Majolique de Thoune, région de Heimberg-Steffisbourg, canton de Berne (environ 1870 à 1914)

Majoliques de Thoune dans CERAMICA.CH

Andreas Heege 2019

Ce qu’on appelle couramment la « majolique de Thoune » est en réalité, contrairement à ce que son nom laisse supposer, une terre cuite avec une glaçure polychrome et non de la majolique, qui est une céramique avec un décor peint sur une glaçure opacifiante faite d’un mélange de plomb et d’étain.  De nombreuses manufactures de la seconde moitié du 19ème siècle qualifient à tort de « majoliques » leurs terres cuites polychromes glaçurées au plomb, souvent peintes de décors historicisants de la Renaissance.

La « majolique de Thoune » est ancrée dans la production céramique de la région de Heimberg-Steffisbourg et constitue une particularité de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle, c’est-à-dire un produit de l’historicisme sous toutes ses formes.  Les débuts de ce genre de céramiques remontent aux années 1870. Après la participation réussie à l’Exposition universelle de Paris en 1878, le développement est rapide et découle notamment de la fondation de la Manufacture Wanzenried à Steffisbourg en 1878.

Oscar Blom, le directeur du Musée cantonal des Arts Métiers de Berne, écrit en 1908:

« Jusqu’au milieu des années 1890, [les potiers de Heimberg-Steffisbourg] n’ont pas essayé d’imaginer et de réaliser de nouveaux décors pour leurs céramiques. Les formes des céramiques pour la table et leurs décors conçus dans les années soixante-dix par l’artiste et illustrateur Franz Keller-Leuzinger de Karlsruhe dans le Land allemand du Bade-Wurtemberg, que nous (les germanophones) désignons encore aujourd’hui sous l’expression de « Pariser Waren » (céramiques parisiennes), étaient tellement utilisées et demandées sur le marché de la céramiques de table qu’il aurait été présomptueux et contreproductif de proposer des innovations. Dans l’architecture et les arts décoratifs de l’époque, seule la répétition des styles anciens, il est vrai additionnée d’une touche d’orientalisme, étaient en usage. Les arts appliqués ne connaissaient pas encore leur propre langage. Keller-Leuzinger, qui a d’ailleurs rendu de grands services à l’essor de l’industrie à Heimberg-Steffisbourg, n’a utilisé, dans son répertoire ornemental, que des formes indo-persanes; il a seulement remplacé la flore indienne par des roses des Alpes (rhododendrons) et des edelweiss, avec lesquels il a pu obtenir des effets totalement nouveaux et augmenter pendant de nombreuses années les ventes de ces majoliques. L’exposition universelle de Chicago en 1893 a apporté un changement dans la conception décorative des arts et métiers et un renouvellement du goût. Voilà comment on définit alors ces nouvelles ambitions : Les objets doivent être fonctionnels, authentiques, solides et simples dans leur expression. »

La majolique de Thoune ne répondait plus à ces exigences. En conséquence, les ventes ont diminué et de nombreuses poteries qui produisaient de la majolique de Thoune ont définitivement fermé. Blom affirme qu’entre 1887 et 1907, le nombre d’ateliers de poterie dans cette région est passé de 74 à 47.  Ainsi, le style historiciste de la majolique de Thoune avait déjà périclité bien avant la Première Guerre mondiale.

La vente de la Manufacture de Wanzenried à Emil Loder et Adolf Schweizer en 1918 peut être considérée comme le dernier sursaut de la production des majoliques de Thoune. En outre, le plus important céramiste de la Manufacture Wanzenried, Friedrich Ernst Frank, décède en 1920.  Les éléments décoratifs et les motifs de la majolique de Thoune ont cependant continué à être repris dans les années suivantes par de nombreuses poteries artisanales de la région de Heimberg-Steffisbourg et de Lucerne (Emil Loder pour la manufacture KeraLuz). Il s’agit surtout du « motif aux hiboux », que certains appellent également « motif vieux-Thoune ». Des poteries « à la manière des majoliques de Thoune » ont également été produites dans d’autres lieux, par exemple à Berneck, canton de saint-Gall, Thayngen, canton de Schaffhouse (poterie Fritz Lenhard) et à Wil-Buchenloo, canton de Zurich (poterie Jakob Spühler).

Bibliographie:

Blom 1908
Oscar Blom, Die Förderung der Majolika-Industrie in Heimberg-Steffisburg-Thun durch das kantonale Gewerbe-Museum in Bern, in: Jahresbericht pro 1907 des kantonalen Gewerbemuseums Bern, 1908, 1-9.

Buchs 1980
Hermann Buchs, Die Thuner Majolika des Johannes Wanzenried und des Zeichners Friedrich Ernst Frank, in: Jahresbericht Historisches Museum Schloss Thun, 1980, 5-43.

Buchs 1988
Hermann Buchs, Vom Heimberger Geschirr zur Thuner Majolika, Thun 1988.

Heege/Kistler 2017
Andreas Heege/Andreas Kistler, Poteries décorées de Suisse alémanique, 17e-19e siècles – Collections du Musée Ariana, Genève – Keramik der Deutschschweiz, 17.-19. Jahrhundert – Die Sammlung des Musée Ariana, Genf, Mailand 2017, 489-501.

Schnyder 1979
Rudolf Schnyder, Jakob Spühler, der Töpfer von Wil/Buchenloo, in: Mitteilungsblatt der Keramikfreunde der Schweiz 92, 1979, 9-11.