Décor avec double engobe de fond

Proverbe sur l’assiette du haut : « Lass Dir am Wenigen genügen, statt mehr könst (könntest) du gar nichts kriegen 1843 » – En français : « Satisfais-toi de peu, sinon, au lieu d’en avoir plus, tu pourrais ne rien avoir du tout 1843 ».

Jusqu’au début du 19ème siècle, la céramique suisse ne comportait généralement un engobe de fond que d’une seule couleur (blanche, rouge, brune-noire, beige), qui servait ensuite de support ou de fond pour d’autres techniques de décor (décoration au barolet, décor gravé, décor guilloché, décor peigné, etc.).

Ce n’est qu’à la fin des années 1830 que l’on trouve quelques céramiques isolées (assiettes, soupières) portant un engobe de fond double ou à deux couches dans le contexte de la céramique « à la manière de Heimberg » de la région de Heimberg-Steffisbourg. Un engobe de fond noir-brun est d’abord appliqué, puis recouvert d’un engobe de fond blanc. Ensuite, un décor est gravé (décor gravé, sgraffito), enlevant l’engobe de couleur blanc pour faire apparaître l’engobe brun-noir dessous, avec des lignes ainsi plus foncées, alors que dans les décors gravés plus anciens, avant l’apparition de cette technique, ces lignes apparaissent toujours en rouges ou d’une couleur rougeâtre, de la couleur du tesson.

 

Proverbe sur l’assiette : « Der Wein ist stark die Liebe süss » – En français : «  Le vin est fort, l’amour est doux ».

Divers ateliers de la région de Heimberg-Steffisburg ont utilisé cette technique pour décorer leurs céramiques (Heege/Kistler 2017a, 480-485), dont un qui a produit ces assiettes tout-à-fait caractéristiques (ci-dessus) entre 1850 et 1870.

Soupière signée par Johann Martin Labhardt, Langnau, vers 1850.

Proverbe sur la soupière : « Wenn dich die Lästerzunge sticht, so laß es dir zum Troste sagen, die schlechtesten Früchte sind es nicht, woran die Wespen nagen. Alles in der Welt läßt sich ertragen, nur nicht eine Reih, von schönen Tagen ! » – En français : « Si le blasphème te pique, console-toi en te disant que ce ne sont pas les plus mauvais fruits que les guêpes dévorent. Tout est supportable en ce bas monde, sauf une série de belles journées ! ».

Proverbe sur le bord du couvercle : « Frisch und fröhlich, fromm und ehrlich, frei von Gemüth, ehrlich von Geblüt, diese Tugend, ziehrt die Jugend. // Vorgethan und nachgedacht, hat manchen in groß Leid gebracht – En français : « Frais et joyeux, pieux et honnête, libre d’esprit, de sang noble, ces vertus attirent la jeunesse // L’avoir fait et y repenser, plonge certains dans de grandes souffrances ».

Proverbe sur la prise du couvercle : « Rede wenig, mach es wahr, borge wenig, zahl es baar, sagt ein Sprichwort » – En français : « Parlez peu mais faites-le, empruntez peu et payez comptant, dit un proverbe ».

Les deux premiers proverbes ci-dessus s’inspirent de deux sources différentes. La première vient de Gottfried August Bürger (1747-1794), un poète allemand du siècle des lumières qui est l’auteur des « Aventures du baron de Münchhausen » et qui a publié en 1787 dans l’Almanach du Musée de Göttingen, ville allemande dans le Land de Basse-Saxe, le poème « Consolation » (en allemand « Trost ») qui contient le passage sur le blasphème. La deuxième vient de Johann Wolfgang Goethe et a été publié en 1815 dans un recueil de poèmes sous le titre « Proverbes ». Les dictons sur le bord de la terrine et sous la prise sont basés sur des citations populaires provenant d’inscriptions sur les maisons d’Alsace, mais ne se réfèrent à aucune citation littéraire claire. Néanmoins, ces dictons mettent en évidence l’érudition et l’éducation de Johann Martin Labhardt, qui connaissait manifestement bien l’œuvre de Goethe.

 

Ce n’est qu’avec l’arrivée en provenance de Steckborn, canton de Thurgovie, du compagnon Martin Labhardt à Langnau dans l’Emmental, canton de Berne, en 1849, que cette technique de décoration caractéristique a vu le jour pour la première fois de manière certaine (Atelier de Langnau 6, main 22 ; Heege/Kistler 2017b, 381-386). Deux autres potiers de Langnau ont plus tard utilisé la même technique (Langnau, atelier 6, « style 24 et 25 »); Heege/Kistler 2017b, 387-388, fig. 150).

La question de savoir où et à partir de quand les « décors avec double engobe de fond » ont été utilisées dans le reste de l’Europe et en Angleterre nécessiterait une enquête plus approfondie (Abbitt Outlaw 2002, note 10). À l’heure actuelle, je ne connais aucun cas de ce genre parmi les trouvailles archéologiques allemandes depuis le milieu du 16ème siècle.

Allemand : Doppelte Grundengobe

Anglais : Double slipped wares, double slipping

Bibliographie : 

Abbitt Outlaw 2002
Merry Abbitt Outlaw, Scratched in Clay: Seventeenth-Century North Devon Slipware at Jamestown, Virginia, in: Ceramics in America, 2002, 17-38.

Heege/Kistler 2017a
Andreas Heege/Andreas Kistler, Poteries décorées de Suisse alémanique, 17e-19e siècles – Collections du Musée Ariana, Genève – Keramik der Deutschschweiz, 17.-19. Jahrhundert – Die Sammlung des Musée Ariana, Genf, Mailand 2017.

Heege/Kistler 2017b
Andreas Heege/Andreas Kistler, Keramik aus Langnau. Zur Geschichte der bedeutendsten Landhafnerei im Kanton Bern (Schriften des Bernischen Historischen Museums 13), Bern 2017.