Yverdon VD, «vaisselle blanche» et Faïencerie Rieff (1811-1847)

Céramique d’ Yverdon (Museum der Kulturen Basel,  VI-59212)?

Roland Blaettler 2019

En 1765, le Conseil de commerce bernois procéda à une enquête détaillée portant sur la fabrication de vaisselle à cuire dans le Pays de Vaud, afin de répondre à une requête des potiers bernois qui se plaignaient des méfaits d’une importation massive dans cette spécialité (cité et commenté dans Schwab 1921, 23-25). Les résultats de l’enquête, qui ne concernent pas que la catégorie de la vaisselle à cuire et donnent finalement une image assez complète de l’industrie céramique vaudoise, montrent que la ville d’Yverdon et ses environs comptaient alors pas moins de sept potiers – soit la plus grande concentration en terre vaudoise, comme le souligne Catherine Kulling (Kulling 2001, 33) – et que ces derniers produisaient essentiellement de la «vaisselle blanche» (weisses Geschirr). Quant à la vaisselle à cuire proprement dite (soit des récipients en terre réfractaire), les artisans locaux se déclaraient incapables de rivaliser avec les produits importés.

Dans le cadre de ses recherches fondamentales sur les poêles en catelles vaudois du XVIIIe siècle, Catherine Kulling se penche naturellement sur les poêliers actifs à Yverdon, notamment Jean-Albert Pavid (1710-1778) et Jacob Ingold (vers 1742-1816), qui comptèrent parmi les plus prolifiques et les plus remarquables spécialistes du genre dans le Pays de Vaud (Kulling 2001, 26-105). Quant aux potiers spécialisés dans la fabrication de vaisselle, elle reprend l’hypothèse émise déjà par Schwab (Schwab 1921, 25) et selon laquelle ils auraient pratiqué avant tout la technique de la faïence. Pour étayer ce point de vue, elle s’appuie non seulement sur l’enquête bernoise mais également sur un document qu’elle a trouvé aux Archives communales d’Yverdon: une requête adressée en 1752 au Conseil de Ville par les potiers du lieu, en vue d’obtenir des autorités qu’elles construisent un moulin «propre à broyer les couleurs qui leur sont nécessaires pour la fabrique de leur terre, qui est une façon de fayence» (Kulling 2001, 32).

Pour notre part, nous préférons prendre ce texte au pied de la lettre: les potiers parlent bien d’«une façon de faïence», dans le sens de «sorte de faïence» ou «manière de faïence». À notre avis, la «vaisselle blanche», qui apparaît en 1765 comme une spécialité yverdonnoise, était – majoritairement du moins – une terre cuite revêtue d’un engobe blanc et éventuellement rehaussée d’un décor peint au pinceau sur l’engobe et sous la glaçure plombifère transparente. Une variante plus raffinée de terre cuite engobée, en quelque sorte, par comparaison à la poterie commune. Ce type de production, tout en utilisant une technologie implantée de longue date dans nos régions (et notamment dans la production de poêles), permettait de se rapprocher de l’effet visuel produit par une faïence stannifère, dont la mise en œuvre était plus coûteuse et nécessitait un autre savoir-faire. Dans certains cas, il est même assez ardu de distinguer les deux types de céramiques à l’échelle macroscopique. Les seuls exemples régionaux clairement identifiables à ce jour et relevant de cette typologie, dans le domaine de la vaisselle, sont des œuvres du potier Laurent Biétry (1743-1809) à Cheyres VD, à une douzaine de kilomètres d’Yverdon. Le Musée national de Zurich possède deux plats signés et datés de 1795 (SNM LM-6212 et SNM LM-23403). Un troisième plat, sans date ni signature est conservé au Musée Ariana, Genève (MAG R 0136).

Notre travail d’inventorisation nous a permis de recenser, dans les cantons de Neuchâtel et de Vaud, plusieurs exemples de terres cuites engobées en blanc et peints au pinceau qui ne relèvent visiblement ni de la tradition alémanique ni d’une tradition étrangère; certains d’entre eux pourraient bien appartenir à cette «vaisselle blanche» d’Yverdon:

MAHN AA 1798; MAHN AA 1847; MAHN AA 1850; MAHN AA 1858; MAHN AA 2189; MAHN AA 2090; MM 2010; MPE 483; MAF No 1; MHL AA.46.B.36.

  

Le Musée Ariana conserve également divers objets susceptibles de rejoindre ce corpus provisoire: MAG AR 11659; MAG G 0161; MAG R 0203.  Un groupe auquel on pourrait peut-être joindre les exemples suivants: MAG R 0146, MAG R 0202, MAG R 0205, MAG R 0206,  FWMC C.1963-1928, MKW 382, SfGB 44, SMT 9641, SMT 9651; MKB HM-1888.0148.01; MKB VI-59211; MKB VI-59212.

La véritable faïence (une terre cuite revêtue d’un émail blanc opaque à base d’étain) était certes pratiquée à Yverdon, mais surtout dans le domaine de la poêlerie, comme en témoignent par exemple les réalisations de Jacob Ingold. Dans le domaine de la vaisselle, par contre, nous ne connaissons qu’un seul exemple en faïence qui puisse être attribué à un atelier yverdonnois, un plat à barbe de forme rocaille daté de 1781, rehaussé d’un décor de bergerie en polychromie de grand feu et signé de la main de Jacob Ingold, justement (SNM LM-23699 – Lisbonne 1998, No 96; Kulling 2001, fig. 323). Il n’est pas exclu qu’Ingold ait confectionné des récipients à côté de son travail de poêlier, mais il est possible aussi que le fameux plat à barbe soit une réalisation relativement exceptionnelle.

Quoi qu’il en soit, la technique de la faïence stannifère était bien connue à Yverdon, comme le prouve cette annonce parue dans la Feuille d’avis d’Yverdon du 3 janvier 1795 (p. 1), où nous apprenons qu’un certain Monsieur Simond, marchand orfèvre, offre à la vente «un parti [d’]étain fin d’Angleterre, propre à l’usage des Fondeurs ou Vernisseurs de pôterie».

En 1791, le potier Jean-François Ecoffey suggérait aux autorités de faire construire une «fabrique de fayence» sur le territoire communal. Visiblement intéressée par les retombées positives que l’on pouvait attendre de cette nouvelle infrastructure, la Ville ne tarda pas à acquérir un terrain au chemin du Cimetière, dans le faubourg de Notre-Dame, et l’établissement fut achevé en 1792. Ecoffey en sera le premier locataire, jusqu’en 1796, l’année où on lui donna son congé (Kulling 2001, 33). Apparemment, l’activité déployée par Ecoffey ne fut pas à la hauteur des espérances: dans les discussions qui porteront sur une éventuelle vente de l’atelier, en 1809, la Municipalité constatera que «ce bâtiment dès sa fondation a été onéreux au public plutôt que profitable» (Deonna 1937, note 5). Ecoffey avait-il seulement produit de la véritable faïence ? Pendant plusieurs années, les autorités chercheront en vain un nouveau locataire capable de faire fonctionner leur faïencerie.

La faïencerie Rieff, 1811-1847

Ayant eu vent de l’opportunité, François Rieff (1767-1838), un faïencier originaire de Poppelsdorf (aujourd’hui un quartier de Bonn, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie) se présenta aux autorités d’Yverdon au début de l’année 1809, avec l’intention de racheter «la maison et le jardin de la Fayencerie». Il est fort probable que Rieff s’était formé dans la manufacture de faïence fondée à Poppelsdorf en 1755. Catherine Kulling a pu établir qu’il venait de passer plusieurs années à Nyon avant d’arriver à Yverdon (Kulling 2001, 33, note 56); aurait-il travaillé dans la faïencerie des Baylon ? Quel qu’ait été le parcours exact de Rieff, la Municipalité entra en matière sans trop hésiter, considérant notamment que «le genre d’industrie que ce citoyen amènerait ici serait utile et avantageux». La formulation de cet argument ne laisse-t-elle pas entendre que la fabrication de la vaisselle de faïence était plutôt une nouveauté pour Yverdon ? L’autorisation du gouvernement cantonal se fit attendre près de deux ans et ce n’est qu’en février 1811 que la vente put finalement être conclue (Deonna 1937, notes 5 et 6).

Sous la houlette de son nouveau propriétaire, la faïencerie semble s’être épanouie. En 1819, François Rieff sera reçu bourgeois d’Yverdon, avec sa femme Jeanne née Charbonnet et leurs trois enfants, deux garçons et une fille. Dans son argumentation, la Municipalité relevait la conduite «active, laborieuse et réglée» du candidat, ainsi que «le genre d’industrie utile qu’il exerce» (Deonna 1937, note 7). L’un des fils de François, Charles-Abraham (1795-1869), qui épousera Françoise Henriette Roulet (morte en 1872), apparaît lui aussi dans les registres municipaux en qualité de faïencier (Deonna 1937, note 8). Quant à son frère Joseph, allié Peytignet (?), nous ne connaissons pas ses dates de vie mais supposons qu’il était l’aîné; jusqu’ici nous savions simplement qu’il émigra en Amérique, non loin de New York (Crottet 1859, 644).

Nos recherches dans la presse locale ont fourni quelques renseignements complémentaires sur ces personnalités et sur les activités de la faïencerie de François Rieff. En 1826, ce dernier fit paraître à plusieurs reprises une annonce stipulant qu’il fabriquait «des fourneaux pour chauffe-pences [sic] et en tous genres [… et qu’il] se transportera aussi pour raccommoder leurs fourneaux. On trouvera chez lui comme du passé, un assortiment complet de terre de faïence, ainsi que de la bonne terre à cuire» (par exemple dans la Feuille d’avis d’Yverdon du 1er juillet 1826, 2). À propos des «chauffe-panse» cités par Rieff, ce mot désignait à l’époque une cheminée de chambre plutôt basse. Le terme est attesté en France et dans d’autres régions de Romandie, même si Emmanuel Develey y voyait une expression vaudoise, qu’il jugeait d’ailleurs «ridicule» (Develey 1824, 23). On peut donc supposer que les fourneaux proposés par notre faïencier étaient des appareils de dimension relativement réduite, éventuellement portatifs et destinés notamment à être encastrés dans des cheminées, de manière à remplacer un foyer ouvert par un système de chauffage plus pratique, plus efficient et plus sûr.

Quelques années plus tard, Joseph Rieff faisait paraître à son tour une annonce, dans laquelle il se présente comme «poéliste, travaillant actuellement pour son compte». Il y offrait ses services pour la fabrication ou le remontage de fourneaux. Il habitait alors chez sa belle-mère, sur la Place, maison de Mr. Bourgeois (Feuille d’avis d’Yverdon du 19 septembre 1829, 2). Où il apparaît que Joseph lui aussi s’était formé au métier, peut-être dans l’atelier paternel, avant de voler de ses propres ailes, vers 1829. L’année suivante, on apprend qu’il a repris le fonds de commerce de Jacob Mébold, «consistant en épicerie, chaircuiterie [sic], farine de Berne, grietz, orge d’Ulm et autres articles trop long à détailler»; Joseph vendait également «un assortiment de terre à cuire et autre […] Il avise aussi qu’il occupera le plain-pied de la maison de l’hoirie Benoit, rue du Milieu. De plus, il continue toujours à fabriquer et raccommoder les fourneaux en quatelles» (Feuille d’avis d’Yverdon du 12 juin 1830, 2). Quelques mois plus tard, Joseph Rieff, «marchand épicier», fait savoir qu’en plus des denrées habituelles, il vient de recevoir «un assortiment de terre de pipe de Carouge» et qu’il est «bien assorti en terre à cuire, dite de Thoune et autre». Par contre, il n’est plus question de son activité en qualité de poêlier (Feuille d’avis d’Yverdon du 18 septembre 1830, 2).

Son frère Charles – comme l’attestent plusieurs objets signés – œuvra aux côtés de son père, probablement jusqu’au décès de ce dernier en 1838. Dans un bref article paru en 1937, Waldemar Deonna se demandait si l’entreprise avait fermé ses portes après la mort de François; nous savons maintenant qu’il n’en fut rien. Elle fut apparemment reprise par l’un de ses fils. Pas par Charles, comme on aurait pu s’y attendre, mais bien par Joseph. Une annonce parue en 1844 propose en location l’appartement installé au premier étage de la faïencerie, les personnes intéressées sont priées de s’adresser à Joseph Rieff, «propriétaire» (Feuille d’avis d’Yverdon du 16 novembre 1844, 4).

Il est probable que Joseph continua ses activités céramiques dans l’ancienne faïencerie paternelle. Des annonces parues en 1840 précisent que «Joseph Rieff, fabricant de faïance, ayant découvert le moyen de fabriquer toute espèce de poterie à cuire et autres, dont on peut dès à présent s’en procurer chez lui en gros et en détail; il continue comme du passé à fabriquer des poèles en briques portatifs, etc.» (Feuille d’avis d’Yverdon du 22 février 1840, 1). Fait troublant, à la même période, un certain Henri Rieff, qualifié lui aussi de «faïencier», fait paraître des annonces très similaires: «On trouvera chez H. Rieff un assortiment de terre à cuire et autres, en gros et en détail; il continue comme du passé à fabriquer des poèles portatifs et autres. Il fera son possible pour contenter les personnes qui voudront bien l’honorer de sa confiance (Feuille d’avis d’Yverdon du 1er février 1840, 1-2). Un mois plus tard, Henri se qualifie plus précisément de «faïencier au Faubourg de Notre-Dame» (Feuille d’avis d’Yverdon du 28 mars 1840, 2). Henri est probablement un fils de Joseph, qui offre exactement les mêmes services que ce dernier et dans les mêmes locaux. Le père est-il en train de lui mettre le pied à l’étrier, en vue de son retrait de l’entreprise ?

À travers les annonces de la Feuille d’avis, qui ont souvent trait à la location de l’un ou l’autre logement dans le bâtiment de la faïencerie, la présence de Joseph à Yverdon est attestée au moins jusqu’en octobre 1845. Dans l’édition du 10 octobre (p. 2), on propose à l’achat un fourneau «en catelles», les personnes intéressées sont invitées à s’adresser chez Joseph Rieff, à la faïencerie. Après cette date, la personne de contact pour la faïencerie sera systématiquement Henri, et ce jusqu’au printemps 1847 (Feuille d’avis d’Yverdon du 17 avril 1847, 4). Par la suite, Henri disparaît à son tour de la circulation: aurait-il rejoint son père de l’autre côté de l’Atlantique ?

Au vu de ce qui précède, on peut imaginer que Joseph émigra en Amérique du Nord entre l’hiver 1845 et les premiers mois de 1846. Il s’installa apparemment à Carthage (dans l’actuel État de New York ?), où il semble avoir ouvert une nouvelle entreprise de poterie. C’est du moins ce que laisse entendre une annonce parue dans la Feuille d’avis d’Yverdon du 15 avril 1848 (p. 3): «On demande, pour une fabrique de poterie, à Cartage, dans l’Amérique du Nord, 2 ou 3 bons ouvriers tourneurs. Les frais du voyage seront remboursés, s’ils s’engagent pour un certain temps. S’adresser à Charles Rieff-Roulet, à la Plaine à Yverdon».

C’est donc désormais son frère Charles qui représentait les intérêts de Joseph à Yverdon, après le départ d’Henri. Charles Rieff-Roulet avait changé de profession après le décès de son père, comme l’atteste cette annonce parue début octobre 1840: «Charles Rieff-Roulet a l’honneur de prévenir le public que l’on trouvera à l’ordinaire dans son magasin, maison de Mr Ellenberger à la Plaine, des brosses et torchons de risette de diverses grandeurs en gros et en détail,un joli assortiment de pipes, beaucoup d’objets de et tous ceux d’épicerie […]» (Feuille d’avis d’Yverdon du 3 octobre 1840, 1).

En juin 1847 – à la suite du départ présumé d’Henri – les différents logements compris dans le bâtiment de la Faïencerie seront proposés à la location, notamment «Un logement au rez-de-chaussée […]. On louerait de plus, avec ce logement, toutes les dépendances et outils nécessaires pour la confection des poëles ou fourneaux, ainsi que le moulin à vernis et le droit de prendre, sur une propriété de Joseph Rieff, une trentaine de chars de terre par an pour l’usage de la fabrique […] S’adresser, pour visiter le tout, à Ch. Rieff-Roulet, à la Plaine» (Feuille d’avis d’Yverdon du 3 juin 1847, 4). D’où il ressort que Joseph était toujours le propriétaire de la faïencerie. L’atelier fut-il exploité par la suite ? On l’ignore à ce stade.

Ce qui est désormais établi, c’est que le bâtiment et ses annexes furent mis en vente en octobre 1849: «Le mandataire de Joseph Rieff, actuellement en Amérique, exposera en vente, par voie d’enchères publiques, le lundi 22 octobre courant […] les immeubles situés à Yverdon, connus sous le nom de la Fayencerie ainsi qu’un champ de 244 toises situé rière Montagny, lieu dit à la Malirausaz. Il reste encore à vendre un grand nombre de pièces de poterie déposant dans les bâtiments de la Fayencerie qu’on céderait à bas prix. S’adresser à Mr Charles Rieff-Roulet ou au notaire Correvon-Pavid, à Yverdon» (Feuille d’avis d’Yverdon du 13 octobre 1849, 1).

Ainsi s’achève l’histoire de la faïencerie reprise (ou véritablement initiée ?) par François Rieff en 1811. Ce dernier l’exploitera, en collaboration avec son fils Charles, jusqu’à sa mort en 1838. L’établissement fut perpétué sous la direction de son second fils, Joseph, lequel exploitait auparavant son propre atelier à Yverdon. Joseph s’associa selon toute vraisemblance à son fils Henri, avant d’émigrer en Amérique à la fin de 1845 ou dans les premiers mois de 1846. Henri resta seul à la faïencerie, au moins jusqu’en avril 1847. Par la suite, son nom n’apparaît plus dans les annonces de presse relatives au bâtiment; il est possible qu’Henri ait rejoint son père. Le bâtiment de la Faïencerie, y compris la «fabrique», fut proposé à la location dès juin 1847, avant d’être vendu en octobre 1849.

Malgré une activité qui s’étendit sur plus de trente-cinq ans, nous ne connaissons que peu d’objets attribuables à l’atelier des Rieff à ce jour; de plus, tous ces précieux témoins se rapportent à la seule période de François Rieff, et principalement aux années 1825-1834.

Les produits les plus fréquemment évoqués dans les annonces de presse sont les fourneaux et les poêles. Le Musée d’Yverdon conserve notamment un carreau de poêle avec un décor en polychromie de grand feu (bleu, violet-noir, vert, violet et brun), signé et daté «Rieff d’Yverdon AN 1830» (MY EPM.C.1).

Le Musée national de Zurich possède pour sa part un carreau de frise avec décor polychrome composé de fleurs, de branches feuillues et d’un motif de cœur, signé et daté «François Rieff 1811» (SNM LM-50507 – Jahresbericht, vol. 81, 1972, 58).

On est en droit de penser qu’un bon nombre de poêles, et singulièrement les fourneaux portatifs (en particulier les «fourneaux pour chauffe-panse»), étaient probablement dépourvus de toute ornementation.

S’agissant de la vaisselle de faïence produite par les Rieff, le Musée Ariana conserve dans ses fonds un plat de forme ovale à bord chantourné d’une largeur de 510 et d’une profondeur de 252 mm, signé au revers «Cs. Rieff d’Yverdon / 1834» (MAG AR 00947 – Deonna 1937, fig. p. 367). Le fond du plat est orné d’un grand poisson (un brochet ?) de facture plutôt naïve et le marli présente une couronne sinueuse de feuilles et de petites fleurs formées de trois points, le tout est peint en camaïeu violet de grand feu.

Les fonds du Musée d’Yverdon recèlent un objet dont la fonction reste encore mystérieuse: un récipient en forme de cylindre elliptique apparemment incomplet; il lui manque visiblement sa partie supérieure (MY EPM.Dom.1). L’intérieur du récipient est subdivisé en deux compartiments, l’un d’entre eux présentant même deux niveaux. Le décor de l’objet – de même que sa forme – évoquent un poêle miniature. Avons-nous à faire à un modèle de poêle, à un encrier ? La question reste ouverte. Le récipient porte une double marque: à l’intérieur, on lit: «Charles Rieff / Fayencier / 1830», alors que la base de l’objet présente la marque du «patron»: «Fabrique de Françoi Rieff / Fayencier».

Pour le reste, nous connaissons surtout un type de récipient, apparemment une spécialité de François Rieff: des bouteilles de forme ovoïde allongée à col court et anse haute, qui rappellent singulièrement les bouteilles en grès du Westerwald utilisées pour le conditionnement des eaux minérales, lesquelles furent abondamment importées en Suisse dès la fin du XVIIe siècle  (par exemple MHV 2898-2; MHL AA.46.E.2; MHL AA.46.E.3 – voir aussi Heege 2009, 57-75). Les bouteilles yverdonnoises sont presque toutes datées, entre 1824 et 1834; la grande majorité comporte les initiales de leur destinataire. Dans le cas le plus courant, le décor est peint en violet-brun et se limite aux initiales et à la date, soulignées de deux branches feuillues stylisées entrecroisées (MY EPM.Alim.18; MY No 2; MY No 1); parfois les initiales font défaut et font place à un motif plus élaboré: les armoiries cantonales (MY EPM.Alim.16) ou communales (MY EPM.Alim.19). La forme minimale de décor existe également en version polychrome, sur une bouteille datée de 1825 (MY EPM.Alim.17).

Le Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel conserve un spécimen orné d’un décor polychrome – lui aussi daté de 1825 – particulièrement riche, composé des armoiries cantonales avec initiales et branches entrecroisées; comme pour bien souligner le caractère exceptionnel de ce travail, «Charles Rieff d’Yverdon» a posé sa marque au revers du récipient (MAHN AA 2173).

La question de la fonction exacte des bouteilles produites par François et Charles Rieff reste ouverte: étaient-elles destinées au conditionnement du vin, d’une eau-de-vie, d’eau minérale ? Les deux exemples MY No 1 et MY No 2 portent les mêmes initiales, mais des dates différentes: on est tenté d’attribuer les initiales à un vigneron ou un bouilleur de cru et d’interpréter les dates comme des millésimes. Au moment de leur entrée dans la collection à l’occasion d’un don, les deux objets en question étaient accompagnés d’un billet spécifiant qu’ils provenaient de Paul Wüst à Morges (1898-vers 1990), lequel aurait possédé plusieurs dizaines de ces bouteilles. Selon l’ancien propriétaire, elles auraient servi de bouteilles à vin.

Quant aux productions des successeurs de François Rieff, son fils Joseph et son probable petit-fils Henri, nous savons surtout qu’elles comprenaient des fourneaux et probablement des poêles. Le fait que l’annonce parue à l’occasion de la vente de la faïencerie en 1849 mentionne «un grand nombre de pièces de poterie déposant dans les bâtiments de la Fayencerie qu’on céderait à bas prix» nous incite à penser que la fabrication de vaisselle ne fut pas complètement abandonnée après le décès du père en 1838.

Sources:

La presse vaudoise, consultée sur le site Scriptorium de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne

 Bibliographie:

Crottet 1859
A. Crottet, Histoire et annales de la Ville d’Yverdon depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’année 1845. Genève 1859.

Deonna 1937/3
Waldemar Deonna, «Faïencerie d’Yverdon». Revue historique vaudoise 45, 365-370.

Develey 1824
Emmanuel Develey, Observations sur le langage du Pays de Vaud, seconde édition. Lausanne 1824.

Heege 2009
Andreas Heege, Steinzeug in der Schweiz (14.–20. Jh.). Ein Überblick über die Funde im Kanton Bern und den Stand der Forschung zu deutschem, französischem und englischem Steinzeug in der Schweiz. Bern 2009.

Kulling 2001
Catherine Kulling, Poêles en catelles du Pays de Vaud, confort et prestige. Les principaux centres de fabrication au XVIIIe siècle. Lausanne 2001.

Lisbonne 1998
Cerâmica da Suíça do Renascimento aos nossos dias. Ceramics from Switzerland, from Renaissance until the Present. Cat. d’exposition, Museu Nacional do Azulejo, Lisbonne, 23 juillet-4 octobre 1998.

Schwab 1921
Fernand Schwab, Beitrag zur Geschichte der bernischen Geschirrindustrie. Schweizer Industrie- und Handelsstudien 7. Weinfelden/Konstanz 1921.