Cheyres FR, Biétry, Laurent (1770-1853)

Roland Blaettler 2019

En 1765, le Conseil de commerce bernois procéda à une enquête détaillée portant sur la fabrication de vaisselle à cuire dans le Pays de Vaud, afin de répondre à une requête des potiers vaudois qui se plaignaient des méfaits d’une importation massive dans cette spécialité (cité et commenté dans Schwab 1921, 23-25). Les résultats de l’enquête, qui ne concernent pas que la catégorie de la vaisselle à cuire et donnent finalement une image assez complète de l’industrie céramique vaudoise, montrent que la ville d’Yverdon et ses environs comptaient alors pas moins de sept potiers – soit la plus grande concentration en terre vaudoise, comme le souligne Catherine Kulling (Kulling 2001, 33) – et que ces derniers produisaient essentiellement de la «vaisselle blanche» (weisses Geschirr). Quant à la vaisselle à cuire proprement dite (soit des récipients en terre réfractaire), les artisans locaux se déclaraient incapables de rivaliser avec les produits importés.

Dans le cadre de ses recherches fondamentales sur les poêles en catelles vaudois du XVIIIe siècle, Catherine Kulling se penche naturellement sur les poêliers actifs à Yverdon, notamment Jean-Albert Pavid (1710-1778) et Jacob Ingold (vers 1742-1816), qui comptèrent parmi les plus prolifiques et les plus remarquables spécialistes du genre dans le Pays de Vaud (Kulling 2001, 26-105). Quant aux potiers spécialisés dans la fabrication de vaisselle, elle reprend l’hypothèse émise déjà par Schwab (Schwab 1921, 25) et selon laquelle ils auraient pratiqué avant tout la technique de la faïence. Pour étayer ce point de vue, elle s’appuie non seulement sur l’enquête bernoise mais également sur un document qu’elle a trouvé aux Archives communales d’Yverdon: une requête adressée en 1752 au Conseil de Ville par les potiers du lieu, en vue d’obtenir des autorités qu’elles construisent un moulin «propre à broyer les couleurs qui leur sont nécessaires pour la fabrique de leur terre, qui est une façon de fayence» (Kulling 2001, 32).

Pour notre part, nous préférons prendre ce texte au pied de la lettre: les potiers parlent bien d’«une façon de faïence», dans le sens de «sorte de faïence» ou «manière de faïence». À notre avis, la «vaisselle blanche», qui apparaît en 1765 comme une spécialité yverdonnoise, était – majoritairement du moins – une terre cuite revêtue d’un engobe blanc et éventuellement rehaussée d’un décor peint au pinceau sur l’engobe et sous la glaçure plombifère transparente. Une variante plus raffinée de terre cuite engobée, en quelque sorte, par comparaison à la poterie commune. Ce type de production, tout en utilisant une technologie implantée de longue date dans nos régions (et notamment dans la production de poêles), permettait de se rapprocher de l’effet visuel produit par une faïence stannifère, dont la mise en œuvre était plus coûteuse et nécessitait un autre savoir-faire. Dans certains cas, il est même assez ardu de distinguer les deux types de céramiques à l’échelle macroscopique.

Les seuls exemples régionaux clairement identifiables à ce jour et relevant de cette typologie, dans le domaine de la vaisselle, sont des œuvres du potier Laurent Biétry (1770-1853) à Cheyres FR (Babey 2016, 49), à une douzaine de kilomètres d’Yverdon. Le Musée national de Zurich possède deux plats signés et datés de 1795 (SNM LM-6212 et SNM LM-23403). Un troisième plat, sans date ni signature est conservé au Musée Ariana, Genève (MAG R 0136).

Voir aussi: Yverdon VD, Faïencerie Rieff et «vaisselle blanche»

Bibliographie:

Babey 2016
Ursule Babey, Archéologie et histoire de la terre cuite en Ajoie, Jura Suisse (1750-1900). Les exemples de la manufacture de faïence de Cornol et du centre potier de Bonfol (Cahier d’archéologie jurassienne 37), Porrentruy 2016.

Kulling 2001
Catherine Kulling, Poêles en catelles du Pays de Vaud. Confort et prestige. Les principaux centres de fabrication au XVIIIe siècle, Lausanne 2001.

Schwab 1921
Fernand Schwab, Beitrag zur Geschichte der bernischen Geschirrindustrie (Schweizer Industrie- und Handelsstudien 7), Weinfelden/Konstanz 1921.