Soleure, Musée d’Histoire Blumenstein (MBS)

Faïence de grand feu, atelier de Urs Johann Wysswald, fabricant de poêles à Soleure, vers 1730-1735 (MBS 1962.14).

Museum Blumenstein
Blumensteinweg 12
CH-4500 Solothurn
Tel. +41 (0)32 626 93 93
museumblumenstein@solothurn.ch

Céramiques du Musée Blumenstein de Soleure dans CERAMICA CH

Roland Blaettler 2019

Les premières collections de la ville de Soleure étaient de nature archéologique et remontaient au 17ème siècle. Au début des années 1760, lors de la démolition de l’ancienne cathédrale Saint-Ours, on a découvert des objets qu’on a décidé de conserver et qui, s’ils ne pouvaient pas être déposés dans d’autres lieux, étaient alors donnés à la Bibliothèque municipale. La Société d’Histoire du canton de Soleure, fondée en 1857, a ensuite repris les collections municipales, qui se composaient principalement de pièces de monnaie, de médailles et de curiosités diverses. La Société d’Art de Soleure (1850) et la Société d’histoire naturelle (1825) s’occupent à leur tour des collections concernant leurs domaines d’intérêts. Un premier projet de bâtiment pour le Musée est rejeté lors d’un vote en 1860. En 1890, un deuxième projet est enfin couronné de succès et en 1902, le nouveau musée de la ville, l’actuel Musée d’Art de Soleure, est inauguré.

Les collections ont alors été réunies sous un même toit et exposées dans trois départements : la collection d’Art, le département d’Histoire naturelle et le département d’Histoire et des Antiquités. A cette occasion, une notice a été publiée lors de l’ouverture du bâtiment abritant le musée de Soleure. Elle comprenait un parcours guidé et explicatif à travers les salles d’exposition. Les salles d’Histoire et des Antiquités étaient présentées par Eugen Tatarinoff, le conservateur en charge. Une salle était consacrée à l’Archéologie, une deuxième à l’Art religieux et une troisième à la Cathédrale. Trois autres salles abritaient la section médiévale ainsi qu’une nouvelle section consacrée aux pièces de monnaie, aux médailles et aux armes. Ensuite venait la salle des Ambassadeurs avec son mobilier, ses horloges et ses vitraux, puis la salle du Landeron avec une exposition sur les vignes du lac de Neuchâtel, propriétés de la bourgeoisie soleuroise et enfin la salle Renaissance avec ses boiseries sculptées et sa vaisselle en étain. Cette notice ne fait aucune mention de la céramique ; il semble que ce qu’il pouvait éventuellement y avoir ne valait la peine d’être mentionné.

En 1950, la ville de Soleure a acheté le Château de Blumenstein, l’ancienne résidence de la famille aristocratique Greder von Wartenfels. Les collections historiques avaient enfin leur propre demeure ! La belle propriété, avec son jardin, appartenait alors à Fritz Hirt-Baumgartner, le conservateur du département d’Histoire et des Antiquités du musée municipal. Le musée Blumenstein a été inauguré en mai 1952. Au premier étage de la maison, Lucie, la femme de Fritz Hirt, a conservé son droit de résidence jusqu’à sa mort en 1977. Par la suite, toute la maison a été mise à la disposition des collections et, en 1980, les fonds archéologiques y ont également été transférés (Glutz-Blotzheim 1952 et 1970 ; Vital 1981).

La collection de céramiques du Musée Blumenstein compte approximativement 400 objets. Nous en avons inclus environ 350 dans notre inventaire. Un tiers de cet inventaire est constitué des faïences de Matzendorf, un autre tiers des faïences de Kilchberg, et le reste de céramiques d’origine suisse, française et allemande. Le musée est la seule institution du canton de Soleure à disposer d’un inventaire qui fournit des informations sur l’histoire de la collection et l’origine des objets. Environ 40 % sont des dons et des legs. Les premiers achats ont été effectués en 1903 avec l’acquisition d’un petit ensemble en porcelaine de Nyon présentant un simple décor au semis de fleurs (MBS 1903.110a-e).

La collection Otto Fröhlicher

L’événement le plus important pour le développement de la collection de céramiques a été la donation en 1912 de la collection privée d’Otto Fröhlicher, le premier collectionneur connu de faïences de Matzendorf.  Otto Fröhlicher (1852-1915) a travaillé pendant trente ans à la Fabrique de papier Ziegler à Grellingen, à une soixantaine de km de Soleure, district de Laufon, canton de Bâle-Campagne, après avoir terminé sa formation commerciale en Suisse romande et en Belgique. Il y a gravi tous les échelons et a fini par en partager la direction avec son beau-frère. Fröhlicher était passionné par l’art, l’histoire et les sciences naturelles, disciplines dans lesquelles il a lui-même été actif. La nécrologie écrite par son ami Bernhard Wyss rappelle l’attachement du défunt à sa ville natale, aux montagnes du Jura, à l’histoire et aux coutumes du pays. Il raconte le dévouement avec lequel Fröhlicher a collecté des documents historiques et des objets anciens pour les sauver de l’oubli, trésors qu’il a ensuite donnés à la bibliothèque et au musée de Soleure et donc à la communauté (B. Wyss, « Am Grabe des Herrn Otto Fröhlicher sel. zu Grellingen – Sur la tombe d’Otto Fröhlicher, bienheureux à Grellingen », manuscrit, Bibliothèque centrale de Soleure, p II 222). Tous les souvenirs de Fröhlicher commémorent la passion avec laquelle il parcourait la chaîne de montagne et les contreforts du Jura et cherchait le contact avec la population rurale, qui lui racontait sa vie et ses coutumes (Solothurner Tagblatt– Journal de Soleure, 140, 19 juin 1915, p. 4 ; St. Ursen-Kalender – Almanach de Saint-Ours (saint patron de Soleure), 64e année, 1917, p. 98).

Au cours de ses excursions, il a également collecté des faïences de Matzendorf. Dans de nombreux cas, l’inventaire enregistre non seulement la date d’achat mais aussi le nom des vendeurs. Il a souvent acquis ses pièces auprès d’un descendant du premier propriétaire, parfois même auprès du propriétaire d’origine, encore vivant. Il a rarement fait appel à un antiquaire, mais cela lui est arrivé occasionnellement avec un certain Häfeli de Soleure, qui lui vend trois pièces en faïence en 1911. Les premiers achats remontent à 1904/1905, mais la plupart ont été effectués entre 1910 et 1912. L’année de sa donation, il a encore acheté plus de vingt objets.

Avec la collection Fröhlicher, le musée s’est enrichi en une fois de 86 objets, ce qui représente toujours un quart de la collection actuelle de céramiques ! Il n’y a que deux faïences de Kilchberg dans la collection Fröhlicher. Cela montre une fois de plus que l’attribution erronée des produits Kilchberg-Schooren à Matzendorf était courante chez les amateurs avant même la publication de Schwab. Fröhlicher a principalement effectué ses acquisitions dans la campagne soleuroise. Ainsi, la proportion modeste des marchandises zurichoises indique leur distribution limitée dans cette région. Tous les autres objets sont clairement des produits de Matzendorf, avec 50 pièces datant de la période tardive et appartenant principalement à la « famille bleue » des années 1850 à 1880. Parmi les autres, on trouve huit exemples en faïence fine, dont le fantastique vase néoclassique aux masques de satyres ci-dessous, peut-être réalisé pour Ludwig von Roll lui-même, le fondateur de la Manufacture de Matzendorf (MBS 1988.104).

Vase néoclassique aux masques de satyres, faïence fine de Matzendorf, vers 1800 (MBS 1988.104).

Parmi les faïences de Matzendorf, on trouve la plus ancienne pièce connue, une assiette portant la date de 1801 (MBS 1912.220). 25 objets illustrent la production entre 1825 et 1850 avec des pièces aussi importantes que l’assiette fabriquée pour Johann Winistörfer et portant la date de 1832 (MBS 1912.81), le plat à barbe pour Urs Jakob Dietschi de 1837 (MBS 1912.230) et celui pour Jakob Müller de 1842 ; ce dernier peut être considéré comme un précurseur de la « famille bleue » (MBS 1912.235). En outre, le plat à barbe de Johann Bieli, sur lequel Felchlin et Vogt ont basé leur théorie du « décor bernois » de Matzendorf (MBS 1912.99), se trouve au Musée Blumenstein. Illustrant la période de transition vers la « famille bleue », vers 1850, il faut enfin mentionner la soupière de l’auberge « Zum Schlüssel – à la clé » qui existe encore de nos jours à Aedermannsdorf, et qui est la seule pièce décorée de l’enseigne d’un commerce ou d’une maison (MBS 1912.112).

Pour faire bref, la donation Fröhlicher peut être considérée comme l’acte fondateur de l’histoire de la collection de céramiques du Musée d’Histoire de Soleure. Cet important socle de départ a été enrichi jusqu’à ce jour d’une quarantaine de faïences supplémentaires provenant de Matzendorf. En ce qui concerne les acquisitions plus tardives, il convient de mentionner trois pièces en faïence fine, dont la remarquable écritoire de 1818  pour le chapelain Franz Anton Fluri (MBS 1912.199), ainsi que dix pièces des années 1800 à 1840 et aussi une trentaine d’objets de la « famille bleue ».

Après 1912, la collection n’a progressé que lentement. Entre 1913 et aujourd’hui, la collection s’est enrichie d’à peine 200 objets. Une augmentation inhabituelle a été enregistrée en 1920, avec environ 50 nouvelles pièces provenant de l’antiquaire Moser à Derendingen, disctrict de Wasseramt à 5 km de Soleure, avec, parmi elles, des faïences de Matzendorf, mais surtout de Kilchberg, ainsi que quelques « céramiques paysannes » de Langnau et Heimberg. On y trouve également quelques faïences étrangères d’origine allemande et de l’Est de la France ainsi que 13 pièces en grès « à la manière du Westerwald » (MBS 1920.65 ; MBS 1920.67 ; MBS 1920.61 ; MBS 1920.73 ; MBS 1920.74 ; MBS 1920.60 ; MBS 1920.72 ; MBS 1920.69 ; MBS 1920.66 ; MBS 1920.64 ; MBS 1920.68 ; MBS 1920.63). De nouvelles acquisitions ont également été faites dans les années 1942 à 1944 avec l’achat de douze objets par an, principalement en faïence de Kilchberg, probablement à la suite de la première publication de Maria Felchlin faisant alors autorité et promouvant énergiquement la théorie, erronée, du « décor bernois ». Plus tard, le musée a également reçu 46 pots d’apothicaire en faïence de Kilchberg, dont les formes n’étaient jusqu’alors pas connues (MBS 1977.370 ; MBS 1997.381 ; MBS 1997.387), qui provenaient de la pharmacie du 18ème siècle du couvent Saint-Joseph de Soleure, abritant alors les béguines de la troisième Règle de l’Ordre des Franciscains, une congrégation présente à Soleure dès 1345 et dissoute en 2005 au décès de la dernière de ces religieuses qui vivaient dans ce couvent dont la construction s’est terminée en 1652, et qui fut démoli en 1965, juste après la fin de la construction d’un nouveau monastère, malgré les oppositions véhémentes de plusieurs associations, dont la «  Töpfergesellschaft -Société des potiers » de Soleure.

Outre la collection de faïence de Matzendorf, qui n’est comparable qu’à celle du Musée d’Histoire d’Olten, le musée Blumenstein possède quatre plats en faïence, peints en bleu, provenant de l’atelier du fabricant de poêles Urs Johann Wysswald de Soleure, qui ont été acquises en 1962 et 2005 (MBS 1962.14 ; MBS 1962.13 ; MBS 1962.12 ; MBS 2005.49). Même si ces plats sont le fruit d’un atelier qui, sinon, fabriquait des poêles en faïence, ce sont des produits d’une qualité étonnante, uniques dans l’histoire de la faïence suisse de la première moitié du 18ème siècle. Ces quatre plats constituent donc un véritable trésor pour le Musée !

Dans le petit groupe des terres cuites engobées sous glaçure, il y a quatre objets qui méritent une mention spéciale, tout d’abord l’écritoire (MBS 1933. 9) de 1758 de Jakob Bannier, potier à Oberwil, dans le district d’Arlesheim, canton de Bâle-Campagne, à 5 km du centre de Bâle, comportant des inscriptions gravées qui permettent d’identifier d’autres céramiques du Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel (MAHN AA 1470) et du Musée d’Histoire d’Olten (HMO 8227), ainsi que trois assiettes de Christian Matthys de Heimberg portant les dates de 1865 et de 1872, dont une signée par le potier lui-même (MBS 1920.139 ; MBS 1920.138 ; MBS 1920.140). Avant cet inventaire du Musée Blumenstein, on ne connaissait, de cet atelier de poterie, qu’une seule pièce qui se trouve toujours au Musée des Cultures de Bâle (MKB VI-3919).

En ce qui concerne les acquisitions de 1920, nous avons mentionné l’antiquaire Moser († 1942), dont un rapport du conservateur dans les « Rechnung und Bericht über die Verwaltung der Einwohnergemeinde der Stadt Solothurn – Comptes et rapport sur l’administration de la commune de Soleure, déposé à la Bibliothèque centrale de Soleure sous la référence YR 35 » indique qu’il avait « pendant des années déposé de petites antiquités au musée, qu’il propose maintenant à la vente », notamment des faïences et des verres. Un autre vendeur était le pasteur Karl Sulzberger de Trimbach, dans le district de Gösgen, canton de Soleure, à une quarantaine de km de Soleure, qui a vendu quelques céramiques au musée en 1912 et 1916. L’inventaire parle également d’un dépôt Sulzberger. Comme Moser, Sulzberger avait apparemment l’habitude de déposer les objets au Musée avant de les proposer à la vente. L’inventaire mentionne également ici et là deux antiquaires soleurois du nom de Vetterli et Knecht. Le plus souvent, cependant, on mentionne des membres de la famille Boner à Laupersdorf, dans le district de Thal, canton de Soleure, à 2 km de Matzendorf. Dans la famille Bonner, on trouve Th. Boner, tonnelier, pour les années entre 1914 et 1920, H. Boner entre 1916 et 1920 et J. Boner entre 1915 et 1917. Pour les acquisitions des années 1940, on a fait appel aux services des maisons de vente aux enchères Zbinden-Hess et Stuker, toutes deux à Berne et toutes deux maintenant fermées.

Même si l’on ne peut guère parler de politique d’achat ciblée, des efforts ont été faits pour compléter pièce par pièce les faïences de Matzendorf donné par Fröhlicher, de sorte que la collection de céramiques du musée Blumenstein est d’une importance capitale pour les produits de Matzendorf. Mais elle contient également de beaux exemples de faïences de Zurich de style Biedermeier et les extraordinaires plats de l’atelier de Wysswald.

Traduction Pierre-Yves Tribolet

Bibliographie :

Blaettler/Schnyder 2014
Roland Blaettler/Rudolf Schnyder, CERAMICA CH II: Solothurn (Nationales Inventar der Keramik in den öffentlichen Sammlungen der Schweiz, 1500-1950), Sulgen 2014, 26–28.

Glutz-Blotzheim 1952
Konrad Glutz-Blotzheim, Das neue historische Museum Schloss Blumenstein. Jurablätter. Monatszeitschrift für Heimat- und Volkskunde, 1952, 153–157.

Glutz-Blotzheim 1970
Konrad Glutz-Blotzheim, Historisches Museum der Stadt Solothurn im Schloss Blumenstein. Jurablätter. Monatszeitschrift für Heimat- und Volkskunde, 1970, 110–113.

Vital 1981
Nicolo Vital, Der Blumenstein, das historische Museum der Stadt Solothurn. Jurablätter. Monatszeitschrift für Heimat- und Volkskunde, 1981, 82–83.