Château de Nyon – Musée historique et des porcelaines
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Roland Blaettler 2019
La genèse des musées de la ville de Nyon remonte à l’année 1841, quand un groupe de notables émit le désir de créer une Société du Musée dans le but de constituer des collections et de leur trouver un lieu de conservation, voire d’exposition. La société ne sera formellement constituée que le 23 septembre 1860. Plusieurs commissions furent alors mises sur pied afin de déterminer les domaines qu’il serait judicieux de développer: objets palafittes, numismatique, antiquités romaines, etc. Grâce, avant tout, aux dons émanant de la population, les premiers fonds commencèrent à prendre forme et furent d’abord entreposés et exposés dans le bâtiment du Collège.
La Société du Musée sera dissoute en 1888 et, conformément aux dispositions consignées dans ses statuts, les collections passèrent dans le patrimoine de la Ville de Nyon. Elles seront redéployées au château, dans les quatre pièces du rez-de-chaussée donnant sur le lac, tandis que l’autorité municipale inscrivait un montant, encore fort modeste, à son budget annuel pour financer l’entretien et l’agrandissement des fonds. En 1901, Théodore Wellauer, qui avait été l’un des fondateurs du Musée et qui occupa la fonction de conservateur jusqu’à sa mort en 1908, édita un guide consacré à la ville de Nyon (Wellauer 1901). L’ouvrage livre une description du contenu des vitrines du musée à cette époque (passage reproduit in extenso dans Lieber 2011, 72). On pouvait y voir, entre autres, des antiquités des époques «lacustre» et romaine, des dessins et gravures, une collection de cachets de cire, des collections d’histoire naturelle, des monnaies anciennes, des objets du Moyen Âge et des temps modernes, des armes, des tableaux dont quelques portraits de notables. Comme dans la plupart des musées créés à cette époque, l’orientation de la nouvelle institution était clairement encyclopédique. Dans le domaine de la céramique, l’exposition proposait des carreaux de poêle et des assiettes en terre cuite engobée réalisées pour le batelier Jacques Populus (MHPN MH-FA-521; MHPN MH-FA-520; MHPN MH-FA-519; MHPN MH-FA-536); quant à la porcelaine de Nyon, elle n’était représentée à ce stade que par «quelques échantillons» (Lieber 2011, 68-83, 168 et 169).
Cet état de fait ne tarda pas à être ressenti comme une anomalie, à mesure que le public et les amateurs redécouvraient le «Vieux Nyon». Selon Grégoire Gonin, la porcelaine de Nyon semble faire son apparition dans des expositions vouées à la céramique ancienne à l’Athénée de Genève dès les années 1871-1874. Le thème sera aussi abordé dans le cadre de l’Exposition fédérale des beaux-arts de Lausanne en 1880 et dans les expositions nationales de Zurich (1883) et de Genève (1896). En 1908, le Musée Jenisch de Vevey consacrera même une exposition monographique à la porcelaine nyonnaise (pour un historique détaillé de la redécouverte du «Vieux Nyon» dès le dernier quart du XIXe siècle, voir Gonin 2017).
À Nyon, les responsables politiques, bien que toujours plus conscients de l’importance de cet aspect de leur patrimoine local, réagiront avec un empressement modéré. En avril 1912, par exemple, la Municipalité, pour donner suite à une observation de la Commission du Musée, chargea cette dernière instance d’étudier la «question de la création d’une collection d’anciennes porcelaines de Nyon au Musée, ainsi que d’obtenir de particuliers des spécimens de ces porcelaines» (Archives communales de Nyon [ACN], Bleu A-73, séance du 29 avril 1912). Bien que nous n’ayons pas eu l’opportunité de dépouiller systématiquement les délibérations de la Municipalité, il semble que la question soit restée en suspens pendant de nombreuses années. Le 16 janvier 1933, par exemple, la Municipalité était informée qu’une délégation conduite par le syndic avait examiné la collection de porcelaines de M. de Palézieux-Du Pan à Genève, dans l’optique d’une éventuelle acquisition pour le Musée. Vu le prix élevé demandé – 7000 francs pour 120 à 130 pièces «dont les trois quarts environ sont fendues ou réparées» – il fut décidé de renoncer à cet achat, «pour le moment» (ACN, Bleu A-86). L’année suivante, l’autorité se résolut enfin à acquérir un service en porcelaine «Vieux Nyon» de Madame C. Dreyfus-Reymond à La Chaux-de-Fonds, au prix de 122 francs (ACN, Bleu A-87, séance du 18 juin 1934). L’ancien inventaire du musée ne nous a pas permis d’identifier cet ensemble. Le seul service en porcelaine dont la provenance n’est pas clairement établie est issu de la fabrique parisienne de Guérhard et Dihl (MHPN MH-PO-4353; MHPN MH-PO-4354; MHPN MH-PO-4355; MHPN MH-PO-4356; MHPN MH-PO-4358 et -4359). Il porte certes un décor de bleuets proche de ceux que l’on connaît à Nyon, mais tous ses composants arborent la marque parfaitement explicite de la manufacture !
Le musée entra dans une ère nouvelle dès 1938, avec la nomination au poste de conservateur d’Edgar Pelichet (1905-2002), le fils de l’ancien syndic Ernest Pelichet, avec un traitement annuel de 100 francs (ACN, Bleu A-89, séance du 5 janvier 1938). Le nouveau venu exercera sa fonction à côté de sa profession d’avocat. Dès 1950 il assumera en plus le poste d’archéologue cantonal et de responsable des monuments historiques, une charge qu’il occupa à mi-temps et en parfait autodidacte jusqu’en 1975. Comme si ce cumul de fonctions ne suffisait pas, il sera nommé conservateur du Musée Ariana à Genève en 1961, où il restera actif jusqu’en 1976 !
Porcelaine et faïences fines de Nyon
La collection de porcelaines n’avait guère évolué jusqu’alors. Dans une chronique publiée dans La Revue du dimanche du 27 avril 1941 (p. 1), Félix Bonjour mentionne un échange d’objets qui serait intervenu en 1939 entre le collectionneur genevois Jean Albert Mottu (1874-1951) et le Musée, qui aurait fait entrer les «cinq premiers beaux exemplaires» dans les collections nyonnaises. Ici également, nous ne sommes pas en mesure d’identifier les objets en question. Le fonds ne prendra son véritable essor qu’en 1940, après que la Municipalité eut accepté le geste généreux de Julie Monastier-Mugnier (décédée en décembre 1939), qui léguait à la ville de Nyon la collection rassemblée par son mari, le Dr André Monastier (1868-1931), un médecin installé à Céligny.
Riche de quelque 300 pièces, dont le fameux service «Napolitain» (MHPN MH-PO-1730; MHPN MH-PO-1534; MHPN MH-PO-1532; MHPN MH-PO-1518; MHPN MH-PO-1542; MHPN MH-PO-1544; MHPN MH-PO-1522 et -1366; MHPN MH-PO-1546; MHPN MH-PO-1555 et -1556, entre autres), la collection fut rapidement installée au château. La nouvelle présentation sera inaugurée le 24 février 1940 (La Revue du 26 février 1940, p. 5).
Disposant enfin d’un premier corpus digne de ce nom, Pelichet allait pouvoir se pencher sur la problématique de la porcelaine locale. En 1940 déjà, il publiait une petite brochure intitulée Porcelaine de Nyon, 1781-1813, qui témoigne de la volonté des autorités de mettre en valeur les nouvelles richesses du musée et où l’on remarque aussi que l’auteur
n’en était qu’à ses premiers pas dans l’exploration de sa matière (Pelichet 1940). Mais le conservateur ne tarda pas à se passionner pour son sujet, jusqu’à devenir une figure incontournable dans le domaine. Son premier tour de force sera l’organisation, en 1947, de l’Exposition nationale de porcelaines de Nyon, présentée au château du 19 mai au 19 juin. L’événement, qui reste à ce jour la plus importante exposition jamais consacrée à ce thème, était patronné entre autres par la Société des amis de la céramique suisse. Le catalogue comportait plus de 700 numéros, avec des objets prêtés par plus de quarante particuliers et par les plus importants musées du pays (Nyon 1947).
Plusieurs éminents collectionneurs de l’époque, dont certains trésors aboutiront par la suite dans la collection nyonnaise, accordèrent des prêts: l’ingénieur Jean Nicolet (1896-1970), le régisseur Bernard Naef (1892-1984), le banquier Roger de Cérenville (1881-1960), Paul Grand d’Hauteville (1875-1947), le négociant genevois Jacques Salmanowitz (1884-1966), le notaire Henri-Samuel Bergier (1875-1958), le banquier Maurice Golay (1890-1948) ou encore l’antiquaire genevois Aimé Martinet (1879-1963). Pour une histoire du collectionnisme dans le domaine qui nous intéresse, on se référera une fois encore à l’ouvrage de Grégoire Gonin (Gonin 2017).
En 1948, la Société des amis de la céramique suisse organisa sa première exposition de céramique suisse des XVIIIe et XIXe siècles, à Jegenstorf. La porcelaine de Nyon y était bien représentée, avec 160 numéros au catalogue. Dans ce dernier, le chapitre dévolu à la manufacture nyonnaise fut rédigé par Martinet. La grande majorité des pièces provenaient de collections privées; bien que les provenances ne soient pas précisées, on y reconnaît de très nombreux spécimens issus des collections de Martinet lui-même et de Roger de Cérenville. Le Musée historique de Nyon participa à l’événement en prêtant une quinzaine de porcelaines (Jegenstorf 1948).
La porcelaine avait finalement trouvé un ancrage dans l’institution muséale nyonnaise, qui sera bientôt rebaptisée «Musée historique et des porcelaines». Quant à Edgar Pelichet, l’exposition de 1947 lui avait permis de tisser des liens étroits avec les collectionneurs et les antiquaires et, surtout, de se confronter très concrètement à la réalité de la production de Nyon dans toute sa diversité. Le fruit de cette immersion sera la publication de ce qui reste sa plus importante contribution à l’histoire de la manufacture de Nyon: l’ouvrage Porcelaines de Nyon paru en 1957 (voir plus bas).
En 1958, dans le cadre des manifestations célébrant le Bimillénaire de la Ville de Nyon et en lien étroit avec les Amis de la céramique suisse, Pelichet mit sur pied l’exposition «Vingt siècles de céramique en Suisse», qui se tint au château du 21 juin au 31 août. Les productions locales y seront largement représentées, non seulement la porcelaine, mais également les faïences fines des différentes périodes. Paradoxalement, la partie du catalogue concernant la porcelaine de Nyon est la moins détaillée: Pelichet, probablement trop accaparé par ses tâches d’organisateur, se contenta d’y donner un bref descriptif des vingt vitrines consacrées au sujet (Nyon 1958).
Pour revenir à la collection du musée, elle ne connaîtra plus de développement majeur dans les trente années qui suivirent le legs Monastier: des dons isolés émanant de collectionneurs impliqués dans la grande exposition de 1947, auxquels s’ajouteront quelques acquisitions de faïences fines issues des différentes fabriques nyonnaises du XIXe siècle. En 1950, par exemple, les enfants de Mme Robert David-Rogivue de Corseaux, Mathilde née Rogivue, décédée en 1949, offrirent trois porcelaines de Nyon en souvenir de leur mère (La Nouvelle Revue de Lausanne du 25 juillet 1950, 5). Nous avons retrouvé deux de ces objets, lesquels avaient d’ailleurs figuré dans l’exposition de 1947: un pot à crème à décor de trophées (MHPN MH-PO-3103) et une corbeille avec présentoir (MHPN MH-PO-3104 et -3105). Quatre ans plus tard, les mêmes complétèrent leur donation par une vingtaine de porcelaines, malheureusement difficiles à identifier sur la base de l’ancien inventaire (Journal de Nyon du 2 juin 1954, 2). L’entrefilet paru à cette occasion précise que les objets en possession de Mathilde provenaient de la collection de son père, un docteur Rogivue établi à Lausanne.
En 1969, Julien Richard léguera une vingtaine de porcelaines de qualité plutôt courante. En 1973, André-Laurent Kunkler fit don d’une quarantaine de pièces provenant de la collection de son père, l’architecte Édouard Kunkler (1858-1939), Vaudois d’origine et établi à Genève. Cet ensemble de belle qualité comporte une majorité de pièces relevant de la première période de la manufacture, notamment le service au monogramme «FPM» (MHPN MH-PO-4288; MHPN MH-PO-4287; MHPN MH-PO-4290; MHPN MH-PO-4289; MHPN MH-PO-4286; MHPN MH-PO-4285; MHPN MH-PO-4291-7 et -8; MHPN MH-PO-4291-12 et -13); dans le lot figurent également quelques objets prêtés jadis par Kunkler dans le cadre de l’Exposition nationale de 1896. Deux ans plus tard, Pierre Nicolet, le fils d’un autre collectionneur bien connu, l’ingénieur Jean Nicolet (1896-1970), offrait en souvenir de son père le superbe service aux costumes suisses conservé dans son coffret de voyage d’origine (MHPN MH-PO-4306; MHPN MH-PO-4302; MHPN MH-PO-4295; MHPN MH-PO-4305 et -4298; MHPN MH-PO-4297 et -4301; MHPN MH-PO-4303 et -4299; MHPN MH-PO-4304 et -4300).
Edgar Pelichet prit sa retraite en 1980. Pascale Bonnard lui succéda à la tête de l’institution. Avec le titre de collaboratrice scientifique à mi-temps, elle devra assumer la charge non seulement du Musée historique et des porcelaines, mais également du Musée du Léman, fondé en 1954 sous l’impulsion de Pelichet, et du Musée romain, inauguré en 1979. Dans des conditions pour le moins précaires, elle réussit néanmoins à mettre sur pied, en 1987, une exposition consacrée aux faïences fines nyonnaises des XIXe et XXe siècles, la première manifestation monographique consacrée à cet aspect longtemps négligé de la tradition céramique locale. Bien que le musée ne disposât pas d’un budget d’acquisition propre, elle put acquérir un premier corpus significatif d’objets issus de la Manufacture de poteries fines, principalement pour les années 1925-1960. La plupart de ces objets provenaient de la collection de Josué Rieben, ancien contremaître à la manufacture.
En 1989, les autorités municipales restructurèrent le Service des musées dans le sens d’une professionnalisation plus poussée de l’encadrement des collections. Les trois musées furent dotés chacun d’un conservateur à mi-temps. Pascale Bonnard prit les rênes du Musée romain et le Musée historique et des porcelaines fut confié à Pierre-Antoine Troillet. Chaque institution était désormais dotée d’un budget d’acquisition, certes fort modeste. Grâce aux contacts établis par Bonnard dans le cadre de la préparation de l’exposition de 1987, Troillet fut en mesure de développer encore la partie des collections dévolue aux produits de la Manufacture de poteries fines des années 1920-1960, notamment en acquérant, en 1990, quelque 90 objets issus de la collection de Marcelle Dugerdil à Genève. Le nouveau conservateur fit également l’acquisition d’un beau groupe de faïences fines de l’époque Robillard.
En 1995, un nouveau conservateur fut nommé en la personne de Vincent Lieber, qui pourra désormais se vouer à sa tâche dans le cadre d’un poste à plein temps. Le château ferma ses portes de 1999 à 2006 afin de subir d’importants travaux de restauration. Dans la nouvelle configuration des lieux, le Musée historique et des porcelaines gagnera des espaces supplémentaires, puisqu’il pourra se déployer à tous les étages de l’édifice. La présentation de la porcelaine y trouvera un lustre nouveau, d’autant plus que la collection allait connaître un développement sans précédent.
En 2007 par exemple, le musée reçut une centaine de pièces issues de la fameuse collection de Roger de Cérenville (1881-1960), léguées par sa fille Anne Bischoff-De Cérenville, décédée en 2006. On relèvera parmi cet ensemble de qualité la trembleuse aux armes et au chiffre de Frédéric de Chambrier (MHPN MH-2007-154), une terrine et une trembleuse avec des motifs floraux précoces de grand intérêt (MHPN MH-2007-176; MHPN MH-2007-196), une grande tasse couverte rehaussée d’un médaillon figurant un enfant dans le genre de Boucher de la plus belle qualité picturale (MHPN MH-2007-113) ou encore le bol à rincer du service orné de médaillons à bordure rose qui avait figuré à l’Exposition nationale de 1896, alors qu’il appartenait à Amélie Reverdin de Genève (MHPN MH-2007-114).
Grâce à un budget d’acquisition revu à la hausse et à une dépréciation assez généralisée de la porcelaine ancienne sur le marché de l’art, Vincent Lieber se trouva en mesure de développer dans les années qui suivirent une politique d’acquisition sans précédent. Entre 1995 et 2015, le fonds de la porcelaine de Nyon s’enrichit ainsi de quelque 250 pièces, en plus des 115 objets entrés à la faveur des legs et des dons. Parmi ces achats on compte nombre de spécimens remarquables provenant de grandes collections: le service orné de têtes de guerriers antiques en grisaille ayant appartenu à la famille Couvreu de Deckersberg à Vevey (MHPN MH-1999-49; MHPN MH-1999-47; MHPN MH-1999-57 et -62; MHPN MH-1999-48; MHPN MH-1999-65) ou encore le saladier destiné à réassortir un service en Chine de commande et qui avait figuré dans la collection de Paul Oberer à Bâle, lequel présidait la Société des amis de la céramique suisse à l’époque de l’exposition de 1947 (MHPN MH-2012-99).
L’homme d’affaires genevois Jacques Salmanowitz (1884-1966) possédait sans aucun doute l’une des plus somptueuses collections constituées dans les premières décennies du XXe siècle. De larges pans de cet ensemble prestigieux furent dispersés à Genève en 2008 et à Zurich en 2014, même si les catalogues de vente ne mentionnaient pas cette provenance (Gonin 2017). À l’occasion de ces deux vacations, le musée put acquérir une vingtaine de pièces, dont l’un des exemples emblématiques de la production nyonnaise, le fameux vase aux trophées (MHPN MH-2015-178). Plus loin, on remarquera un exemple rare de soupière de la première période (MHPN MH-2015-143) et un plat arborant l’un des plus beaux décors floraux qu’il nous ait été donné de voir à Nyon, traité dans cette manière picturale déliée et naturelle qui ne se maintiendra que pendant les premières années de la production (MHPN MH-2015-144).
La vente de 2014 comportait également une suite remarquable de trois pots à eau décorés par Étienne Gide, parmi lesquels l’un des deux seuls spécimens signés connus à ce jour dans toute la production de Nyon (MHPN MH-2015-132). Ce dernier était en possession de Salmanowitz en 1947, le second fut publié en 1957 par Pelichet comme appartenant à Aimé Martinet (MHPN MH-2015-133) et le troisième était signalé chez Martinet en 1950, puis chez Jean Nicolet en 1985 (MHPN MH-2015-134). On ne saura probablement jamais si Salmanowitz avait réuni les trois pots au fil du temps ou si la maison de vente les a trouvés dans des collections distinctes. Toujours est-il que cette suite constitue désormais l’un des joyaux de la collection du musée.
Une politique d’acquisition consiste évidemment à combler les lacunes d’une collection, de manière à lui conférer plus de cohérence; elle peut aussi amener le responsable à reconstituer, du moins partiellement, des ensembles dispersés au fil du temps. L’exemple du service orné de médaillons à bordure rose évoqué plus haut est symptomatique à cet égard. En 1947 l’antiquaire Rehfous avait donné une tasse et une soucoupe au musée de Nyon (MHPN MH-PO-1587 – en même temps, il offrait la cafetière à l’Ariana, inv. 018710). En 2003, Lieber put acheter la théière (MHPN MH-2003-137) et, quatre ans plus tard, c’est le bol à rincer qui entra dans la collection, grâce au legs d’Anne Bischoff (MHPN MH-2007-114); en 2008, finalement, le conservateur fit l’acquisition de trois autres tasses avec leurs soucoupes (MHPN MH-2008-2; MHPN MH-2008-46A; MHPN MH-2008-46B).
Les plus beaux services personnalisés nyonnais, ornés d’armoiries et de chiffres, furent créés pour de riches clients établis dans le nord de l’Italie, vers le début des années 1790. Longtemps, la collection du musée n’en comportait qu’un exemple isolé: une tasse au chiffre du comte Gustave de Wrangel de l’ancienne collection Monastier (MHPN MH-PO-1423 et -1422). En 2008, le conservateur commença à corriger ce point faible de la collection en acquérant la trembleuse aux armes et au chiffre d’Anna Pieri Brignole-Sale (MHPN MH-2008-48). Entre 1999 et 2008, il constitua un groupe représentatif pour ce type de production de première qualité en achetant la théière et trois tasses et soucoupes du service aux armes d’alliance Vallesa et Filippa di Martiniana (MHPN MH-2002-300; MHPN MH-1999-120; MHPN MH-2015-452); les autres éléments de cet ensemble probablement incomplet, tel qu’il fut dispersé à Genève en 1975, sont conservés aujourd’hui au Musée national de Zurich (le sucrier, une tasse et sa soucoupe – inv. LM-59584; LM-59585; LM-59586) et au Musée Ariana (la cafetière, deux tasses et soucoupes – inv. AR 10715; AR 10716; AR 10717).
En 2013, le musée eut l’opportunité d’acquérir un important reliquat d’un service en Chine de commande réassorti à Nyon dans les années 1780, le «service Cuénod» (MHPN MH-2013-117; MHPN MH-2013-113M; MHPN MH-2013-112E; MHPN MH-2013-106; MHPN MH-2013-105B; MHPN MH-2013-111; MHPN MH-2013-101; MHPN MH-2013-108A; MHPN MH-2013-104; MHPN MH-2013-102; MHPN MH-2013-110; MHPN MH-2013-103; MHPN MH-2013-107). Une partie de l’ensemble, fait rarissime, est documenté par une note datée de 1784, dans laquelle le commanditaire détaillait les négociations engagées avec la manufacture dans l’espoir d’obtenir un prix plus favorable (document acquis avec les porcelaines et conservé dans les archives du Château de Nyon).
Ce groupe de huit pièces chinoises (une terrine – MHPN MH-2013-117 – six bols et sept soucoupes – MHPN MH-2013-118B et -118J) et de 47 pièces de Nyon, compte notamment 20 assiettes plates et trois plats qui ont certainement été fabriqués à la fin de 1784 ou au début de 1785, si l’on en juge par la note susmentionnée (MHPN MH-2013-113M; MHPN MH-2013-106; MHPN MH-2013-105B). Les objets en question présentent trois ou quatre types assez cohérents de la marque au poisson qu’il nous est désormais possible de dater assez précisément. Cette découverte nous a permis d’affiner un peu plus la chronologie relative que nous tentons d’établir pour la production de Nyon (voir le chapitre «Porcelaine de Nyon»).
La dernière acquisition marquante, à l’heure où nous rédigeons ces lignes, concernait la «garniture de cheminée» du château d’Hauteville (MHPN MH-2015-156; MHPN MH-2015-154; MHPN MH-2015-155). Les trois caisses à oignons qui la composent, avec leur exceptionnel décor de singeries, furent probablement acquises par Daniel Grand de la Chaise (1761-1828), peu après qu’il fut devenu seigneur d’Hauteville. Elles demeureront au château jusqu’au moment de la dispersion de son mobilier en 2014.
La politique d’acquisition développée au musée depuis l’arrivée de Vincent Lieber a produit des effets particulièrement remarquables dans le domaine de la porcelaine, elle n’en a pas pour autant négligé les autres aspects de la tradition céramique locale. Dans la mesure des objets disponibles sur le marché, le fonds des faïences fines du XIXe siècle s’est enrichi d’une cinquantaine d’objets. Ceux qui ont trait aux productions modernes ont été régulièrement enrichis, en particulier pour la Manufacture de poteries fines de Nyon, les céramiques de type «Pflüger Frères», l’atelier des frères Richard et les terres cuites marquées «Kaeppeli & Rüegger».
En 2000, le musée fit l’acquisition de l’ancienne collection d’Edgar Pelichet, composée notamment d’un large assortiment de figurines animalières conçues par différents artistes et éditées à la Manufacture de poteries fines de Nyon dans les années 1935-1950 (par exemple MHPN MH-2015-354; MHPN MH-2015-342; MHPN MH-2015-361; MHPN MH-2015-362; MHPN MH-2015-357; MHPN MH-2015-375; MHPN MH-2015-378; MHPN MH-2015-367). Comme en témoigne une ébauche de catalogue datée de 1992 et conservée dans les archives du Musée, Pelichet avait envisagé une petite publication sur le thème des figurines nyonnaises à partir de sa collection personnelle (Pelichet 1992). Ses notes fournissent quelques indications, notamment sur la paternité de certains modèles. Dans nos propres descriptifs, nous nous référons à ces informations souvent basées sur des témoignages d’anciens collaborateurs recueillis par Pelichet, mais avec toute la prudence qui s’impose.
Porcelaines et faïences européennes
En 1983 le musée reçut de Jean Bulla de Villaret, une relation de Pelichet, une dizaine de porcelaines européennes qui constituent un petit groupe plutôt isolé dans les collections.
Ces objets de très bon niveau ont visiblement été collectés par un connaisseur: on relèvera en particulier une assiette de l’un des plus célèbres services commandés à Meissen par le comte von Brühl (MHPN MH-PO-4382), un bol à bouillon du «Service japonais » créé par la Manufacture royale de Berlin pour Frédéric II de Prusse (MHPN MH-PO-4377) et une cafetière de Höchst ornée d’une scène de genre probablement peinte par Louis-Victor Gerverot (MHPN MH-PO-4378).
Nous ne savons pratiquement rien de Jean Bulla de Villaret, sinon que sa particule était plutôt du type «cosmétique» et qu’il avait ses entrées dans les coulisses du Musée Ariana à l’époque où Pelichet en était le conservateur.
La collection Held
Éminent professeur de médecine dentaire à l’Université de Genève, Arthur-Jean Held (1905-1999) était aussi un grand amateur des faïences de Moustiers du XVIIIe siècle. Il se lia d’amitié avec Joseph Chompret (1869-1956), lui aussi odontologue et grand connaisseur de faïences anciennes. Très actif dans la promotion de l’histoire de la céramique, Chompret fut notamment l’une des chevilles ouvrières du fameux Répertoire de la faïence française publié entre 1933 et 1935. Il présida en outre, pendant un quart de siècle, les Amis du Musée de Sèvres. Chompret donnera une grande partie de sa vaste collection au Musée de Sèvres et au Musée des arts décoratifs de Paris. C’est peut-être sous l’influence de son ami et collègue qu’Arthur-Jean Held développa son goût pour la faïence ancienne et qu’il constitua, dès 1950, une collection riche d’une centaine de pièces, presque essentiellement attribuées à l’époque aux différentes manufactures de Moustiers-Sainte-Marie. En 1960, il publiait un article sur le sujet dans les Cahiers de la céramique et du verre, la revue des Amis de Sèvres, largement illustré avec des objets de sa collection (Held 1960).
Held était proche également d’Henry Reynaud, auteur de plusieurs ouvrages sur les productions moustiéraines et président de l’Académie de Moustiers, dont Held fut d’ailleurs membre d’honneur. Un certain nombre d’objets appartenant à Held seront reproduits dans un ouvrage que Reynaud publiera à Berne en 1961 sous le titre Faïences anciennes de Moustiers (Reynaud 1961).
La collection Held fut d’abord déposée au Musée historique en 1986, avant de faire l’objet d’une donation en faveur de la Ville de Nyon en 1993, en souvenir de l’origine nyonnaise de l’épouse du collectionneur, Marcelle Held née Lüscher. La présentation de cet ensemble au sein de l’exposition permanente au château fut inaugurée le 3 septembre 1993 (24 Heures du 6 septembre 1993, 16). Pour l’occasion, le musée édita une petite publication rédigée par le donateur, qui constitue certes un bel hommage aux faïenciers de Moustiers mais ne répond plus aux exigences scientifiques actuelles (Held 1993). La collection ne restera exposée que jusqu’en 1999.
La donation Held constitue à ce jour le plus important ensemble de faïences de Moustiers et du midi de la France conservé dans une institution publique suisse. Elle comporte quelques morceaux d’anthologie en matière de faïence méridionale, comme le plat figurant Hercule soulevant Antée (MHPN MH-HE-1), jadis dans la prestigieuse collection de Charles Damiron; la fontaine à l’effigie de Neptune, publiée par le même Damiron en 1919 et attribuée aujourd’hui à la manufacture de Jacques Ollivier à Montpellier (MHPN MH-HE-39); le plat avec un décor de style Bérain d’une exceptionnelle richesse montrant Orphée charmant les animaux, un chef-d’œuvre dont l’attribution aux Clérissy de Moustiers est également remise en question (MHPN MH-HE-2). Il en va de même de la superbe fontaine à décor Bérain (MHPN MH-HE-45), pour laquelle on ne peut exclure une éventuelle attribution à la manufacture espagnole d’Alcora.
Outre deux groupes d’œuvres représentatives des principales manufactures, celles des Clérissy et d’Olérys-Laugier, la collection compte aussi un certain nombre de faïences issues d’autres ateliers moustiérains, plus ou moins identifiés. Une partie des objets jadis attribués à Moustiers sont donnés aujourd’hui à d’autres centres faïenciers, en France ou ailleurs. On relèvera ici un bel ensemble relevant de la production de Montpellier, dont l’ampleur et la qualité sont désormais attestées, notamment grâce à de nombreuses trouvailles archéologiques (Montpellier 2012).
Le Musée historique et des porcelaines est également dépositaire d’un autre trésor céramique, la collection de pots de pharmacie de Burkhard Reber (1848-1926) appartenant à l’Université de Lausanne et confiée à l’institution nyonnaise en 1962. Cet ensemble remarquable de faïences suisses et européennes fut partiellement exposé au château jusqu’en 1999. Voir le chapitre «La collection de pots de pharmacie de Burkhard Reber».
Bibliographie
Blaettler 2017
Roland Blaettler, CERAMICA CH III/1: Vaud (Nationales Inventar der Keramik in den öffentlichen Sammlungen der Schweiz, 1500-1950), Sulgen 2017, 13-20.
Gonin 2017
Grégoire Gonin, Redécouvrir la porcelaine de Nyon (1781-1813). Diffusion et réception d’un artisanat de luxe en Suisse et en Europe du XVIIIe siècle à nos jours. Neuchâtel 2017.
Held 1960
Arthur-Jean Held, L’art de la faïence à Moustiers-Sainte-Marie. Cahiers de la céramique, du verre et des arts du feu 18, 90-119.
Held 1993
Arthur-Jean Held, Faïences de Moustiers-Sainte-Marie dans les musées de Nyon. Nyon 1993.
Jegenstorf 1948
Ausstellung Schweizer Keramik des 18. und 19. Jahrhunderts im Schloss Jegenstorf/Bern. Ausstellungskatalog, Jegenstorf 1948.
Lieber 2011
Vincent Lieber, Histoire(s) du château de Nyon. Nyon 2011.
Montpellier 2012
Montpellier, terre de faïences. Potiers et faïenciers entre Moyen Âge et XVIIIe siècle. Collection Archéologie de Montpellier Agglomération, AMA 3. Milan 2012.
Nyon 1947
Porcelaines de Nyon. Publié à l’occasion de l’exposition nationale de porcelaines de Nyon. Cat. d’exposition, Château de Nyon. Nyon 1947.
Nyon 1958
Vingt siècles de céramique en Suisse. Cat. d’exposition, Château de Nyon. Nyon 1958.
Pelichet 1940
Edgar Pelichet, La porcelaine de Nyon 1781-1813. Nyon 1940.
Pelichet 1957
Edgar Pelichet, Porcelaines de Nyon. Nyon 1957.
Pelichet 1992
Edgar Pelichet, Les charmantes faïences de Nyon. De surprenants animaux et des vases. Manuscrit inachevé. Nyon 1992 (Archives du Château de Nyon).
Reynaud 1961
Henry Jean Reynaud, Faïences anciennes de Moustiers. Berne 1961.
Wellauer 1901
Théodore Wellauer, Nyon à travers les siècles. Guide de la ville de Nyon avec indicateur administratif, commercial et industriel. Genève 1901.