L’argile est ce qu’il y a de plus important pour une production céramique de haute qualité.
Argile : nom féminin ; terme de la minéralogie et de la géologie désignant une matière première minérale (non cuite !) provenant d’une une roche sédimentaire à grain fin avec des classes de granulométrie < 2µ. L’argile est formée par l’altération mécanique et chimique des roches contenant du feldspath (par exemple le granit, le gneiss, le porphyre de quartz). En règle générale, il s’agit d’un mélange de minéraux argileux à grain fin (silicates d’aluminium < 2 µ, qui représentent rarement plus de 50 % du volume total) et d’impuretés non plastiques (parfois colorantes) (résidus de la roche mère, chaux, fer, manganèse, limon, sable, gravier, composants organiques) qui ont été ajoutés pendant le transport. Lorsqu’on y ajoute de l’eau, les argiles deviennent plastiquement déformables sans se fissurer en raison de leur structure minérale en forme de plaquettes. C’est l’une de ses propriétés les plus importantes.
Ce sont en particulier les argiles malléables qui sont « grasses » et qui « rétrécissent » fortement lors du séchage, tandis que les argiles « maigres » à forte teneur en limon ou en sable présentent moins de plasticité mais aussi moins de retrait.
Le terme « terres à poterie – en allemand Lehm », que l’on désigne aussi sous le terme « Lœss », et que l’on retrouve sans cesse dans la littérature en tant que matière première pour la production de céramique, n’est pas strictement identique à la définition de « l’argile – en allemand Ton ». Le vocable « terres à poterie » est plutôt un terme minéralogique-géologique désignant une argile additionnée de sable, de quartz et de mica, et, souvent, de chaux fine. En tant que matière première céramique « maigre » (terre peu plastique où dominent les éléments siliceux), ces « terres à poterie » conviennent, par exemple, à la production de briques ou de tuiles. Mais si vous souhaitez utiliser un gisement de « terres à poterie » pour la production de céramiques usuelles, ces « terres à poterie » doivent d’abord être préparées, c’est-à-dire débarrassées de leurs constituants par trop grossiers. En Suisse, de nombreux endroits où se sont déposés une argile formée pendant et à la fin de la dernière période glaciaire, sont constitués de ces « terres à poterie » contaminées ou non purifiées, qui doivent d’abord être préparées et travaillées avant d’être utilisable pour la poterie.
On appellera « dépôts d’argile », ou gisements d’argile, ces lieux de stockage primaires (où se trouve l’argile originellement – où elle a vieilli) et secondaires (où se trouve l’argile après son transport – voir ci-dessous). Les dépôts d’argile secondaires résultent donc du transport de l’argile depuis son lieu de vieillissement (dépôt primaire). Le transport a pu être éolien, aquatique, glaciaire ou fluvioglaciaire. En fonction de la géologie du terrain, on assiste donc à des processus de relocalisation des argiles primaires pour former des dépôts d’argile dits secondaires. Comme les dépôts d’argile se forment successivement au cours du temps, les dépôts d’argile sont souvent stratifiés (horizontalement). Les couches peuvent avoir des compositions différentes (pauvres en chaux ou en fer, riches/grasses ou maigres) et l’argile se comporte alors différemment lors de son traitement pour l’utilisation céramique. Ainsi, les gisements d’argile (et donc les centres de production céramiques) peuvent être différenciés en fonction des concentrations en éléments divers contenus dans l’argile utilisée pour la fabrication des céramiques grâce à des investigations géochimiques (par exemple, l’analyse par activation neutronique – NAA ou par la spectrométrie de fluorescence des rayons X – XRF).
Les propriétés des différentes argiles et leurs couleurs après cuisson dépendent de la composition minérale de l’argile utilisées et de sa teneur en adjuvants métalliques et minéraux mélangés à l’argile. Ces propriétés diffèrent également selon l’âge et le type de gisement d’argile, quaternaire (il y a 2.58 millions d’années) ou tertiaire (avant le Quaternaire, de 66 millions d’années à 2,58 millions d’années). Il existe de nombreux gisements d’argile qui ne conviennent qu’à la production céramique de terres cuites (plage de température allant jusqu’à 1100 degrés C) et peu de gisements d’argile dont les argiles se frittent avant de se ramollir et peuvent donc être transformées en grès (long intervalle de frittage, plage de température supérieure à 1200 degrés C). De tels gisements d’argile pouvant être utilisée pour la production de céramique en grès, qui sont, pour la plupart, d’âge tertiaire, n’existent pas en Suisse. C’est pourquoi les céramiques en grès et la porcelaine ne peuvent être produits en Suisse sans importation de matières premières. La Suisse est un pays typique pour la production de terres cuites. Les gisements classiques d’argiles pour la production de céramiques en grès se trouvent en Saxe occidentale (par exemple Waldenbourg) et en Saxe orientale (par exemple Bad Muskau, Triebel) et proches des villes rhénanes de Siegburg, Cologne, Frechen, Langerwehe et Aix-la-Chapelle, ainsi qu’à Raeren (voir son musée des potiers), mais aussi à Bouffioulx, en Belgique mais également, utilisés depuis la fin du 16ème siècle, dans le Westerwald allemand (par exemple Oppenau, Rotenfels). Les argiles alsaciennes de Betschdorf et de Saverne conviennent à peine aux céramiques en grès.
Seules les argiles à faible teneur en fer donnent après cuisson un tesson clair ou blanc. Ces argiles, parfois appelées en français « kaolinite », en anglais « China clay » et en allemand « Huppererde – terre de Hupper», ou sables sidérolithiques réfractaires ou encore sables argileux maigres qui sont nécessaires pour les engobes de fond ou les barbotines à peindre, ne sont pas ou plus disponibles en Suisse. Elles ont donc dû être importées, principalement de France, pendant des temps immémoriaux. Les argiles contenant du fer, en revanche, donnent après cuisson un tesson rouge ou rougeâtre dans des conditions oxydantes (avec oxygène), et selon la teneur en chaux et la température de cuisson, également rouge clair à rose.
L’argile a été exploitée par le passé et l’est encore de nos jours. Elle est habituellement extraite dans des mines à ciel ouvert. Usuellement, l’installation de « fosses à argile » était peu onéreuse, pas très complexe et largement utilisée. L’exploitation des gisements d’argile était relativement peu systématique et n’atteignait que quelques mètres de profondeur. À partir du 19ème siècle, l’exploitation des mines à ciel ouvert a été de plus en plus mécanisée. Avec un usage extensif de pelles mécaniques et de camions, c’est actuellement la forme prédominante de l’exploitation des gisements. En outre, on a également fait recours à des constructions de puits et de galeries, qui nécessitaient un étayage complexe si l’on voulait atteindre des dépôts d’argile à des profondeurs plus importantes. Les difficultés sont surtout apparues avec le ruissèlement de surface et au fond de la fosse. L’extraction de l’argile via les puits d’extraction, comme celle à ciel ouvert, est censée avoir commencé au début du 18ème siècle, mais il n’y a pratiquement pas de sources et pratiquement pas de découvertes archéologiques qui viennent le confirmer ou l’infirmer. Les puits dits en cloche (en allemand « Glockenschächte ») constituent une variante particulière pour l’exploitation des puits. Ces puits en forme de cloche sont formés par des cavités autoportantes dans le gisement d’argile. Ils atteignent des diamètres de 8 à 12 m et des profondeurs de 12 à 15 m.
L’argile était souvent extraite en automne, pendant l’hiver ou le printemps, mais aussi en continu. Cela dépendait de la structure de la manufacture ou de l’atelier, qui utilisait l’argile extraite pour une production céramique, qu’elle fût préindustrielle ou industrielle ou alors d’une extraction destinée à la vente d’argile. Les potiers pouvaient extraire l’argile eux-mêmes, mais ils pouvaient aussi la faire extraire ou recevoir de l’argile de la part de marchands en échange de poteries. Le droit d’exploiter l’argile dépendait généralement du propriétaire foncier qui pouvait être un seigneur, un monastère, une communauté villageoise ou un propriétaire individuel. La « régale des mines » ne s’applique généralement pas aux gisements d’argile. Les droits miniers devaient être acquis par le biais de paiements en espèces ou de services rendus par les potiers, par exemple la production et la livraison gratuites de carreaux de poêle, ou encore la pose et la réparation de poêles dans les bâtiments des souverains ou seigneurs du pays.
L’extraction de l’argile brute est suivie par les phases de préparation, pendant lesquelles elle va devenir une masse argileuse. Le processus de préparation de l’argile brute va suivre les étapes suivantes :
Après l’extraction, un processus d’assouplissement par le gel s’ensuit : c’est l’hivernage. Ce processus se déroule parfois à côté de la fosse d’argile « dans le local de stockage », ou déjà à proximité de l’atelier céramique.
La deuxième étape consiste au trempage ou au pourrissage de l’argile immergée dans de l’eau. Il en découle qu’un bon approvisionnement en eau est particulièrement important pour toute poterie. Cette étape provoque la décontamination des minéraux argileux et la décomposition des composants organiques par des processus de digestion anaérobie des boues et de fermentation de durée variable. Le résultat est généralement une augmentation de la plasticité. Ce processus se déroule habituellement déjà dans l’atelier ou à proximité de celui-ci. Dans certains cas, pour réduire la plasticité d’argiles trop grasses, l’ajout d’agrégats minéraux ou organiques, par exemple du sable ou des tessons broyés (matériaux aérant), ce qu’on appelle en allemand le « Magerung », et qu’on pourrait traduire par l’« amaigrissement » de l’argile, se fait à cette étape. On dit qu’on ajoute du « maigre », des « amaigrissants », des « antiplastiques » ou des « dégraissants ».
Selon la qualité de l’argile brute ou de la pâte argileuse, il y a souvent un traitement supplémentaire des boues au cours duquel on mélange différentes argiles, puis, par tamisage de la boue argileuse, on élimine les impuretés grossières ou organiques. On laisse ensuite l’argile se déposer et une élimination progressive de l’eau résiduelle conduit à un épaississement de la boue argileuse. Ce processus était long et fastidieux jusqu’à l’introduction des filtres-presses à la fin du 19ème siècle.
Il s’ensuit une phase d’homogénéisation de la masse argileuse. Il existe différentes méthodes pour cela, selon la tradition de l’atelier. La méthode la plus usitée avant l’introduction des aides mécaniques était ce que l’on appelait le foulage. Avec ce procédé, on pouvait sentir les impuretés sous les pieds et les enlever manuellement, mais on pouvait aussi mélanger différentes argiles et ajouter du « maigre ». La deuxième méthode était le battage, le déchiquetage et le cisaillage ; elle était généralement répétée plusieurs fois. Ici aussi, les impuretés pouvaient encore être éliminées et les argiles mélangées. Jusqu’au développement d’outils mécanisés comme de simples moulins, des mélangeurs ou de coupeurs d’argile ou encore des presses à extrusion dans la seconde moitié du 19ème siècle, ce travail d’homogénéisation était un processus manuel fastidieux. La preuve que les étapes de ce processus de préparation et que des stades similaires de mécanisation partielle sont des techniques de travail courantes sur un plan suprarégional est démontré par une photo d’un atelier idéal prise à Bonfol dans le Jura à la fin du 19ème siècle dans laquelle nous voyons le moulin à argile et la découpe de l’argile comme des étapes de ce processus de travail. L’objectif était de produire une masse argileuse homogène, plastique, suffisamment maigre, sans inclusions d’air, pouvant directement être utilisée comme matière première pour la fabrication de céramiques sur le tour du potier.
Dans la nature, l’argile n’est souvent pas disponible sous une forme directement transformable. Fréquemment, l’argile, qui est généralement trop grasse, doit encore être modifiée par l’ajout de matériaux amaigrissants adéquats afin d’obtenir une plasticité appropriée pour le tournage et un comportement correct lors de la cuisson avec un « retrait » (une diminution de volume) satisfaisant. Les raisons principales conduisant à l’amaigrissement de l’argile sont, comme on l’a vu, de réduire l’importance du retrait de l’argile trop grasse, mais aussi d’empêcher la formation de fissures et d’augmenter la résistance aux chocs thermiques des céramiques après cuisson. Les matériaux suivants peuvent être utilisés comme agents d’appauvrissement : sable de quartz, quartz concassé, grès, granit, gravillons, mica, graphite, chaux, coquillages, chamotte (argile réfractaire ou tessons de céramiques concassées) ainsi que des matières organiques telles que de la paille hachée, des déchets broyés, du lin et du fumier. L’« amaigrissement » est effectuée par un broyage, thermique ou mécanique, un concassage, un déchiquetage et un criblage des agents d’appauvrissement pour les réduire à la dimension souhaitée. Outre l’argile brute et son comportement au feu, la quantité, la taille et la classification des matériaux d’appauvrissement sont des critères essentiels du point de vue des archéologues pour définir les sortes d’objets et les modes de fabrication. La quantité de matériaux d’appauvrissement et leurs tailles ont une influence sur l’aspect optique des surfaces des céramiques après la cuisson.
Après la phase de préparation de l’argile, l’argile humide, prête à être tournée, est généralement stockée dans une fosse à argile ou dans une cave de stockage dans ou sous l’atelier. Ce n’est qu’immédiatement avant le façonnage qu’a lieu une nouvelle étape d’homogénéisation de la masse, réalisée par malaxage, pétrissage ou battage. Ensuite, le transport se fait sous forme de boules d’argile, dont la taille et le poids dépendent du récipient à tourner. Des piles de boules d’argile à côté du potier sont présentes dans de nombreuses illustrations.
Français : terme voisin : loess
Allemand : Ton, Lehm
Anglais : clay
Bibliographie:
Blondel 2001
Nicole Blondel, Céramique: vocabulaire technique, Paris 2001, bes. 30-35.
Mämpel 1985
Uwe Mämpel, Keramik. Von der Handform zum Industrieguss, Hamburg 1985.
Mämpel 2003
Uwe Mämpel, Keramik. Kultur- und Technikgeschichte eines gebrannten Werkstoffes. Ein Beitrag zur Geschichte der Porzellanindustrie Nordost-Bayerns (Beiträge zur Wirtschafts-, Sozial- und Technikgeschichte 6), Hoheneger 2003.