Excellences de Berne en février 1787, Ferdinand Müller expliquait qu’après avoir obtenu des autorités bernoises une dispense de droits de douane en août 1785, les responsables de la manufacture avaient fait construire un nouveau four de manière à accroître le volume de production et «pour rendre la fabrique plus permanente» (De Molin 1904, 29). Dans un mémoire daté du 23 mars et adressé aux mêmes autorités, Müller revient sur les investissements consentis en 1785 en ces termes: «Après un essai en petit, il [le suppliant] développa sa fabrication…» (De Molin 1904, 40).

Les formes

Dans notre classification chronologique, les toutes premières années, avant 1785 – celles qui pourraient correspondre à l’«essai en petit» évoqué par Müller – se distinguent par des formes souvent de dimension plutôt modeste, avec des anses rondes simples, des prises de couvercle modelées en forme de fruit, comme sur les sucriers et les pots à jus (MHPN MH-PO-4278; MHPN MH-2007-193; MHPN MH-2007-162B; MHPN MH-PO-1443). Les mêmes types de prises et d’anses sont attestés sur les bols à bouillon précoces (MHPN MH-PO-4241; MHPN MH-PO-1315 et -1314; MHPN MH-2015-96).

Les toutes premières théières sont de très petite dimension et présentent un corps sphérique (MHPN 2015-116; MHPN MH-2015-117; SNM LM-61686); assez rapidement cependant apparurent des théières de grandeur plus conventionnelle et qui relèvent du type «litron», à panse cylindrique, mais avec une épaule arrondie, un goulot de section ronde et une anse en pointe (MHPN MH-PO-4287). Le Musée Ariana conserve un modèle de transition qui présente le même corps et la même épaule arrondie, mais avec un goulot à pans coupés et une anse ronde à poucier en forme de languette (MAG AR 10671). Cette théière annonce une nouvelle forme qui semble apparaître vers 1785: corps cylindrique, épaule oblique légèrement arrondie, goulot à six pans, anse ronde à poucier en forme de languette.

Le Musée Alexis Forel conserve un spécimen précoce de ce nouveau type (MAF C 519), qui se maintiendra jusqu’à la fin de la production, moyennant quelques modifications cosmétiques.

Les cafetières présentent une panse piriforme dès le début; dans un premier temps, l’anse est ronde (MHPN MH-PO-1411; MAG 018257), puis en pointe, comme sur la théière (MHPN MH-2015-168; MHPN MH-1999-49; MHPN MH-PO-4288; MHPN MH-2015-153). Les prises des couvercles en forme de fruit sont assez rapidement remplacées par la forme en pomme de pin qui se maintiendra pratiquement tout au long de la production (par exemple MHPN MH-1999-47; MHL AA.MI.2142). Les pots à crème ou à lait présentent d’abord une panse bursiforme reposant sur trois pieds moulurés rocaille, anse ronde (MHPN MH-PO-4289), sur des modèles plus hauts, on rencontre des anses en pointe (MHPN MH-2015-97; MHPN MH-2008-9) ou des anses hautes carrées (MHPN MH-PO-1433; MAG AR 10692). Les boîtes à thé sont dès le début de forme cylindrique, avec une épaule d’abord arrondie, à la manière des premières théières «litron» (Gonin 2018a, fig. p. 12), puis avec une épaule oblique (MHPN MH-PO-1432); elles ne subiront, pour ainsi dire, aucune modification dans les périodes suivantes, si ce n’est un départ plus anguleux de l’épaule. À propos des boîtes à thé, les comptes nous apprennent que la manufacture les livrait souvent munies de couvercles métalliques.

Les tasses sont soit campaniformes avec une anse ronde (MHPN MH-PO-1593 et -1594; MHPN MH-2015-130) soit de type «litron» – appelées «gobelets» dans les livres de comptes – mais avec un profil tronconique relativement marqué; ici également, les anses sont d’abord rondes et lisses (MHPN MH-PO-3229; MHPN MH-2007-169; MHPN MH-2008-1A; MCAHL 29356). Les tout premiers bols pour la consommation des boissons chaudes – en principe le thé – sont relativement bas et munis d’une lèvre évasée (MHPN MH-PO-1406; MHL AA.VL 88 C 463) très vite, leur paroi s’élèvera et leur bord deviendra droit (MHPN MH-2007-198; MHPN MH-2015-165); les soucoupes correspondantes sont relativement profondes (MHPN MH-PO-1346 et -1347).

Les trembleuses, dites «déjeuners à la Reine» dans les livres de comptes, sont généralement légèrement tronconiques et munies de deux anses, lesquelles présentent dans un premier temps une forme arrondie à pointe (SNM LM-52049; Gonin 2017, fig. 42), puis une forme carrée avec attache supérieure à décrochement (MHPN MH-2007-154; MHPN MH-2005-100); ces anses rectilignes ont presque toujours subi une déformation en cours de cuisson. Les sucriers, d’abord de forme hémisphérique (MHPN MH-PO-4278), adoptent assez rapidement un profil cylindrique, d’abord avec un culot arrondi et un couvercle bombé (MHPN MH-1999-47; MHPN MH-PO-4286); le culot oblique, qui deviendra la règle, s’impose déjà dans la même période (MCAHL 30027). Les pots à jus du début sont relativement élancés, avec une anse ronde simple et un couvercle à prise modelée en forme de fruit (MHPN MH-2007-193; MHPN MH-2007-162B; MHPN MH-PO-1443).

Les bols à bouillon, appelés «écuelles» dans les archives de la manufacture, conformément à la terminologie utilisée dans les fabriques françaises, sont d’abord hémisphériques à anses rondes simples et prise en forme de fruit (MHPN MH-PO-4241; MHPN MH-PO-1315 et -1314; MHPN MH-2015-96).

Quant aux assiettes et aux assiettes à dessert, elles présentent dès le début la forme classique, qui ne connaîtra aucune modification sensible au fil du temps, avec son bord alternant six petits et six grands lobes (MAF C 505); dans cette première phase, elles sont cependant relativement épaisses entre le bord et le talon, donc sensiblement plus lourdes que les versions plus tardives. Le MHPN conserve un exemple précoce et probablement unique d’une assiette à bord mouluré (motif de palmettes entrecroisées) qui restera une tentative sans lendemain dans la production nyonnaise (MHPN MH-PO-3089).

Certains récipients plus complexes comme le sucrier de table à plateau attenant sont encore rares dans cette période. Le seul modèle connu est ovale, avec des motifs en relief de pilastres sur la panse et le couvercle. À l’origine la prise du couvercle est modelée en forme de fruit, comme le montre un exemplaire intact au Musée Ariana (en cours d’inventorisation); sur l’exemple du Château de Nyon, la prise en forme de pomme de pin présente des traces de colle, ce qui pourrait signaler une réparation au moyen d’une prise de substitution (MHPN MH-2013-111). Ces deux spécimens présentent chacun des fentes de cuisson: on peut imaginer que cette forme rare fut rapidement abandonnée en raison de sa trop  grande fragilité à la cuisson.

Assez rapidement apparaissent des formes plus complexes et assumées, comme ces corbeilles rondes, dont les parties ajourées présentent à ce stade un motif d’arceaux droits, meublés sur le présentoir de doubles feuilles affrontées; sur les bords court un motif en relief de ruban entortillé (MHPN MH-2009-10B et -11B). Cette forme précoce existe également dans une version ovale (Martinet 1911, fig. p. 18).

Les premiers vases de dimension moyenne (25-27 cm de hauteur) présentent généralement un corps en forme d’urne sur un socle mouluré rapporté (MHPN MH-PO-3110; SNM LM-6038; MAG AR 10661; Pelichet 1985/1, fig. 116 et 157), la seule variante formelle résidant dans les prises, carrées, en forme de tête de bélier ou en forme de mascaron féminin. On retiendra surtout le vase somptueux offert aux autorités de Berne en 1782, conservé aujourd’hui au Musée d’Histoire de Berne (BHM 951 – Droz 1997, 25; Pelichet 1985/1, 163, fig. 8 et 9), où l’on voit que la manufacture maîtrisait déjà toute la gamme des techniques décoratives: le bleu sous couverte, la dorure gravée à l’effet, le moulage en ronde bosse. Seules quelques fentes de cuisson dissimulées sous la large frise de feuilles dorées qui rehausse le culot de l’objet montrent à quel point la jeune manufacture avait atteint en l’occurrence les limites de ses capacités techniques.

Les décors

À Nyon comme dans toutes les manufactures européennes, le décor floral constituait l’épine dorsale du répertoire ornemental. Dans le registre du bouquet, l’influence est parisienne. On pense avant tout à Clignancourt, à la Manufacture de la Reine ou à celle de Locré.

Les motifs floraux de cette première période sont caractérisés par une manière picturale assez déliée, presque gestuelle, et plutôt peu soignée dans leur phase la plus précoce (MHPN MH-PO-4278; MHL AA.VL 88 C 463); peu à peu l’exécution deviendra plus précise, avec des bouquets plus étirés et une composition plus harmonieuse (MHPN MH-2009-10B et -11B). Les couleurs sont plus contrastées que dans les bouquets plus tardifs; dans le feuillage, les ombres et les nervures apparaissent nettement plus marquées. Les bouquets sont la plupart du temps très ramassés et presque systématiquement organisés autour d’une rose (MHPN MH-2007-193; MHPN MH-2015-168; MHPN MH-PO-1387; MHPN MH-PO-1593 et -1594; MAF C 506).

Le motif du bleuet sera abondamment interprété à Nyon, sous l’influence, une fois encore, des productions parisiennes. Les variations sur ce thème furent presque infinies: semis de branches ou de fleurs esseulées, guirlandes, couronnes. En cette phase précoce cependant, le sujet est surtout traité sous la forme de branches accompagnées de quelques fleurs en semis (MHPN MH-PO-4347).

Dans le registre du paysage et des scènes animées, les premiers essais révèlent encore un coup de pinceau plutôt empâté (MHPN MH-PO-4241). À peu près à la même période, pourtant, la manufacture comptait dans ses rangs un artiste non identifié qui fut son meilleur peintre de figures et à qui l’on doit la plupart des scènes à grandes figures inspirées de François Boucher (MHPN MH-PO-1315 et -1314). Dans ce registre et probablement de la même main, on relèvera en particulier le superbe service du Musée national (SNM LM-97902) et un bol à bouillon avec présentoir au Musée Ariana (MAG AR 12641). Les décors de type «Marseille» (MHPN MH-PO-1429 et -1430; MCAHL 29804; MCAHL 29805; MAF C 518; MHL AA.MI.2142), ainsi que d’autres paysages traités en miniatures à cette époque (MCAHL 29370; MCAHL 29356; MCAHL 29395; MHPN MH-PO-4346), utilisent exactement la même palette d’émaux que les décors à la Boucher. Nous sommes enclin à attribuer toutes ces œuvres à la même main.

Comme l’atteste le vase d’apparat offert par les porcelainiers aux autorités bernoises en 1782 (Pelichet 1985/1, fig. 9), la manufacture pratiqua dès les premières années des décors complexes combinant émaux polychromes et bleu sous couverte (MHPN MH-2008-1A; MCAHL 29370; MCAHL 29356; MCAHL 29395; MHPN MH-PO-4346; MHPN MH-PO-1402; MCAHL 28702; MHPN MH-PO-4283; MHPN MH-PO-4284; MHPN MH-2007-168; MHPN MH-PO-4243; MHPN MH-PO-1390; MHPN MH-2007-144; MHPN MH-2015-22; MHPN MH-2015-13). La combinaison du bleu sous couverte avec des motifs émaillés en polychromie représentait une complication supplémentaire dans le processus de fabrication. La manufacture semble avoir renoncé à cette formule décorative au plus tard vers 1790.

Dans le répertoire plus courant, on note que les motifs ornementaux (entrelacs, guirlandes) sont souvent un peu trop compacts, qu’ils manquent d’ampleur et donnent fréquemment l’impression d’être sous-dimensionnés (MHPN MH-2015-116; MHPN MH-2015-460; MHPN MH-PO-1329; MHPN MH-2015-96; MHPN MH-2005-100). Les monogrammes, quant à eux, sont souvent mal équilibrés, voire carrément décentrés (MHPN MH-2007-169). Les décors d’insectes sont une création assez précoce; ici aussi les sujets semblent d’abord sous-dimensionnés, bien que peints avec subtilité (MHPN MH-2015-456; MHPN MH-2015-457).

Les décors en bleu sous couverte

Dans les États germaniques et dans le Nord de l’Europe, la plupart des manufactures de porcelaine offraient systématiquement un choix de décors en bleu sous couverte, qui constituaient le bas de gamme de leur assortiment. Une tendance qui se renforça surtout dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Nyon adopta une stratégie similaire. Dans ce registre et à ses débuts, la manufacture proposa pour une très courte période quelques motifs de fleurs européennes (MHPN MH-PO-1443); ce type de peinture se révéla probablement trop coûteux pour cette catégorie de produits: on l’abandonna apparemment vers 1790 (MHL AA.MI.2141).

Dans la période 1790-95, on rencontre un décor de guirlandes et de semis de rameaux (MCAHL 30806K; MHPN MH-PO-2843bis et -1590; MCAHL 30806A; MAF C 502; MHV 2106); mais à Nyon comme dans les manufactures allemandes, le motif bleu le plus répandu et le plus durable fut sans conteste le décor «Aux immortelles» (MHV 2115; MCAHL 30806E; MCAHL 30806G; MHPN MH-PO-3912; MCAHL 30806D; MHPN MH-PO-4352). Dans les livres de comptes nyonnais, le «décor bleu» semble revenir en force après 1795. Le motif n’est pas précisé: le seul à être resté en lice à ce stade était apparemment le décor «Aux immortelles».

 Le tesson et les marques

Dans les toutes premières années, avant 1785, la porcelaine présente un aspect blanc marqué et plutôt froid; examiné en lumière transmise, le tesson révèle une forte translucidité de coloration claire jaunâtre.

Les marques sont petites et compactes, avec un foisonnement de détails (voir par exemple MHPN MH-PO-4388; MHPN MH-PO-1411). Le bleu sous couverte est d’une tonalité sombre tirant sur un gris ardoise.

Vers 1784/85, comme en témoignent les assiettes plates et les plats du «service Cuénod», très probablement livrés entre l’automne 1784 et le début de 1785, les marques s’allongent, le corps des poissons est plus stylisé, formé de deux lignes qui ne se touchent pas à la hauteur de la queue, les nageoires sont figurées par deux simples lignes ondoyantes tirées le long du corps; d’autres poissons sont très effilés et stylisés (voir MHPN MH-2013-113M; MHPN MH-2013-112E; et -3). Vers la même époque, le tesson montre généralement une translucidité nettement réduite, avec une coloration brun-roux marquée. En lumière réfléchie, la porcelaine prend une tonalité plus chaude.

Les années 1785-1790

C’est probablement la période la plus turbulente dans l’histoire de la manufacture: en 1786 Dortu quitta Nyon pour Berlin, tandis que Müller planifiait secrètement une délocalisation de la manufacture à Genève. Ce dernier sera confondu et expulsé. Une nouvelle société fut créée et Jean-Georges-Jules Zinkernagel, simple contremaître, prit provisoirement la tête de l’entreprise. De retour à Nyon, Dortu sera d’abord déclaré persona non grata, en avril 1787. Pendant ce temps, Zinkernagel entreprenait les démarches nécessaires en vue d’acquérir une maison et un terrain appartenant à l’État au lieu-dit du Croset. La transaction portant sur la maison Ducoster fut conclue le 7 juin 1787, les acquéreurs étaient Henri Veret, Moïse Bonnard, Zinkernagel et Dortu, ce dernier ayant probablement été rappelé pour assurer l’avenir de la manufacture (De Molin 1904, 47-50; Droz 1997, 27-32). La manufacture se déplaça sans trop tarder dans ses nouveaux locaux, peut-être après quelques mois d’interruption. Installée dans des espaces enfin plus généreux et munie d’une infrastructure renouvelée, l’entreprise allait prendre son véritable envol.

Les formes

Vers 1785 environ, on voit apparaître des formes de récipients plus ambitieuses, comme des soupières ou des terrines. Par exemple ce modèle rare avec une panse à double renflement, des anses horizontales en forme de branches avec attaches en forme de feuilles et une prise de couvercle en forme de branches entrecroisées (MHPN MH-2015-143); une version ovale – dont on ne connaît à ce jour qu’un exemple décoré, dans une collection privée (Communication de Grégoire Gonin) – se distingue par un motif de pilastres en relief sur la panse et le couvercle (MHPN MH-PO-1581).

Une forme très similaire, avec prise du couvercle en forme de citron, était apparemment produite par la manufacture parisienne de la rue Thiroux (dite aussi Manufacture de la Reine – Blanchet et associés, Drouot-Richelieu, vente du 28 juin 2019, lot 124). Découlant de la soupière ci-dessus, une terrine ronde à prise modelée en forme de citron (MHPN MH-2007-176) fait son apparition à peu près dans la même période, un modèle que l’on retrouvera un peu plus tard dans le service «Trevor» (MHPN MH-PO-3802bis). D’une manière générale, on connaît relativement peu de terrines et de soupières en porcelaine de Nyon.

Plutôt rare, également, ce nouveau type de bol à bouillon qui relève de la même famille formelle que la soupière ci-dessus: le récipient repose sur un pied à gorge et est muni de deux anses avec poucier en forme de languette, la prise du couvercle est en forme de feuilles entrecroisées (MHPN MH-PO-1397); le Musée Ariana conserve un exemplaire de ce type avec son présentoir (MAG 015739). La forme basique du bol à bouillon présente quant à elle une paroi un peu plus évasée que par le passé, un pied à gorge et une prise du couvercle en forme de pomme de pin; les anses sont rondes avec un poucier en forme de languette (MHPN MH-2015-124; MHPN MH-PO-1326 et -1325); ce modèle se maintiendra jusqu’en 1795, avec parfois de légères modifications de profil.

Une soucoupe de trembleuse constitue une curiosité: c’est le seul exemple nyonnais, à notre connaissance, où la stabilité de la tasse était assurée par une galerie ajourée et non par un logement creux (MHPN MH-PO-1486). Un nouveau type de trembleuse semble entrer dans l’assortiment vers 1785. De forme légèrement tronconique, il présente une anse inédite qui dessine une courbe et une contrecourbe, avec un poucier mouluré en forme de feuille trilobée (MHPN MH-2007-196 – voir aussi MAG AR 01267). Le Musée Ariana possède une trembleuse dont les dimensions inhabituelles lui confèrent le caractère d’un objet d’apparat (MAG AR 05606 – Pelichet 1985/1, fig. 42); cet exemple, unique à notre connaissance, est muni d’anses rondes avec un poucier mouluré en forme de feuille trilobée.

La théière prend peu à peu ce qui sera sa forme définitive, à quelques détails près: une épaule légèrement oblique ou plate plus étroite, un goulot à six pans placé plus bas sur le corps du récipient, une anse en bandeau arrondie avec un poucier en forme de languette (MHPN MH-2015-167; MAF C 517A; MHPN MH-2015-99; MHPN MH-2015-159; MHPN MH-2003-137).

Le modèle basique de la cafetière (ou pot à lait ou pot à eau chaude) garde sa panse piriforme, en plus marquée, mais avec une anse ronde munie d’un poucier qui peut prendre la forme d’une simple languette ou d’une feuille moulurée; le bec verseur présente désormais un culot mouluré en forme de feuillage (MHPN MH-2011-38; MHPN MH-PO-1295; MCAHL 30805E).

Dans le même période, la manufacture a adopté un nouveau type de cafetière qui s’inspire assez précisément d’un modèle pratiqué à la manufacture de Vienne: un corps cylindrique reposant sur trois pieds moulurés rocaille et muni d’un col incurvé et d’un bec verseur; anse haute ajourée et sommée d’un poucier en forme de feuille (MAG AR 10691, MAG AR 05236, MAG 007622 – Bobbink-De Wilde 1992, fig. p. 39). Cette formule ne s’est probablement pas imposée: peu d’exemplaires sont parvenus jusqu’à nous. Une autre forme de cafetière, dont nous ne connaissons qu’un exemplaire, n’a probablement jamais été introduite dans la production courante (MHPN MH-PO-1472).

Pour le pot à lait, une nouvelle formule se dessine qui s’imposera dans la période suivante avec une silhouette plus élancée: la panse est en forme d’urne sur piédouche, avec une anse haute et une lèvre échancrée formant bec verseur (MHPN MH-2013-102; MAFC 517D). Dans la même période, nous avons trouvé une forme rarissime composée d’une panse ovoïde sur pied à gorge, d’une lèvre évasée et échancrée formant bec verseur, d’une anse ronde à attache supérieure saillante formée de deux branches entrecroisées (MHPN MH-2015-119). Une formule qui gardera apparemment un statut de prototype. Cet exemple – comme ceux que nous citons à propos des cafetières – montre bien que la manufacture déploya des efforts évidents pour renouveler son assortiment de formes dans cette phase de son développement.

Deux nouveaux sucriers de table de forme ovale et à plateau attenant apparaissent entre 1785 et 1790: le premier présente une paroi et un plateau quadrilobés et un couvercle à double renflement (MHPN MH-PO-3074; MAG AR 01343); le second modèle, légèrement plus tardif, présente une panse à double renflement et motif en relief de quatre pilastres sur la paroi et le couvercle, la prise de ce dernier en forme de deux rubans entrecroisés. Cette dernière forme est directement inspirée de la porcelaine de Clignancourt (MHPN MH-PO-3006; MAG AR 10654; MAG AR 01119; MAG 00616 – pour le modèle de Clignancourt, voir MAG AR 01670 ou MAG AR 01570).

Également inspiré de Clignancourt, ce nouveau modèle de corbeille sans présentoir – les boucles inférieures des joncs entrelacés formant un piètement – qualifié mystérieusement de «forme de Sèvres» dans les livres de comptes et qui existe dans une version ovale (MCAHL 30807C) ou ronde (MHPN MH-PO-1362 – pour le modèle de Clignancourt, voir MAG AR 01602 ou MAG AR 01683). La corbeille classique avec présentoir a quant à elle subi des transformations: les arceaux des parties ajourées sont maintenant torses; sur le présentoir, ils sont ornés d’une seule feuille moulurée et les bords du récipient et du présentoir sont lisses (MHPN MH-2015-22; MCAHL 30877A et -B); ce modèle se maintiendra pratiquement jusqu’à la fin de la production.

Le profil de la tasse «litron» affiche désormais un caractère tronconique moins marqué, la majorité des anses sont désormais de type bilobé avec attache inférieure bifide (MHPN MH-PO-1360 et -1361; MCAHL HIS 55-3827 et -3829; MHPN MH-PO-1514); on notera que cette forme également est attestée dans le répertoire de la porcelaine parisienne, que ce soit à Clignancourt à la Manufacture de la Courtille (pour des modèles parisiens, voir par exemple MAG AR 02232 ou MAG AR 01470). Un modèle de tasse rare se distingue par sa forme hémisphérique, son bord polylobé et son anse à poucier en forme de coquille; ce type, qui correspond probablement aux «tasses découpées avec anse» citées dans les anciens livres de la manufacture, n’a visiblement pas rencontré le succès escompté en raison de la conformation peu confortable du bord (MHPN MH-PO-2291A). Des tasses «litron» couvertes et de grand format sont attestées dès cette période, munies d’une anse en courbe et contrecourbe avec poucier mouluré en forme de feuille (MHPN MH-PO-1446 et -1447; MHPN MH-2007-113).

À relever également un modèle de gobelet (CLS MURO 1257) et (MHPN MH-PO-1467 et -1466), peu courant dans les collections connues.

C’est probablement dans cette même phase que fut introduit le plateau oblong à bord quadrilobé qui servira notamment de présentoir aux pots à jus, ou à tout autre assortiment de récipients (MHPN-MH-PO-1438; CLS MURO 1255; MHPN MH-PO-4284; MHPN MH-PO-1497 à -1505). Ce modèle, introduit vers 1785, sera produit pendant une décennie au moins.

Les décors

Dans un premier temps le décor floral garde un aspect pictural assez prononcé, avec quelques rares exemples témoignant d’un savoir-faire du plus haut niveau (MHPN MH-2015-144; MHPN MH-PO-1397; MHPN MH-2007-176; MBL-20093). Vers 1785, un peintre se distingue par une manière bien à lui de composer ses bouquets: souvent construit autour d’une rose, le bouquet laisse s’échapper une fleur portée par une longue tige (MHPN MH-2015-143; MAF C 506). Les très grands bouquets comme sur le plat MHPN MH-2015-144 sont rares; le présent exemple dénote par ailleurs une maîtrise picturale plutôt exceptionnelle pour notre manufacture. En l’occurrence, le motif floral s’affirme dans toute sa splendeur et sans partage, conformément à un esprit qui se réclame encore de l’époque Louis XV.

Dans les plus petits bouquets, cependant, on note déjà une tendance à un traitement plus contrôlé et systématique, avec un usage plus dilué, moins contrasté de la couleur et un feuillage plus monochrome (MHPN MH-2015-130; MHPN MH-2007-185; MHPN MH-PO-1473 et -1474).

Les bleuets se présentent sous la forme de grandes branches, comme dans la période précédente (MCAHL 32840; MHPN MH-2015-174); puis, de plus en plus systématiquement, sous la forme d’un semis de branches plus réduites et plus stylisées (MHPN MH-2015-167; MHPN MH-PO-3104 et -3105; MHPN MH-2015-173). En parallèle on voit poindre les premiers semis de bleuets esseulés, avec des motifs agencés en quinconce ou en diagonale (MHPN MH-2015-162; MHPN MH-2015-164; MHPN MH-PO-1442 et -1443). C’est aussi dans cette phase qu’apparut un décor qui allait connaître un succès durable: la combinaison de guirlandes de bleuets et d’un riche galon doré orné dans un premier temps d’un méandre en réserve (MHPN MH-2015-99), puis d’un entrelacs en réserve; c’est cette dernière version qui finira par s’imposer: elle sera produite pratiquement jusque dans les dernières années de la production, sous le nom «guirlandes de barbeaux, grecque or» (MHPN MH-2007-201; MHPN MH-2007-107; MCAHL 30924). Nettement plus rares, ces motifs de semis de pensées, en branches ou esseulées (MHPN MH-2015-124; MHPN MH-2015-125; MHPN MH-2007-102).

C’est dans cette même période que semble s’installer le décor appelé «mille-fleurs» dans les livres de la manufacture: un semis de fleurettes comportant des roses, mais pas encore de pensées (MAF C 519; MHPN MH-PO-1433; MHPN MH-PO-1434; MHPN MH-PO-1438; MHPN MH-PO-1388 et -1389; MHPN MH-2015-169); à ce stade les tiges sont courtes.

Dans les motifs à figures humaines, qui font suite en quelque sorte aux scènes inspirées de Boucher de la première période, les personnages sont maintenant de taille nettement plus réduite (MHPN MH-PO-4219; MHPN MH-PO-4218 et -4217; MHPN MH-2015-109; MHPN MH-2015-108; MHPN MH-2015-111; MHPN MH-2015-110; MHPN MH-PO-1446 et -1447). Ces décors exigeants et coûteux devaient être assez rares dans la production. La qualité picturale reste excellente, elle pourrait être le fait du peintre des grandes figures des premières années.

Un autre artiste de premier plan se distingue par ses médaillons figurant des sujets inspirés des «enfants Boucher», parfois en polychromie, mais surtout en camaïeu gris ou pourpre (MHPN MH-2007-113; MAG 015830).

On remarquera au passage la nouvelle tendance consistant à inscrire les scènes animées dans des cadres ornementés, comme dans le cas du fameux service à médaillons bordés d’un galon rose (MHPN MH-2003-137; MHPN MH-2007-114; MHPN MH-2008-2; MHPN MH-2008-46A; MHPN MH-2008-46B; MHPN MH-PO-1587). Les silhouettes – et les monogrammes – témoignent d’un savoir-faire en progression, même si parfois le sujet peut encore paraître sous-dimensionné (MHPN MH-PO-1418; MHPN MH-2015-16; MHPN MH-PO-1381; MHPN MH-2011-38; MHPN MH- 2008-6; MCAHL 30061). Les tasses aux effigies des membres de la famille de Moïse Bonnard, l’un des principaux bailleurs de fonds de la manufacture, constituent un ensemble de référence précieux, puisqu’elles comptent parmi les rares pièces qui peuvent être datées précisément grâce aux livres de comptes de l’établissement, en l’occurrence de 1789 (MHPN MH-PO-2280; MHPN MH-PO-2281;  MHPN MH-PO-2282;  MHPN MH-PO-2283; MHPN MH-PO-2284;  MHPN MH-PO-2285).

Les motifs d’insectes connaissent toujours une certaine faveur, les sujets restent légers et aériens (MHPN MH-PO-3939; MHPN MH-PO-1316; MHPN MH-PO-1391 et -1428). Les premiers trophées remontent à la première période, ils étaient généralement accrochés à une bordure au moyen d’un ruban (Pelichet 1985/1, fig. 40 et 49); ils figurent désormais dans des médaillons, sur un fond teinté de jaune ou de gris pâle (MHPN MH-2015-98; MHPN MH-2007-173 – MAG 015739; MAG AR 01263; MAG AR 10661; MAG AR 10767). La tasse couverte ornée de trophées en grisaille (MHPN MH-PO-4180 et -4181) est un cas isolé qui illustre bien l’esprit novateur qui animait l’atelier de peinture dans cette phase de développement et de perfectionnement de la manufacture.

Les commandes de réassortiment

À de nombreuses reprises, la manufacture de Nyon imitera des décors venus d’ailleurs pour satisfaire l’un ou l’autre client désireux de compléter ou de réassortir un service en porcelaine étrangère. Dans cet exercice de mimétisme, les peintres nyonnais démontreront une habileté et un sens du détail remarquables, surtout dans les années 1785-1795. L’art de la copie se limitera en général aux décors peints, la reproduction de formes étant évidemment fort coûteuse de par la nécessité de créer les moules adéquats.

Les productions les plus fréquemment copiées relèvent soit de la porcelaine chinoise d’exportation (par exemple dans le cas du «service Cuénod»: MHPN MH-2013-106; MHPN MH-2013-117; voir aussi MHPN MH-PO-3959; MHPN MH-PO-1310; MCAHL 30877A et –B; MHPN MH-PO-1462; MCAHL HIS 55-3617, -3618 et -1618; MCAHL 24617; MHPN MH-2019-99; MHPN MH-2015-126; MHPN MH-2015-12 – pour le modèle, voir MAG 8770) soit de la porcelaine de Paris (MHPN MH-2007-120 – pour le modèle, voir MAG AR 1544 – MHPN MH-2008-52A; MHPN MH-2007-137; MHPN MH-2007-115bis; MHPN MH-PO-3109). La manufacture a également – et brillamment – reproduit un décor complexe repris de la porcelaine japonaise d’exportation (MHPN MH-PO-4238 – pour le modèle originel, voir MAG AR 11976).

Bien connues des amateurs, ces versions nyonnaises du décor «Ronda» de la manufacture de Tournai (MHPN MH-2015-459; MCAHL 29495) ou de quelques décors classiques de Meissen (MHPN MH-2010-19A; MHPN MH-PO-3878; MHPN MH-PO-4237). Plus rares, les réassortiments de services de Sèvres (MHPN MH-PO-1272 et -1513; MHPN MH-PO-1507 et -1508). Dans certains cas, les musées vaudois conservent les copies et leurs modèles (MHPN MH-2013-117; MHPN MH-2013-106 – MHPN MH-PO-4235 et -4236 – MHPN MH-PO-3878; MHPN MH-2015-497 – MHPN MH-2015-153; MHPN MH-2015-152; MHPN MH-2015-147; MHPN MH-2015-146 – MCAHL 29490; MCAHL 29491 – MHPN MH-2010-19A; MHPN MH-2010-19C et -G).

Les années 1790-1795

Vers 1790, la manufacture avait digéré les turbulences de l’affaire Müller et son appareil de production avait pu se redéployer dans de nouveaux locaux, sur son site définitif du Croset. La fabrique et notamment son atelier de décoration étaient désormais en pleine possession de leurs moyens. Le volume de la production allait dès lors se développer à un rythme soutenu, trop soutenu même, puisque les stocks ne cesseront de s’accumuler entre 1790 et 1795, puis à nouveau entre 1797 et 1801 (Droz 1997, 42-44). La surproduction se signalait plus que jamais comme le mal endémique qui allait miner irrémédiablement la santé économique de l’entreprise. Malgré des sources extrêmement lacunaires, Droz constate pourtant une augmentation considérable des ventes, en particulier entre 1790 et 1793. À partir des données disponibles en termes de salaires, il estime que le personnel de la manufacture n’a jamais été aussi nombreux qu’entre 1790 et 1798 (Droz 1997, 51).

Les formes

Parmi les formes les plus courantes, certaines sont désormais établies pour un certain temps, comme les corbeilles, le sucrier ou la théière, pour laquelle on n’observe plus que des variations de détail comme la hauteur toujours plus prononcée du parapet qui retient le couvercle (MCAHL 30792C; MCAHL 29485 et 29486) ou la forme du poucier qui peut prendre l’apparence d’une feuille découpée en lieu et place de la simple languette (MHPN MH-2007-134C et –D; MHPN MH-PO-4306; MHPN MH-2015-115).

Une nouvelle forme de tasse fait son apparition, que l’on ne rencontre que très rarement, avec un corps hémisphérique dérivé du bol et une anse ronde à languette (MHPN MH-2007-166). S’agissant de la tasse «litron», le modèle de base comporte toujours l’anse bilobée à attache inférieure bifide, mais il est désormais aussi proposé avec une anse carrée (MHPN MH-PO-1623 et -1624; MHPN MH-PO-4304 et -4300; MHPN MH-PO-1423 et -1422).

La trembleuse a également reçu des anses carrées simplifiées et son couvercle est désormais un peu plus bombé; le marli de la soucoupe est moins incurvé et le logement creux moins profond (MHPN MH-PO-1539 et -1540; MHPN MH-PO-1268 et -1269; MHPN MH-2008-48). Le bol à bouillon garde sa forme générale mais reçoit de nouvelles anses, bifides dans leur partie supérieure et avec des attaches en forme de feuilles (MHPN MH-PO-1352; MCAHL 30067 et 30066; MHPN MH-PO-1275, pour un exemple plus tardif).

Pour les pots à lait (ou à crème), le nouveau modèle standard, déjà esquissé dans la période précédente, présente une panse plus haute en forme d’urne posée sur un piédouche généralement mouluré, une lèvre évasée et échancrée formant bec verseur et une anse haute (MHPN MH-PO-1779; MHPN MH-PO-4302; MHPN MH-PO-1316). Une variante rare présente une panse en forme de casque renversé (MHPN MH-PO-4307).

La cafetière garde dans un premier temps sa silhouette piriforme sur talon simple, avec bec verseur à culot mouluré et poucier en forme de feuille (MHPN MH-PO-1336; MHPN MH-PO-1295; MCAHL 30805E), mais une nouvelle forme standard est en voie de lui succéder, dotée d’une panse presque ovoïde et posée soit sur un talon, soit sur un piédouche; le poucier reste en forme de feuille et le bec verseur présente toujours un culot mouluré (MCAHL 29488; MHPN MH-2015-118; MCAHL 30806I). Une autre nouveauté, qui ne connut apparemment pas une grande diffusion, proposait une panse en forme d’urne sur piédouche avec une anse plutôt  compliquée en courbe et contrecourbe avec poucier en forme de feuille et attache inférieure bifide (MHPN MH-PO-494), ce modèle rare existe aussi avec une anse simplifiée (MHPN MH-2015-101).

Vers le début des années 1790, la manufacture élargira de manière significative son assortiment de formes destinées aux services à dîner, c’est l’époque justement où furent créés les deux plus grands ensembles connus à ce jour, le service «Trevor» et le service «Napolitain» (voir le chapitre «Nyon, Manufacture de porcelaine – Les services célèbres»). C’est dans ce contexte qu’apparurent à notre avis les premiers modèles de rafraîchissoir à bouteille,  dit «seau à bouteille» dans les livres (MHPN MH-PO-1518 – MAG 007615; MAG AR 01180; MAG AR 01329; MAG AR 01330), de glacière (MCAHL 30021 – MAG AR 01327; MAG AR 05583; MAG AR 05584; MAG 019291; MAG 019292) et de rafraîchissoir à verres, à créneaux obliques (MCAHL 30924) ou à créneaux droits (MHPN MH-PO-1532 – SNM LM-52837 – MAG AR 04487; MAG AR 04488). Ces trois types de récipients sont tous munis du même genre de prises en forme d’anses horizontales figurant des branches entrecroisées, avec attaches en forme de feuilles en relief.

Plus loin, les confituriers doubles sur présentoir attenant ovale (MCAHL 29808; MHPN MH-2007-180; MHPN MH-PO-1546) les confituriers triples sur présentoir attenant triangulaire (MHPN MH-PO-3175; MHPN MH-PO-3499), ou encore le beurrier à présentoir attenant avec un couvercle à double renflement, la prise en forme de branche recourbée en boucle (MCAHL 30795; MHPN MH-2015-95).

Une autre forme nouvelle, cette saucière avec son présentoir ovale à bord quadrilobé créés peut-être pour le service «Napolitain» (MHPN MH-PO-1542; MHPN MH-PO-1544); le Musée du Château de Nyon conserve une variante en blanc, qui pourrait bien être le prototype de ce modèle et qui ne sera probablement jamais intégrée dans la production (MHPN MH-PO-4277A et -B).

Le service «Napolitain» comporte surtout de grands récipients couverts, deux soupières et deux légumiers (ou terrines) probablement créés pour l’occasion. Les soupières (MHPN MH-PO-1730) sont un développement de la terrine apparue vers 1785, qui se distinguent évidemment par leur taille et la forme élaborée des prises de couvercle. Quant aux terrines ovales, ou légumiers, elles constituent une innovation assez hardie avec leur couvercle sommé d’une terrasse godronnée en porte-à-faux (MHPN MH-PO-1534).

Dans le domaine des objets purement décoratifs, la manufacture propose désormais des caisses à oignons, généralement regroupées pour former des «garnitures de cheminée», pour reprendre le terme utilisé dans les livres de comptes. Ces récipients conçus pour recevoir des plantes à bulbe, relativement répandus notamment dans les productions parisiennes de l’époque, sont tous dessinés selon un même schéma inspiré de l’architecture ou du mobilier, mais en trois formats différents: rectangulaire, carré ou en «demi-lune» (MHPN MH-2015-156; MHPN MH-2015-154; MHPN MH-2015-155; MACHL HIS 55-3310; MCAHL HIS 55-3311; MCAHL HIS 55-3312; MHPN MH-2015-102).

Les vases de dimension moyenne de cette époque sont soit des vases cornets, un type qui n’est pas représenté dans notre corpus (voir Pelichet 1957, fig. p. 93), soit des vases dits «à têtes de buffle» dans les archives et dont le MHPN conserve un spécimen tardif à la décoration minimaliste (MHPN MH-PO-486 – voir aussi MAG AR 05602; MAG AR 05603).

C’est également vers le début des années 1790 que furent produits les plus grands objets jamais conçus à Nyon, des vases pots-pourris en forme d’urne sur piédouche, dont on connaît en tout et pour tout deux exemplaires. Le premier, orné de deux trophées d’une richesse extraordinaire – même en comparaison européenne – se trouve aujourd’hui au Musée du Château de Nyon (MHPN MH-2015-178). Le second se trouve dans les collections du Musée Ariana (MAG 008635).

Les décors

Le décor floral a désormais atteint une forme de maturité où tout semble parfaitement maîtrisé, mais au détriment d’une certaine expressivité naturaliste. Les teintes sont souvent retenues et lumineuses, voire translucides s’agissant des verts; fleurs et feuillage apparaissent sans grand relief (voir par exemple MCAHL HIS 55-3838; MHPN MH-PO-4207 et -4208; MCAHL HIS 55-3827 et -3829). D’une manière générale le bouquet se présente comme un ornement parmi d’autres (MHPN MH-2012-69; MHPN MH-2009-14). Traité en semis il se contente de former un juste équilibre avec les motifs dorés, comme dans le service von Roll (MCAHL 30021; MHPN MH-2007-200).

Les décors de bleuets se déclinent désormais dans une diversité de formules étonnante: semis de branches (MHPN MH-2015-172), de fleurs esseulées; bleuets bleus (MCAHL 29808) ou pourpres (MHPN MH-PO-1715) – la formule consistant à mêler bleuets bleus et pourpres ne semble pas attestée avant 1795; semis aléatoires ou ordonnés (MHPN MH-PO-1336; MHPN MH-PO-1398), bleuets en couronne ou en guirlandes (MHPN MH-2007-107).

Le décor «mille-fleurs» est étoffé par l’adjonction de petites pensées, tandis que les tiges des fleurs ont toujours plus tendance à s’allonger et le dessin des feuilles est encore simplifié (MHPN MH-2007-188; MCAHL 30792C; MCAHL 29807C; MCAHL 30792G; MCAHL HIS 55-3841). Dès 1795 environ, le motif «mille-fleurs, riche dorure» (où la dorure se compose en général de deux types de festons de feuilles superposés – MCAHL 29807B) deviendra l’un des décors les plus courants dans la gamme moyenne supérieure; à ce titre, il se maintiendra pratiquement jusqu’à la fin de la production.

Les décors combinant des éléments floraux et des ornements plus ou moins complexes commencent à se multiplier: fleurs en médaillons s’inscrivant dans une riche frise ornementale, comme dans le décor «Trevor» (MHPN MH-PO-3802bis); guirlandes florales accrochées à des galons rehaussés de motifs divers (MHPN MH-2007-121; MHPN MH-2015-486), comme dans le cas particulier du décor «Napolitain» (MHPN MH-PO-1534). On notera au passage que les décors «Trevor» et «Napolitain» étaient tellement appréciés qu’ils se maintiendront pratiquement jusqu’à la fin de la production, parfois sous une forme simplifiée, et presque essentiellement, sur des services à boire (MHPN MH-2015-20; MHPN MH-PO-1409 et -1410; MAF C 516A; MAF C 516B).

Les scènes animées, appelées «pastorales» dans les archives, se présentent de plus en plus comme des miniatures confinées dans des médaillons bordés d’un épais galon doré. Les sujets relèvent presque systématiquement de la scène galante (MHPN MH-PO-1268 et -1269; MHPN MH-PO-1285 et -1286). Les figures de grande dimension font leur réapparition, essentiellement dans le registre à la mode des costumes suisses, fidèlement interprétés d’après des sources gravées fournies par les petits maîtres suisses les plus populaires (MHPN MH-PO-4306; MHPN MH-PO-4295; MHPN MH-2008-45; MHPN MH-PO-4305 et -4298; MHPN MH-PO-4303 et -4299). Un examen détaillé de ces sujets tendrait à prouver qu’à cette époque la manufacture disposait encore de plusieurs peintres capables de traiter convenablement la figure humaine.

La représentation de paysages réels, comme dans le superbe service à thé et à café montrant des vues de Nyon, Coppet et Genève (MHPN MH-PO-1279; MHPN MH-PO-1295; MHPN MH-PO-10076) constitue à notre avis une parfaite nouveauté dans le répertoire nyonnais, et qui se limitera d’ailleurs à des cas plutôt isolés (on pense notamment au grand vase pot-pourri de l’Ariana, orné de vues de Lausanne et de Saint-Maurice). Cet ensemble, qui se distingue aussi par une belle maîtrise de l’ornement doré, est très certainement un travail de commande. Comme le plateau figurant une vue de bord de mer, provenant d’un service à boire apparemment unique (MHPN MH-2007-187); le sucrier, la théière et une tasse avec sa soucoupe ont pu être localisés dans différentes collections privées.

Dans la même période, Nyon produisit un service à thé et à café de fort belle qualité décoré de paysages peints dans le style préromantique de la porcelaine de Zurich (MHPN MH-MHPN MH-2007-166; MHPN MH-PO-1376; MHPN MH-2007-167 – pour la théière avec son présentoir et le bol à rincer, voir MAG AR 10737; MAG AR 10738; MAG AR 10739). Un autre service à boire remarquable est orné de paysages animés posés dans des médaillons encadrés par des galons roses (MHPN MH-2003-137; MHPN MH-2007-114; MHPN MH-2008-2; MHPN MH-2008-46A; MHPN MH-2008-46B; MHPN MH-PO-1587 – pour la cafetière, voir MAG 018710). Nous pensons pouvoir attribuer ce décor à un peintre venu de Ludwigsburg, Johann Joseph Hubert Pernaux. C’est la première fois, exception faite du cas d’Étienne Gide (voir plus loin), qu’un décor nyonnais peut être attribué à un peintre identifié.

Dans le registre animalier, la manufacture réalisa à cette époque une série de décors composés de cartels figurant des scènes traitées en camaïeu pourpre et représentant généralement des ovins ou des bovins. Le Musée du Château de Nyon en possède un spécimen (MHPN MH-2015-123). Traitées dans la même technique picturale, mais pas forcément par le même peintre, les singeries qui ornent la «garniture de cheminée» provenant du château d’Hauteville en font l’un des ensembles les plus remarquables dans la production connue de Nyon. Nous avons pu identifier les sources gravées utilisées par le peintre: deux gravures de l’artiste allemand Gottlieb Friedrich Riedel (1724–1784), qui, soit dit en passant, collabora intensivement avec la manufacture de Ludwigsburg (MHPN MH-2015-156; MHPN MH-2015-154; MHPN MH-2015-155). Curieusement, ces scènes animalières en camaïeu pourpre sont toutes accompagnées d’une zone plus ou moins étendue peinte en vert clair; la même conjonction se retrouve sur une trembleuse du Musée Ariana, où cette couleur verte recouvre la presque totalité de l’objet (MAG AR 05608).

Vers le début des années 1790, la manufacture eut l’opportunité d’honorer plusieurs commandes prestigieuses à destination de l’Italie du Nord. Nous connaissons trois cas en particulier, tous représentés dans les fonds du Musée du Château de Nyon. Le musée conserve ainsi plusieurs pièces du service portant les armes d’alliance des familles Vallesa et Filippa di Martiniana (MHPN MH-2002-300; MHPN MH-1999-120; MHPN MH-2015-452), une trembleuse appartenant à un ensemble de porcelaines destinées à la célèbre comtesse Anna Pieri Brignole-Sale (MHPN MH-2008-48), ainsi qu’une tasse et une assiette à dessert réalisées pour l’un des meilleurs clients de la manufacture, le comte Georg Gustav de Wrangel, qui fut ministre de Suède à Gênes de 1789 à 1792 (MHPN MH-PO-1423 et -1422; MHPN MH-2007-150). Ces objets sont représentatifs de la production de haut de gamme et témoignent du niveau d’excellence atteint par les décorateurs de Nyon, en particulier dans la peinture d’ornements.

Les décors de trophées atteignent eux aussi une sorte de summum (MACHL HIS 55-3310; MCAHL HIS 55-3311; MCAHL HIS 55-3312; MHPN MH-PO-4182 et -4183; MHPN MH-2012-100; MHPN MH-PO-1302), l’exemple le plus spectaculaire dans le genre étant fourni par le grand vase orné de trophées complexes célébrant l’amour et la musique d’une part, la chasse et la pêche d’autre part (MHPN MH-2015-178). La répartition des thèmes dans les deux trophées n’est évidemment pas fortuite, on a visiblement cherché à concevoir un objet qui montrerait une face féminine et une face masculine. On remarquera que vers le milieu des années 1790 la palette de couleurs se fait plus froide et plus contrastée, alors qu’apparaissent d’autres thèmes, philosophiques, voire maçonniques (MHPN MH-PO-3103; MHPN MH-2015-118).

C’est indiscutablement dans le registre de la peinture d’ornements que les artistes nyonnais ont déployé les plus grands trésors d’imagination en cette période d’intense créativité. Ils imagineront tout un répertoire de motifs souvent parfaitement originaux combinant rubans, guirlandes, galons et entrelacs. L’assortiment témoigne non seulement d’une belle inventivité, mais également d’un savoir-faire de premier ordre (MHPN MH-PO-1412 et -1413; MCAHL 29308; MHPN MH-PO-1260; MHPN MH-2007-179; MCAHL 29309; MHPN MH-PO-1341; MHPN MH-2007-155; MHPN MH-PO-1444 et -1445; MHPN MH-2007-124MHPN MH-PO-1352; MCAHL 30067 et 30066; MCAHL HIS 55-3551; MCAHL 30805D; MHPN MH-2015-31). C’est également dans cette période que sera créé l’un des décors les plus simples du répertoire, celui que les livres de la manufacture qualifient de «grecque violette, or» (MCAHL 29333). En raison de son coût relativement modeste, malgré la dorure, ce motif restera en vogue jusque dans les dernières années de la fabrication.

 Le tesson et les marques

Vers 1790 la porcelaine présente majoritairement une coloration agréablement crémeuse, blanc ivoire. Examinée en lumière transmise elle révèle souvent une faible translucidité et une coloration brun-roux prononcée. Sur un même objet, ces zones sombres contrastent parfois avec des taches plus claires et nettement plus translucides. Les marques sont généralement tracées avec soin et d’un geste plutôt ample, avec tous les détails requis: œil, bouche, nageoires (voir par exemple MHPN MH-PO-4230; MCAHL HIS 55-3838; MHPN MH-2015-172; MCAHL 30803; MHPN MH-PO-1471; MHPN MH-2015-543; MHPN MH-PO-3802bis; MHPN MH-2007-121; MHPN MH-PO-1259; MHPN MH-PO-1341; MCAHL 30805E; MCAHL 30805C).

Entre 1790 et 1795, le poisson commence à se déstructurer (MCAHL 30021; MHPN MH-2008-49; MCAHL 30795; MHPN MH-PO-1291; MHPN MH-PO-1285; MHPN MH-2008-48; MHPN MH-PO-1417).

 Les années après 1795

Malgré des sources particulièrement déficientes après 1793, Droz estime que les années 1798-1801 se signalent par une mauvaise marche des affaires, et notamment par un manque croissant de liquidités. En dépit de cette conjoncture défavorable, il semble que la production se soit maintenue au même niveau jusqu’en 1801. Les ventes par contre ne suivirent pas la même progression. Le «Livre de fabrique» de la manufacture, que Droz date de 1801 alors que Pelichet l’avait situé en 1799, dresse un bilan parfaitement lucide du problème lancinant de la surproduction (Droz 1997, 53-55). Les responsables de l’entreprise tireront les conséquences de ce constat alarmant: la production fut réduite, tandis que les ventes se rétablirent entre 1801 et 1805 et que l’entreprise réussit à réduire son endettement. Rien n’y fit: la société sera dissoute en 1808. Au 31 décembre de cette année, en effet, une nouvelle société fut créée, «Dortu, Soulier, Doret et Cie», qui reprit les actifs et les passifs de la précédente («Dortu, Soulier, Monod et Cie»).

Les formes

Vers 1795 et dans les quelques années qui suivirent, un certain nombre de formes seront renouvelées encore une fois. Souvent les modifications se limiteront à des retouches «cosmétiques», comme dans le cas de la théière, qui recevra simplement une nouvelle anse, en courbe et contrecourbe avec un poucier en forme d’enroulement peu marqué (MHPN MH-PO-3965; MCAHL 32849; MHPN MH-PO-1475; MHPN MH-PO-1292; MCAHL 29819; MCAHL 32846); on notera également que le parapet est nettement plus haut et que la prise du couvercle se résume dorénavant à une simple sphère.

Le même type d’anse se retrouve par ailleurs sur certaines grandes tasses (MHPN MH-2015-495 et -496; MHPN MH-2007-178). Sur la tasse «litron» de modèle courant, on retrouve dans un premier temps l’anse carrée rencontrée un peu plus tôt (MHPN MH-2007-134H et -J; MHPN MH-PO-1477 et -1478), avant d’assister au retour en grâce de l’anse ronde et lisse qui était la règle dans les premières années de la manufacture; cette formule se sera généralisée vers 1800 (MHPN MH-2007-141; MCAHL 30000; MHPN MH-2007-171; MHPN MH-2007-119A et -B). Une dernière variante d’anse connaîtra une brève existence dans les toutes dernières années (MCAHL 31644; MCAHL 30796 et 32832; MHPN MH-2007-161; MHPN MH-PO-1588); elle fut apparemment  développée dans le contexte de la «terre étrusque» produite dès 1807 (MHPN MH-FA-3060).

Deux nouveaux modèles de tasses couvertes virent le jour dans cette période: une forme «litron» de grande dimension avec anse carrée, le couvercle muni d’une prise en forme de pomme de pin arrondie (MCAHL 30804B) et une tasse basse avec paroi à double renflement, le couvercle avec le même type de prise (MHPN MH-2015-121). Un couvercle similaire à double renflement et avec pomme de pin arrondie se retrouve sur une version tardive de la trembleuse (MHPN MH-2007-115). Une petite tasse campaniforme avec une anse en double pointe, de facture grossière, connut une brève existence à la fin de la production (MHPN MH-PO-3090). Les bols à rincer (appelés «jattes à eau» dans les livres de comptes) se présentent dorénavant systématiquement avec un pied à gorge (MCAHL HIS 55-3416; MCAHL 30007; MHPN MH-PO-3225; MHPN MH-PO-1282).

Le renouvellement formel fut plus radical pour une série de récipients dont les profils seront complètement redessinés, comme le pot à crème (ou à lait) à panse tronconique arrondie, anse haute coudée et bec verseur échancré. Plusieurs versions sont connues, selon la conformation des attaches de l’anse: les deux attaches en forme de feuille (MHPN MH-PO-3912; MCAHL 29397); l’attache supérieure en forme de feuille, l’attache inférieure ornée d’un vis en relief (MHPN MH-PO-1440; MCAHL 30806F); l’attache supérieure sans ornement, l’attache inférieure ornée d’une vis (MHPN MH-2007-134B).

La silhouette du sucrier de table fut elle aussi entièrement remodelée, avec un présentoir attenant à aile incurvée et un couvercle incurvé à terrasse plate; on notera les deux prises latérales en forme d’anneaux suspendus (MHPN MH-1999-16; MCAHL 30070; MCAHL 29403). En réalité, cette forme est dérivée d’un modèle relativement peu courant qui doit remonter à la période 1790-95 environ et qui présente une panse à double renflement et un présentoir aux extrémités polylobées (Pelichet 1985/1, fig. 179; MAF C 524; CLS MURO 1282A; MAHN AA 2390). La nouvelle version se distingue par son caractère plus anguleux, une tendance que l’on observe dans plusieurs des formes créées après 1795; à relever également le dessin de la prise ajourée du couvercle, dont la relative complexité fait écho à celle que l’on retrouvera ci-dessous dans certaines innovations, notamment pour ce qui touche à la conception des anses.

Le présentoir de théière a longtemps gardé sa forme initiale, quadrilobée avec un bord formé de quatre accolades (MCAHL 32840; MHPN MH-PO-1551; MHPN MH-PO-1305); il sera remplacé lui aussi par un nouveau modèle, vers 1795 (MCAHL 30018; MHPN MH-PO-1485; MHPN MH-PO-1293; MHPN MH-PO-4316; MHPN MH-2008-3). La boîte à thé présente désormais un profil rectangulaire (MAF C 526C; MHPN MH-PO-3007).

Un bol à bouillon, dit «étrusque» dans les livres de comptes, fut introduit à peu près à la même époque (Pelichet 1985/1, fig. 147); il est absent du présent corpus qui comporte cependant un exemple du présentoir assorti à ce modèle (MHPN MH-2015-107). Un autre type de bouillon apparut vers la fin de la production, une simple forme hémisphérique posée sur pied à gorge haut (presque un piédouche), avec des anses un peu démodées à poucier en forme de feuille. Nous ne connaissons ce modèle qu’en association avec le décor «aux Immortelles» en bleu sous couverte (MHPN MH-PO-4352 – Musée Ariana, inv. AR 2003-534).

Le beurrier est légèrement retouché: son couvercle se présente désormais avec une prise carrée avec attaches moulurées en forme de feuilles (MCAHL 30017; MHPN MH-2007-202 – Musée Ariana, inv. AR 01196).

Le sucrier apparaît dorénavant avec une panse conique à culot arrondi reposant sur un piédouche (MCAHL 30006; MHPN MH-2015-137; MHPN MH-PO-1278 – on notera au passage et à propos de ce dernier exemple, que les formes nouvelles pouvaient parfois cohabiter avec les anciennes: MHPN MH-2015-104); une variante du nouveau sucrier comporte deux prises en forme d’anneaux suspendus (MCAHL 29492; MHPN MH-PO-1294; MHPN MH-PO-127). Le même concept de panse conique sur piédouche se retrouve sur le nouveau modèle de pot à eau (ou à lait), avec son anse haute à attache inférieure bifide (MHPN MH-PO-3964; MCAHL 30009; MHPN MH-2010-18C; MHPN MH-2015-132; MHPN MH-2015-133; MHPN MH-2015-134).

Le MHPN, soit dit en passant, conserve une garniture de toilette, composée du pot et de sa cuvette (MHPN MH-PO-3189).

Le modèle de la cafetière basique ne subit qu’une modification de détail: son anse à poucier en forme de feuille est enrichie – parfois – d’une languette intérieure (MHPN MH-PO-492; MCAHL 30890; MHPN MH-2015-113). Parallèlement, un nouveau type apparaît après 1795, qui semble être un développement du modèle expérimenté dans la période précédente (MHPN MH-PO-494), avec sa panse en forme d’urne sur piédouche mouluré. La version revue et corrigée est munie d’une nouvelle anse et d’un bec verseur partiellement recouvert d’une feuille en relief (MCAHL 30065). Dans sa forme aboutie (MHPN MH-2010-18A et -18B; MHPN MH-2015-100; MAF C 526A), l’anse est ronde avec une languette intérieure et un poucier en forme d’enroulement; l’attache inférieure vient buter contre un culot mouluré, un détail qui évoque l’anse du nouveau pot à eau (voir ci-dessus).

Le renouveau formel entrepris par la manufacture dans une période que nous situons entre 1795 et 1798 – cette phase pour laquelle Droz note un taux d’activité relativement soutenu (mesuré par exemple aux salaires), même si les ventes avaient déjà commencé à stagner – ce renouveau relativement ambitieux s’étendit aussi à des formes plus complexes en lien avec le service à dîner.

La glacière, par exemple, qui se présente désormais avec un corps cylindrique à culot arrondi sur un pied mouluré (MCAHL HIS 55-3841). Ici aussi c’est le caractère élaboré des prises latérales qui frappe en premier lieu. L’«État des marchandises en magasin», qui figure dans le Journal de la manufacture en date du 1er juillet 1801, mentionne des «glacières nouvelle forme»; non décorées, elles valaient alors 20 livres l’unité, contre 12 livres pour les glacières «ancienne forme» (MCAHL 30021).

Le même document cite des saucières «nouvelle forme», un modèle cité dans les comptes en 1795 et 1796 (MHPN MH-2015-93 – Le Musée national conserve un exemple accompagné de son présentoir, inv. LM-42112). On comparera l’anse de cette saucière avec celle des nouveaux modèles de pot à eau et de cafetière.

Dans la même mouvance, nous plaçons le nouveau rafraîchissoir à verres, qui reprend pour l’essentiel le dessin général de l’ancien modèle à créneaux obliques, mais avec l’adjonction de prises ici aussi très élaborées (MHPN MH-2015-142).

Le nouveau répertoire formel comprenait également une terrine (CLS MURO 585), qui se distingue elle aussi par ses éléments de préhension quelque peu maniérés. La forme n’a visiblement pas connu un grand succès: outre l’exemplaire du Château de La Sarraz, avec son décor bon marché (on a cherché écouler à bon compte une forme qui encombrait les stocks), nous n’en connaissons que deux autres exemples; le premier est reproduit dans Blondel 1902, le second se trouve dans une collection privée et présente un décor «mille-fleurs, riche dorure» (Communication de Grégoire Gonin). D’une manière générale, ces nouvelles formes ambitieuses, et nettement plus coûteuses que les modèles anciens, arrivaient à un moment où le marché était en train de se détériorer, d’où leur insigne rareté dans les collections, qu’elles soient muséales ou privées.

Dans le registre des vases, le dernier grand modèle à avoir vu le jour à Nyon est  probablement le vase pot-pourri «Médicis», cité dans les livres de comptes en 1796 et en 1801. Le Musée du Château de Nyon en possède plusieurs exemples, avec une décoration minimale, voire en porcelaine blanche (MHPN MH-PO-4233; MHPN MH-2015-176; MHPN MH-PO-489), alors que le Musée Ariana possède un spécimen arborant un décor plus élaboré (inv. AR 05601). L’Ariana conserve également une variante «riche» du vase «Médicis» munie de prises latérales complexes, conçues dans la même ligne que les éléments de préhension des nouvelles formes évoquées ci-dessus (inv. AR 01283; AR 01284 – pour des répliques modernes de cette version, voir MCAHL 28696B et MHPN MH-1999-45). Le cas du vase «Médicis» illustre en l’occurrence les difficultés croissantes rencontrées par la manufacture dans l’écoulement de ses produits les plus coûteux. Les formes en blanc s’entassant dans les stocks, on tenta de les vendre à des prix plus abordables en leur appliquant des décors économiques, composés de bords dorés et de rehauts noirs (voir MHPN MH-PO-4233) ou de bouquets en camaïeu violet, sans dorure (le Musée national de Zurich conserve une paire de ce genre, inv. LM-5163).

Les décors

Les motifs de bouquets se maintiendront, avec un traitement plus «graphique», plus rigide des sujets, et dans une palette de couleurs à nouveau plus contrastée. Les bouquets sont fréquemment accompagnés du filet bleu barré de doubles traits dorés (MCAHL 29402; MHPN MH-PO-1658; MHPN MH-1999-16). Caractéristiques des dernières années, les roses à pétales ovales fortement marqués (par exemple sur le numéro MHPN MH-2003-2, avec ce bouquet en camaïeu bistre typique des années après 1800) et la présence d’un bleu puissant qui a souvent tendance à s’écailler.

Les décors de bleuets continuent à fournir des contingents importants au sein de la production: semis de branches ou de fleurs esseulées en bleu, pourpre ou dans la formule des «bleuets mêlés», bleus et pourpres. C’est dans cette période que s’épanouit une nouvelle variante de bleuets – souvent en semis alignés – avec feuillage bicolore vert et jaune (MHPN MH-PO-1440; MHPN MH-PO-1362; CLS MURO 1276; CLS MURO 1286 et 1285; CLS MURO 1281; CLS MURO 1278). L’«État des marchandises» de juillet 1801 mentionne une quantité considérable de décors de bleuets sans dorure; ceci ne reflète pas forcément une stratégie visant à liquider des surplus, car, comme l’atteste la liste dressée pour la loterie de 1809 (Bonnard 1934/2 et 3), ces décors sans dorure permettaient avant tout d’écouler les porcelaines de second choix, et ce probablement dans toutes les périodes de la manufacture. Le même État, qui ne mentionne apparemment que les porcelaines peintes de «deuxième classe», montre clairement que les différents motifs de bleuets – avec ou sans dorure – constituaient de loin les plus gros effectifs en stock, suivis d’assez loin par le décor «grecque violette, or» (voir plus loin).

Les décors «mille-fleurs, bord or» (MCAHL 30792B; MCAHL 30017) et «mille-fleurs, riche dorure» (MCAHL 29807B; MCAHL 29807C) constituaient en quelque sort l’équivalent des semis de bleuets mais dans la catégorie supérieure (en 1809 une assiette plate en «mille-fleurs, riche dorure» valait 5 livres, et un peu plus de 3 livres en semis de bleuets avec dorure – Bonnard 1934/2). Dans le Journal de la manufacture, nous avons recensé une douzaine de services à dîner plus ou moins complets entre 1795 et 1801, dont un certain nombre furent exportés en Italie. Huit d’entre eux arboraient un décor «mille-fleurs, riche dorure». Ce semis est invariablement composé de roses, de pensées et de fleurettes fantaisistes. Dans cette dernière phase, les tiges des fleurs principales sont longues, les feuilles ont toujours le même aspect schématisé (deux feuilles rondes pour les roses, une feuille allongée pour les pensées) et la bordure dorée est systématiquement composée des mêmes types de festons de feuilles superposés.

Le décor «Trevor» simplifié se maintiendra sur des services boire ou des objets isolés jusqu’au tournant du siècle (MAF C 516A; MAF C 516B). Inauguré dans la période précédente (MHPN MH-PO-4211), le motif «pensées, roses, sablé or» connut des développements nouveaux, avec un entrelacs végétal qui passa de la couleur vert céladon au noir (MHPN MH-2007-135; MCAHL HIS 55-3823), puis au pourpre avec finalement l’abandon du fond sablé (MHPN MH-2007-141). Comme dans le cas des semis, les fleurs présentent désormais des tiges allongées.

Parmi les innovations, on retiendra le décor «médaillons roses et pensées, ruban pourpre» (MCAHL 30008; MCAHL 30007; MHPN MH-2015-100), introduit vers 1795. «Perles, guirlandes de fleurs» est attesté dès 1793, avec un galon de perles grises (MHPN MH-PO-1403 et -1404), mais il prendra son véritable essor dans la période qui nous intéresse, avec des perles bleues (MHPN MH-2010-18P et -18K). Grégoire Gonin a identifié un service à boire portant ce décor et un monogramme «CB» comme étant une commande de Caroline Burnand d’Yverdon, livré selon les livres de la manufacture en 1795 (Gonin 2019).

Autres nouveautés, les motifs à la «couronne de roses» (MHPN MH-PO-1291; MHPN MH-PO-3176) ou à la «couronne bleue, sablé or» (MHPN MH-PO-1491 et -1492). Une occurrence assez précise dans les livres de comptes nous a permis de dater le décor de «couronne violette, grecque or» qualifié jadis par Pelichet de «service bâlois» (MHPN MH-PO-3906; MHPN MH-PO-2868 – voir «Service Fischer»).

La couronne de fleurs sur fond de couleur existe déjà en 1793, avec un fond brun. Peut-être en allait-il de même pour la variante sur fond doré (MHPN MH-2007-134C et –D; MHPN MH-2007-134B; MHPN MH-2007-134A). Le fond noir, par contre, n’est cité dans les livres qu’à partir de 1796 (MCAHL 30804A; MCAHL 30804B; MHPN MH-2007-136).

 

Le peintre genevois Étienne Gide (1761-après 1804) occupe une place particulière dans l’histoire de la manufacture. Parce qu’il est le seul artiste à avoir signé des œuvres, deux en l’occurrence, dont l’une fut découverte récemment dans la collection du Musée du Château de Nyon (MHPN MH-2015-132), et parce qu’il se profile manifestement comme le meilleur peintre de figures des années 1795-1800. Ses travaux témoignent d’un style éminemment personnel, surtout perceptible évidemment dans ses très grandes figures (MHPN MH-2015-132; MHPN MH-2015-133; MHPN MH-2015-134).

Gide travaillera également à une échelle plus réduite, notamment dans le registre des costumes suisses (MHPN MH-PO-1420; MHPN MH-2007-184). Selon Pelichet, il aurait évité de peu une expulsion en 1796, à la suite d’un tapage nocturne dû à une trop forte consommation d’alcool (Pelichet 1985/1, 29). Quant au très beau portrait féminin en camaïeu violet sur fond bleu réalisé à la même époque et conservé au Château de Nyon, il est fort probablement l’œuvre d’un autre peintre de talent (MHPN MH-2015-21).

D’une manière générale, les décors à figures humaines restent relativement peu nombreux, les plus fréquents se rapportant toujours au thème des costumes suisses, traités désormais dans une polychromie plus saturée et bordés d’un galon doré (MHPN MH-2003-3; MHPN MH-2015-129). Vers le tournant du siècle apparaissent les «figures bistres» et les «figures noires», sous la forme de scènes de genre, d’allégories et autres sujets mythologiques (MHPN MH-PO-3219; MHPN MH-PO-1454; MHPN MH-PO-3220; MHPN MH-PO-1475; MHPN MH-2015-137; MHPN MH-2015-136; MHPN MH-PO-3225). À ce stade, la qualité picturale est de plus en plus inégale. Les pièces n’étant plus systématiquement marquées, on a souvent attribué ce genre de production à l’atelier genevois de Pierre Mülhauser, un peu trop rapidement à notre avis.

Dans la même veine, on trouve également quelques sujets animaliers, notamment des scènes inspirées d’Oudry (MHPN MH-PO-3221; MHPN MH-PO-3222).

Le semis de papillons et autres insectes restera un thème populaire, il est dorénavant systématiquement accompagné d’une bordure à la chaînette dorée. Les papillons ont tendance à prendre de l’ampleur, peints avec précision et dans une palette de couleurs très denses (MHPN MH-2008-53; MHPN MH-2015-104; MHPN MH-PO-1278). Après 1800, les insectes se font encore plus imposants et sont généralement soulignés d’une ombre portée (MHPN MH-PO-1292; MHPN MH-PO-1293; MCAHL 30802). Ce décor fut abondamment imité vers le début du XXe siècle, probablement en France, comme le suggèrent des formes parfaitement étrangères à la manufacture de Nyon (MCAHL 30802A; MCAHL 30802C; MHPN MH-PO-1321). L’absence de marques sur les spécimens nyonnais de cette période rend la distinction parfois ardue, la forme restant le seul critère décisif.

Le thème des trophées ressurgit occasionnellement en cette phase tardive, généralement en conjonction avec la chaînette dorée (MHPN MH-2015-183; MAF C 529). Ici aussi la qualité picturale est en net déclin. Dans le domaine de la peinture d’ornements, la «grecque violette» sera pratiquée longtemps encore, en raison, notamment, de sa sobriété quasi intemporelle (MCAHL 29401; MHPN MH-2007-202). Le décor «guirlandes roses, ruban gris bleu, laurier en or» fut créé en 1795, apparemment pour une commande particulière (MHPN MH-2015-95; MHPN MH-PO-3230). Des décors combinant couronnes florales, cordons ou rubans, créés probablement dans la période précédente, se maintiendront avec de légères variations (MHPN MH-PO-1515 et -1567), dans la coloration d’un ruban par exemple (MHPN MH-PO-1464 et -1465; MHPN MH-2007-156). Parmi les nouveautés on relèvera cette composition curieuse, qualifiée traditionnellement de «décor aux champs de blé» (MHPN MH-2015-113; MHPN MH-2008-3). Très tardif, le décor «ruban bleu, or» (MHPN MH-2007-159; MHPN MH-2007-105) est accompagné parfois d’une grande rosace centrale, un motif secondaire que l’on rencontre régulièrement après 1800 (MHPN MH-2015-107; MHPN MH-PO-4231; MHPN MH-PO-1262 et -1263; MHPN MH-2007-178).

Dans la gamme des ornements riches, le répertoire propose désormais plusieurs types de frises en rinceaux (les livres les nomment «arabesques») meublées de fruits, de fleurs, de vases ou de flèches. Certains sont des développements de formules apparemment éprouvées depuis quelques années, mais traitées avec une emphase nouvelle: on remarquera le bleu tonitruant de cette version tardive des «arabesques, vases bleus» (MHPN MH-2007-108). D’autres motifs sont de vraies nouveautés, comme ces «arabesques, vases sur fond bleu» (MHPN MH-2015-107; MHPN MH-2015-128; MHPN MH-PO-4231). Le décor aux «arabesques noires, fond sablé or» remonte au début des années 1790 (MCAHL 30067 et 30066; MCAHL HIS 55-3551). La comparaison avec le numéro MHPN MH-PO-1363 montre à quel point l’exécution picturale a perdu de sa précision et de sa sensibilité dans la dernière période. Vers 1805, le fond sablé du bandeau contenant la frise fut remplacé par de fins branchages dorés (MHPN MH-PO-4389; MHPN MH-2007-161), avec une qualité picturale encore plus déclinante. Au tournant du siècle apparurent des «arabesques grises, riche dorure», dans des compositions plus aérées (MHPN MH-PO-1262 et -1263; MHPN MH-2007-178). Autre nouveauté, dans une veine plus courante, le motif «chaînette rouge, roses et bâtons, or» (MHPN MH-2007-171). C’est dans cette même période que furent imaginés les fonds de couleur accompagnés de légers semis de fleurs peints à l’or (MHPN MH-2007-119A et -B; MHPN MH-2007-119C et -D; MHPN MH-PO-1265 et -1264). Dans le registre des décors imitant d’autres matériaux, le motif «façon bois» remonte aux premières années de la manufacture et se retrouve çà et là dès 1795 (MAF C 531; MHPN MH-PO-1480).

Les décors «blanc et or» connurent un regain de faveur spectaculaire, en raison de leur coût relativement bas. Ce fut le cas en particulier ses motifs «laurier or» (MAF C 527; MCAHL 30341; MHPN MH-PO-3228) et «chaînette or» (MAF C 526A; MAF C 526D; MHPN MH-2015-121; MHPN MH-2015-138). Dans la Liste des marchandises entrées au magasin entre juillet et décembre 1805, par exemple, les décors «blanc et or» cumulés fournissent le deuxième contingent après les bleuets sans dorure (respectivement 1526 et 2247 pièces).

Les décors émaillés sans dorure, comme nous l’avons vu plus haut, étaient avant tout destinés à faciliter l’écoulement des porcelaines de second choix, entachées de l’un ou l’autre défaut de cuisson. Longtemps cette fonction fut assurée par les seuls semis de bleuets. Dès la fin des années 1790, le très bas de gamme s’enrichit de nouveaux motifs, comme la «grecque brune» (MHPN MH-PO-10053). Après 1800, l’assortiment des décors économiques se diversifia encore davantage et son usage ne se limita plus forcément aux seules pièces défectueuses. Il est probable par contre qu’après avoir constaté le mal endémique qui rongeait la santé économique de l’entreprise, les responsables de la manufacture aient cherché par tous les moyens à développer des produits moins coûteux susceptibles de les aider à écouler les stocks.

À la grecque brune s’ajoutèrent donc la «grecque jaune, bord brun» (MCAHL 29819; MCAHL 29814) et la «grecque verte, bord brun» (MHPN MH-PO-1379). Plus loin, des motifs plus élaborés formés généralement de galons beige-jaune ou brun-rouge ornés de couronnes ou d’entrelacs végétaux (MHPN MH-PO-1439; MBL 20098; MCAHL 31647; MBL 20097; MAF C 528A; CLS MURO 585; MBL 20101; MHPN MH-PO-1588; MHPN MH-PO-2259). L’un des décors les plus répandus de la catégorie, avec, bien sûr, les semis de bleuets sans dorure, fut apparemment le motif «guirlandes sans or» (MCAHL 29322; MCAHL 29403; MCAHL 30065). Comme son nom cité dans les livres de comptes l’indique, le décor «bâtons dits de Paris» s’inspirait d’un motif pratiqué dans l’une des nombreuses manufactures parisiennes de l’époque (MHPN MH-PO-1400; MHPN MH-PO-1516 et -1517). Nous avons effectivement retrouvé un ravier arborant ce même décor et attribué à la manufacture Locré-Russinger au Musée Adrien-Dubouché de Limoges (inv. ADL 11056).

Le tesson et les marques: À partir de 1795 environ, le tesson prend à nouveau un aspect plus blanc et plus froid. La translucidité est très prononcée, avec une légère coloration jaunâtre.

Les marques se font de plus en plus esquissées (voir par exemple MHPN MH-2008-52A; MHPN MH-2015-95; MHPN MH-PO-4389; MHPN MH-2015-161; MHPN MH-2015-465), jusqu’à se réduire à une vague évocation du motif originel, une sorte de têtard formé d’un ovale et d’un simple trait (MHPN MH-2007-148; MHPN MH-PO-4389; MHPN MH-PO-3228; MHPN MH-2015-176; MHPN MH-PO-3912). Vers le tournant du siècle, la marque sera de plus en plus omise. Contrairement à ce qui a pu être affirmé par d’autres auteurs, l’absence de marque est plutôt exceptionnelle dans les périodes précédentes. Dans les dernières années de la production, les formes peuvent paraître plus épaisses et moins bien finies: c’est probablement dû au fait qu’on a renoncé à renouveler certains moules par mesure d’économie.

Le cas particulier des réassortiments «maison»

En étudiant le présent corpus, nous avons rencontré trois cas où un ensemble de porcelaines de Nyon comporte un élément visiblement plus tardif et généralement d’une qualité d’exécution inférieure à celle de ses congénères (MHPN MH-2007-185; comparer MHPN MH-1999-65 et MHPN MH-1999-57 et -62; MHPN MH-2015-495 et -496); dans deux de ces cas, l’«intrus» est en plus dénué de marque. Dans un premier mouvement, on est tenté de considérer ces éléments comme de simples falsifications modernes, à plus forte raison quand la marque fait défaut. Un examen plus précis des objets suspects, notamment de leurs émaux, révèle cependant que ces derniers sont parfaitement cohérents avec la palette de la manufacture et que la manière de peindre certains éléments secondaires, comme les motifs floraux, correspond bien au style de la maison, fût-ce un style plutôt tardif. D’autre part, le dépouillement des livres de comptes nous a permis de constater que la manufacture n’a pas seulement réassorti des services étrangers, mais qu’elle s’est en quelque sorte aussi réassortie elle-même. Il arrivait assez fréquemment, en effet, que des clients commandent un élément isolé pour compléter un service acquis depuis un certain temps déjà, par exemple un couvercle perdu ou cassé. Souvent avec un décor qui ne figurait plus forcément dans l’assortiment courant. Dans les cas cités plus haut, avec des réassortiments exécutés 15 ou 20 ans après les pièces originelles (c’est surtout flagrant avec le numéro MHPN MH-1999-65), on voit bien que le savoir-faire n’était plus à la hauteur, du moins pour les parties les plus exigeantes du motif, comme la figure humaine.

Bibliographie:

Blaettler 2017
Roland Blaettler, CERAMICA CH III/1: Vaud (Nationales Inventar der Keramik in den öffentlichen Sammlungen der Schweiz, 1500-1950), Sulgen 2017, 21-37.

Blondel 1902
Auguste Blondel, La porcelaine à l’Exposition de céramique suisse ancienne. In: Nos Anciens et leurs œuvres. Recueil genevois d’art II, 1902, 115-134.

Bobbink-De Wilde 1992
Hilde Bobbink-De Wilde, Porcelaines de Nyon. Collections du Musée Ariana de Genève et du Musée historique et des porcelaines de Nyon. Musées et collections 3. Genève 1992 (1ère édition: 1983).

Bonnard 1934/2
Georges Bonnard, Trois documents relatifs à la manufacture de porcelaine de Nyon. II. In: Indicateur d’antiquités suisses 36/3, 1934, 208-213.

Bonnard 1934/3
Georges Bonnard, Trois documents relatifs à la manufacture de porcelaine de Nyon. III. In: Indicateur d’antiquités suisses 36/4, 1934, 273-283.

De Molin 1904
Aloys de Molin, Histoire documentaire de la manufacture de porcelaine de Nyon, 1781-1813, publiée sous les auspices de la Société d’histoire de la Suisse romande et de la Société vaudoise des beaux-arts. Lausanne 1904.

Droz 1997
Laurent Droz, Les comptes de la manufacture de porcelaine de Nyon, 1791-1813. Aspects économiques, mémoire de licence, Université de Lausanne 1997.

Ducret 1962
Siegfried Ducret, Unbekanntes Porzellan, in: Weltkunst 4, 1962, 9.

Gonin 2018a
Grégoire Gonin, Le vieux Nyon. Splendeur et fragilité d’une porcelaine, in: Passé simple 31, 4-12.

Gonin 2019a
Grégoire Gonin, La porcelaine de Nyon et ses acteurs socio-économiques: le «déjeuner Burnand» (1795) de sa commande à sa dispersion et à sa réapparition contemporaines. Revue des Amis suisses de la céramique 133, 3-14.

Martinet 1911
Aimé Martinet, Guide de l’amateur de porcelaine de Nyon, 1781-1813. En souvenir d’une exposition de porcelaine de Nyon à la salle Thellusson. Genève 1911.

Pelichet 1985/1
Edgar Pelichet, Merveilleuse porcelaine de Nyon. Nouvelle édition remaniée et définitive. Lausanne 1985.