Andreas Heege, Andreas Kistler, 2023
Situation actuelle des recherches
Heimberg et Steffisbourg sont deux communes du canton de Berne, contigües mais politiquement indépendantes. Ces deux localités et leurs environs constituaient à la fin du 18ème et au 19ème siècle le principal lieu ou la principale région de poterie du canton de Berne. Parmi les collectionneurs et dans la littérature, l’abréviation « Heimberg » ou « Céramiques de Heimberg » s’est imposée pour désigner la céramique qui y était produite, bien qu’au sens strict, comme nous allons le montrer, cette appellation ne soit pas vraiment correcte. Comme il est souvent difficile de savoir de quelle poterie ou de quelle commune provient la céramique en question, nous indiquons, par souci de simplicité, « Heimberg-Steffisbourg » comme lieu de production.
Vers 1850, sur la route de Berne à Thoune, dans l’ancien district administratif de Thoune, il y a eu jusqu’à quatre-vingts poteries, si l’on compte celles situées dans les localités des districts administratifs voisins de Konolfingen – Jaberg, Kiesen, Oppligen, Diessbach, Wichtrach et Münsingen (carte des poteries du canton de Berne).
Il n’est actuellement pas possible de différencier les produits d’un de ces sites de production à l’autre. Le terme « Heimberg-Steffisbourg » (les deux villages sont distants de 3 km) désigne donc toujours la région bernoise de production de la céramique « à la manière de Heimberg » qui, au plus tard à partir de 1850, comprend également les poteries de Langnau et des villages voisins, comme, par exemple, Schüpbach.
En 1764, Heimberg elle-même comptait deux cent trente-quatre habitants répartis en quarante-sept ménages. La localité directement voisine de Steffisbourg comptait neuf cent vingt-quatre habitants dans cent quatre-vingt-quatre ménages. Jusqu’en 1856, le nombre des ménages dans le seul village de Heimberg a augmenté de manière significative, faisant passer le nombre de résidents de deux cent trente-quatre à mille deux cent dix-sept. En 1880, on dénombre mille cent quarante-neuf habitants à Heimberg et trois mille huit cent nonante-huit à Steffisbourg (Heege/Kistler 2017/1, 362–508).
Alexandre Brongniart (1770-1847), directeur de 1800 à 1847 de la manufacture de porcelaine de Sèvres (F) et son important livre de 1844 (source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Brongniart)
C’est en 1844 que les premières informations sur la production des céramiques à Heimberg apparaissent dans la littérature. En 1836, Alexandre Brongniart, alors directeur de la manufacture de porcelaine de Sèvres en France, visitait cette région de potiers. Il a publié, huit ans plus tard, une brève description des céramiques locales et de leur fabrication. Ce témoignage oculaire d’un céramiste expérimenté est d’une importance considérable (Brongniart 1844, vol. 2, 14-15). Seulement un petit nombre de potiers de Heimberg ont exposé lors des deuxième et troisième expositions sur le commerce et l’industrie en Suisse, qui se sont tenues à Berne en 1848 et en 1857. Par conséquent, les catalogues et les rapports techniques imprimés lors de ces expositions ne donnent aucune image globale de la production (Messerli Bolliger 1991, 46–47). Il faut attendre 1874, soit après l’apogée de l’industrie de la poterie, pour retrouver à nouveau des témoignages fondamentaux sur les potiers. Josef Merz, un architecte de Thoune, a notamment évoqué, lors d’une conférence publique, l’empoisonnement au plomb (saturnisme), une maladie professionnelle typique du potier (Merz 1874). En 1906, le « Magazine touristique de Thoune et de ses environs » a publié pour la première fois un aperçu historique sur l’histoire des potiers de Heimberg. Il est signé de la plume de Karl Huber (Huber 1906), ancien archiviste de la Ville de Thoune. C’est un document important sur divers événements de la seconde moitié du 19ème siècle.
Eduard Hoffmann-Krayer (1864-1936), directeur du Musée suisse d’art populaire de Bâle et son tableau des céramiques tiré de sa publication de 1914 (source : Musée des cultures de Bâle).
En 1914, Eduard Hoffmann-Krayer, alors directeur du Musée Suisse d’Ethnologie à Bâle (aujourd’hui Musée des Cultures de Bâle, MKB), s’employait pour la première fois à décrire les céramiques de Heimberg d’un point de vue ethnologique. Il a essayé de définir un premier regroupement stylistique (Hoffmann-Krayer 1914).
En 1921 est finalement parue une « Contribution à l’histoire de l’industrie des céramiques utilitaires bernoises », un texte encore aujourd’hui fondamental, basé sur des documents d’archives et des enquêtes de l’avocat et économiste bernois Fernand Schwab (1890-1954; Schwab 1921). Il représente une source d’informations secondaires toujours indispensable.
C’est seulement entre 1961 et 1995 qu’émerge un nouvel élan dans les recherches sur les céramiques de Heimberg. Hermann Buchs (Buchs 1961; Buchs 1969; Buchs 1980; Buchs 1988; Buchs 1995), alors directeur du Musée du Château de Thoune et Robert L. Wyss (Wyss 1966, 34-42), alors directeur du Musée d’histoire de Berne y ont joué un rôle important.
Robert L. Wyss (1921-2003), ancien directeur du Musée d’histoire de Berne (source : Musé d’histoire de Berne) et son œuvre la plus importante sur l’histoire de la céramique, publiée en 1966.
Robert L. Wyss a tenté pour la première fois une description complète et structurée des céramiques attribuées à Heimberg, sur la base de la collection du Musée d’histoire de Berne.(Wyss 1966, 34–42).
En 1991, la thèse publiée par Barbara E. Messerli Bolliger se consacre principalement à l’histoire des poteries de Heimberg entre la fin du 19ème et le début du 20ème siècle (Messerli-Bolliger 1991).
En 2006, dans le cadre de sa thèse, Adriano Boschetti complète l’état des recherches. Il apporte principalement un éclairage sur l’histoire des poteries de Heimberg d’un point de vue historique, culturel et archéologique (Boschetti-Maradi 2006, 224-228).
Steffisbourg, Grosses Höchhus (La grande Maison-Haute), soubassement du four à poterie et fosse de travail pour l’enfournement au 19ème siècle (Photo du Service archéologique du canton de Berne, Heinz Kellenberger).
Steffisbourg, Grosses Höchhus (La grande Maison-Haute), rebuts de cuisson provenant du remblayage du soubassement du four à poterie, vers 1850-1860 (Photo du Service archéologique du canton de Berne, Badri Redha).
C’est seulement très récemment que les excavations d’une poterie (Baeriswyl 2008 ; maintenant Heege/Kistler 2017/2, 68; voir aussi Frey 2022) et d’un four à poterie ont pu être documentées (Heege 2007a ; Heege 2007b). D’encore plus grandes quantités de céramiques de Heimberg provenant des fouilles sur les lieux de leur utilisation en ville de Berne ont été documentées en 2010 (Heege 2010). Contrairement à d’autres poteries du canton de Berne, les potiers de la région de Heimberg-Steffisbourg se sont concentrés à presque 100 % sur la production de céramiques de table.
Poêle en terre cuite daté de 1864 pour le séchage des terres cuites crues (non encore cuites) de la poterie Künzi au « Lädeli – À l’atelier» à Heimberg. Reconstruit en 1999 pour le Musée du château de Thoune, aujourd’hui malheureusement démoli.
La production ou l’installation de poêles n’a pas joué un rôle significatif (sauf une exception, voir foto : Buchs 1970).
Les débuts de la production
La production de céramiques dans la région de Heimberg a commencé autour de 1730. À cette époque, Abraham Herrmann (1698- 1750) quitte Langnau pour s’établir avec sa famille à Heimberg, puis, plus tard, à Steffisbourg. Il a été suivi en 1752 par son plus jeune frère Peter Herrmann (1712-1764). Apparemment, les deux frères n’ont pas trouvé d’emploi dans l’atelier paternel à Langnau. La plus ancienne archive que nous ayons sur Abraham Herrmann date du 29 avril 1731. On ne peut que supposer qu’Abraham et Peter aient démarré à Heimberg une production de céramiques dans le « style de Langnau » qu’ils avaient appris dans l’atelier paternel. Cependant, ceci n’est pas confirmé par les trouvailles archéologiques ou par des céramiques dont la signature est incontestable (sur l’état actuel des recherches, voir Heege/Kistler 2017/2, 66-68, 268-271 ; Langnau Atelier 1, manière 3).
Le développement de la poterie artisanale à Heimberg
C’est seulement après 1780 que se développe alors, sur la base des influences extérieures du sud de l’Allemagne, respectivement du nord de la Suisse, un véritable « style Heimberg », typique, avec un engobe de fond brun-noir ou brun rougeâtre et un décor au barolet. À peu près en même temps que l’atelier d’Abraham Herrmann, d’autres poteries éclosent à Heimberg avec des potiers venus de l’Emmental – Huttwil, Langnau ou Signau – ou de la Suisse orientale, comme Herisau (Appenzell Rhodes-Extérieures). À partir de 1770/1780 environ, les archives montrent une immigration croissante d’ouvriers compagnons étrangers et, en partie, de potiers, principalement en provenance de la région de Schaffhouse ainsi que des lands allemands du Wurtemberg, de la Hesse et du Palatinat, mais aussi de l’Autriche.
Assiette de Johannes Weisshaubt de Neunkirch près de Schaffhouse, datée de 1785 (Musée national suisse SNM LM-011598, photo Donat Stuppan).
C’est ainsi qu’on relève, par exemple, la signature du potier Johannes Weisshaubt, arrivant de Neunkirch dans le canton de Schaffhouse, sur une assiette typique de Heimberg, datée de 1785 (SNM LM-011598). Cette année-là, treize potiers travaillent dans la commune de Steffisbourg Steffisburg (Schwab 1921, 28 ; Office de contrôle des étrangers BV101, 9).
En 1798, on trouve déjà quatorze potiers à Heimberg parmi les cent onze adultes de sexe masculin résidant dans la commune à l’année, selon le registre d’état civil helvétique. En outre, un potier travaillait alors à Oppligen, à 5 km au nord de Heimberg, et quatre à Steffisbourg. Apparemment, l’argile local constituait une bonne matière première et il y avait, malgré le grand nombre d’entreprises artisanales, assez de bois de feu pour tous.
Dans le cadre des conflits sur les lieux d’installation des fours de potier à Steffisbourg, Steiger, alors préfet de Thoune, a rapporté en 1819 à la Commission de l’Economie rurale du Canton de Berne, ce qui suit : « En dehors de la paroisse de Steffisbourg, des céramiques utilitaires sont fabriquées à Thoune, à Allmendingen, à Jaberg, à Diessbach près de Thoune et à Langnau. Dans la paroisse de Steffisbourg, il y a actuellement trente-quatre fours. Un maître emploie un ou deux compagnons, parfois également un jeune apprenti et un homme de main. Le plus souvent, on employait des femmes et des enfants pour le séchage des céramiques, mais leur peinture n’était réalisée que par des femmes. Parmi les compagnons actuellement employés dans la commune de Steffisbourg, on compte dix étrangers. Les coûts du bois, du matériel et de la main-d’œuvre sont estimés à 60 francs pour chaque cuisson. Après déduction des frais, les poteries peuvent dégager un bénéfice de 40 à 70 francs par cuisson. Dans l’ensemble, la production a considérablement augmenté. Mais seulement une partie insignifiante de la production est vendue dans notre propre canton, [… il se peut que le reste soit exporté vers d’autres cantons, ou en France, en Allemagne ou encore en Italie …] » Registres de la Commission de l’Economie rurale : Archives de l’Etat du canton de Berne B IV 15, tome XI (1818.11.06-1821.06.09), pp. 45–46). Dans ce contexte, on notera qu’Alexandre Brongniart a également confirmé en 1844 que les femmes étaient responsables de la décoration de la céramique à Heimberg. L’exportation, en particulier vers la France et l’Italie, ne peut pas encore être prouvée en raison de l’absence de publications sur d’éventuelles nouvelles découvertes archéologiques.
En 1832, le préfet de Thoune commentait l’activité potière à Heimberg et dans les environs en ces termes: « La poterie est importante et on en produit tellement que plusieurs particuliers construisent de belles maisons. Chaque semaine, plusieurs chariots remplis à ras bord partent pour la ville » (Archives de l’État de Berne, Berne, A II 3401, p. 23, 6.12.1832, cité par Frank 2000,766). En 1834, il fait savoir que les potiers emploient un grand nombre de compagnons venus de l’étranger, mais que, cependant, la moitié des compagnons sont des autochtones. Pour 55 maîtres potiers de la région, on compte cinq à six étrangers (Archives de l’État de Berne, Berne, A II 3402, p. 13, 15.2.1834, cité par Frank 2000, 766).
Pour l’année 1836, Alexandre Brogniart (1844, 14) faisait état de plus de 50 ateliers de poteries dans la région de Heimberg-Steffisbourg.
L’afflux de compagnons en provenance de Suisse, mais également de l’étranger, a continué sans relâche après 1800. Entre 1810 et 1908, dans les deux districts administratifs de Thoune et de Konolfingen qui nous intéressent, on relève des demandes d’emploi de quatre cent un compagnons venant de Suisse (y inclus le canton de Berne), deux cent vingt-neuf d’Allemagne, dix-neuf de France, sept d’Autriche, un des Pays-Bas et un de Hongrie (relevés des Offices de contrôle des étrangers conservés dans les Archives cantonales bernoises). Parmi les compagnons allemands, ceux du Bade-Wurtemberg dominent de loin devant ceux de la Bavière, de la Hesse, de Nassau, de la Prusse et de la Saxe. Parmi les compagnons suisses, beaucoup viennent des cantons d’Argovie (surtout de Rekingen), de Bâle (Läufelfingen), de Lucerne (Malters, Meggen), de Saint-Gall (Berneck et les villages des environs : Altstätten, Au, Balgach, Eichberg, Lüchingen, Marbach, ainsi que des villes de Rapperswil et de Saint-Gall), de Schaffhouse (Beggingen, Neunkirch, Oberhallau et Unterhallau, Thayngen et Wilchingen) , de Thurgovie (Berlingen, Steckborn), des cantons de Vaud (Duillier, Poliez-Pittet) et de Zurich (Bulach, Dällikon, Rafz, Schauenberg, Unterstammheim, Wädenswil et Zurich). Tous ces compagnons ont ramené leurs connaissances du « style de Heimberg » (tant pour sa technique que pour ses motifs du décor) dans leurs communautés d’origine et en ont ainsi assuré sa diffusion.
Si les données relevées dans les registres des offices de contrôle des étrangers sont correctes, elles sont alors contraires aux chiffres mentionnés dans la littérature (Schwab 1921, 85 ; « … quatre-vingts compagnons dans les années 1850 … »). En consultant les registres des offices de contrôle des étrangers on relève qu’il n’y a jamais eu plus de vingt-sept inscriptions de compagnons dans une année donnée entre 1809 et 1908. C’est un maximum absolu. Dix nouvelles inscriptions par an semblent caractériser les années les plus productives de l’industrie de Heimberg entre 1843 et 1866. Après cette date, entre 1880 et 1908, les chiffres sont inférieurs à dix et fluctuent entre un et trois compagnons par an. Les informations fournies par Schwab (Schwab 1921, 81) sur les différends survenus avec les compagnons allemands dans les années 1860 sont clairement confirmées par les nouvelles inscriptions dans les registres. En 1863, pour la région de Heimberg, on a encore enregistré neuf compagnons allemands, respectivement huit en 1864, puis le nombre est tombé à trois en 1865, deux en 1866 et un en 1867. Dès 1868, il n’y a plus guère d’arrivées de compagnons allemands. Entre 1869 et 1881, on relève, dans les registres, l’arrivée de seulement onze compagnons allemands. Cependant, il ne faut pas oublier qu’à cette époque le commerce à Heimberg semble être dans une phase de crise et de restructuration fondamentale, puisque le nombre de compagnons de nationalité suisse a également fortement diminué au cours de la même période.
Liste des compagnons étrangers par ordre alphabétique (données d’Andreas Kistler tirées des documents des Archives de l’Etat de Berne)
Liste des compagnons étrangers par pays, canton, lieu (données d’Andreas Kistler tirées des documents des Archives de l’Etat de Berne)
Liste des potiers bernois chez lesquels des compagnons étrangers ont travaillé (données d’Andreas Kistler tirées des documents des Archives de l’Etat de Berne)
Vase fait à Heimberg par le compagnon Carl Traugott Lieberwirth de Strehla en Saxe (MKB VI-1432).
Des céramiques attestant la présence de compagnons à Heimberg sont rares. Jusqu’à présent, nous n’avons qu’un vase de Heimberg signé d’un compagnon nommé Carl Traugott Lieberwirth de Strehla en Saxe, dans l’arrondissement de Meissen (MKB VI-1432). En 1829, ce dernier fut, pour trois mois et demi, compagnon chez le potier Christian Reusser à Kiesen, à 5km au nord de Heimberg (Archives de l’Etat du canton de Berne du district administratif de Konolfingen B 1434, p. 258). Le Musée d’histoire de Berne conserve également un vase orné de fleurs en relief qui porte sur son socle un dicton gravé et la signature de l’artisan qui l’a fabriqué : « Ni comme les roses, ni comme les œillets qui passent et se flétrissent, mais bien comme le rougeoiement du feu, fleurira toujours notre amitié. [Nicht wie Rosen nicht wie Nelken, den die vergehn u. verwelken, Sonder wie das Feuerglühn, soll stets unsre Freundschaft blühn] Heinrich Notter » (BHM 6933).
Vase de Heinrich Notter de Willisdorf, canton de Thurgovie, qu’il a réalisé à Heimberg en tant que compagnon potier (Musée d’Histoire de Berne BHM 6933).
Cet Heinrich Notter vient de Willisdorf (canton de Thurgovie) et a travaillé, entre juin 1860 et septembre 1868 chez quatre potiers de Heimberg (Archives de l’Etat du canton de Berne du district administratif de la région de Thoune B 129). Il est possible qu’il ait apporté ce genre de décor en relief depuis sa patrie dans l’est de la Suisse, parce qu’à Steckborn, en Thurgovie, sur les rives du lac de Constance, on trouve un travail similaire du potier Martin Guhl (1825-1892) (Früh 2005, 518). Entre 1844 et 1849, un certain Johann Martin Guhl de Steckborn (est-ce la même personne ?) a travaillé comme compagnon chez quatre potiers dans les villages de Hasle près de Berthoud, Diessbach, dans la région des lacs du canton de Berne ainsi qu’à Kiesen-Murachere et Kiesen, près de Heimberg (Archives de l’Etat du canton de Berne du district administratif de Konolfingen B 1436). Il aurait également pu apprendre ce type de décor chez ces potiers puis l’emmener à Steckborn.
Répartition des poteries à Heimberg (Buchs 1988, 11).
Les données statistiques précises concernant la poursuite du développement de la poterie dans la région de Heimberg sont rares, mais il semble que pendant les périodes de pointe de la production (vers 1820-1860), environ 80 poteries aient été actives dans la région de Heimberg/Steffisbourg (voir pour Heimberg la cartographie de Buchs 1988, 11).
En 1860, septante potiers ont signé une pétition déposée auprès du gouvernement bernois, dans laquelle ils ont demandé un réexamen des taxes sur les produits en céramique dans les négociations avec la France. À la suite de cette pétition, une réduction des droits d’importation français leur a permis d’augmenter leurs ventes dans ce pays (Archives de l’Etat de Berne, BB IV 95).
En 1874, Josef Merz, architecte à Thoune, faisait encore état de « 62 maîtres potiers indépendants, qui travaillent avec 53 fours et emploient 105 aides. La production moyenne par an s’élève à environ 4000 francs par maître. Le rendement moyen annuel net est d’environ 1500 francs. Le chiffre d’affaires total pour la région est donc d’environ 250 000 francs et bénéfice net réalisé de 93 000 francs. En temps normal, comme actuellement par exemple, la demande est nettement supérieure à la production et elle augmenterait encore si la fabrication était meilleure, même si les prix devaient être proportionnellement augmentés. Mais la production est en fait en déclin car les ateliers sont actuellement exploités comme ils l’étaient déjà du temps des grands-parents. Cette situation est principalement due au fait que les apprentis ou les jeunes compagnons ne cherchent pas à se former davantage, ne vont généralement pas à l’étranger et ne font donc pas de progrès notables. Les formes de toutes les poteries, leurs couleurs et leurs décors restent identiques. Ainsi, ces produits présentent un aspect inesthétique rappelant des époques passées ». (Merz 1874, 23).
Le recensement fédéral des entreprises (statistique des arts et métiers) de 1889 indique 41 ateliers de poterie à Heimberg et 12 à Steffisbourg. Au total, 217 personnes vivent alors de la poterie (Gewerbestatistik – Statistique des arts et métiers de 1889, cité par Frank 2000, 767).
L’apparition de ce que l’on appelle la « Majolique de Thoune », une céramique de style historiciste au décor chargé, principalement destinée au marché touristique en pleine expansion dès les années 1870, a entraîné des ventes de plus en plus florissantes après l’exposition universelle de 1878 à Paris pour probablement une petite dizaine d’entreprises céramiques innovantes. Nous ne savons pas dans quelle mesure certains autres ateliers de poterie ont également participé à ce type de production, en travaillant notamment pour des grossistes en céramique comme Schoch-Läderach. Il est cependant évident que même après la fin de la Majolique de Thoune et l’avènement de la vaisselle Art Nouveau (entre 1900 et 1905 environ), la majorité des ateliers de potiers n’ont pas participé à cette production de céramiques de style « Art nouveau », mais sont restés attachés à la production des céramiques de table traditionnelles. En raison du manque de pièces représentatives dans les collections des musées ou de fouilles archéologiques, nous n’avons pratiquement aucune connaissance de l’apparence exacte ou des décors de ces « céramiques de table traditionnelles ».
En 1908, Oscar Blom, directeur du Musée des arts et métiers de Berne, mentionne encore 47 entreprises dans la région (Blom 1908, 3, sans liste nominative). La brochure Adress- Reise- und Reklamen-Taschenbuch für Thun und Berner Oberland – Brochure contenant les adresses, locales et de voyages, ainsi que les publicités pour la ville de Thoune et le Haut-Pays bernois, de 1908 répertorie les potiers suivants, dont nous ne savons toutefois pas avec certitude s’ils produisaient également de la céramique de table ou à usage domestique :
Heimberg (19 noms cités) Aebersold Johann ; Aebersold Gottlieb ; Amstutz Elisabeth Wwe; Bieri Karl ; Forster Johann ; Gugger Chr. ; Haueter Eduard ; Hänni Friedrich ; Jenni Robert ; Kunz Fr. ; Künzi Johann ; Läderach Johann ; Loder Bendicht ; Portner Hermann ; Reusser Jakob ; Schädeli Fr. ; Schenk Fritz ; Schenk Rudolf ; Tschanz Gottfried. Karl Schenk, qui fabriquait des céramiques et les signait, est également mentionné comme apiculteur et huissier. Gottfried Tschanz assurait également les fonctions du poste politique que les Suisses alémaniques nomment Gemeindepräsident – littéralement Président de la commune – qui correspond à la fonction de maire en France.
Interlaken (2 noms cités) Ritschard Karl, Centralstrasse – Rue centrale ; Straubhaar G., Rugenparkstr. – Rue du Parc Rugen (nom d’une petite colline avoisinante)
Saanen – en français Gessenay (1 nom cité) Loosli Jak.
Steffisbourg (12 noms cités) Bieri Ed., Bernstrasse – Rue de Berne; Frank Fr., Bernstrasse ; Frank Chr., Bernstrasse ; Hermann Rud., Bernstrasse ; Hänni Gottl., Bernstrasse ; Hodel Karl, Bernstrasse ; Loder Karl, Bernstrasse ; Meyer Fr., Bernstrasse ; Messerli Gottfr., Bernstrasse ; Müller Kl., Bernstrasse ; Tschanz Joh., Bernstrasse ; Zürcher Ed., Bernstrasse. L’entreprise de la veuve Wanzenried-Ingold est désignée sous sa raison sociale de « Fabrique de majolique ».
Strättligen, alors un petit village, actuellement une ville de 25 000 habitants à 7 km au sud de Heimberg, (2 noms cités) Feiler Gottl., établit à Allmendingen, à 2 km au nord-ouest de Strättligen, actuellement un quartier de Strättligen; Straubhaar, établit à Buchholz, actuellement un quartier de Strättligen.
Wimmis (1 nom cité), petit village actuellement de 2 500 habitants à 15 km au sud de Heimberg, Loosli, Alfred
Zweisimmen (1 nom cité), petit village actuellement de 3 000 habitants à 45 km au sud-ouest de Heimberg, près de Saanen-Gessenay, Gobeli, Hans
Dans les années 1920, ce nombre était tombé à une vingtaine de fabricants (Schwab 1921, 104).
Ces ateliers de poterie se composent désormais de plus en plus de propriétaires ou chefs d’atelier et d’employés formés dans les écoles techniques de céramique en Suisse (Chavannes ou Berne, Steffisbourg, Langnau) ou qui sont au moins allés dans des écoles de poterie ou ont suivi des cours spécialisés. Ils ont alors su adapter leur gamme de produits aux tendances de la mode, telles qu’elles apparaissaient, par exemple, à la Foire aux échantillons de Bâle fondée en 1917 et qui s’arrêtera en 2019 après 103 ans d’existence, victime des achats sur Internet.
A l’Office fédéral de la culture, la « poterie paysanne bernoise » est représentées dans les sections des « Traditions vivantes en Suisse » et de l’« Artisanat traditionnel ».
Céramique dans le « style de Heimberg » – Céramiques « à la manière de Heimberg »
Alexandre Brongniart, directeur de la manufacture de porcelaine de Sèvres, a publié en 1844 une brève description de Heimberg et de sa production céramique :
« … elles ont cette coloration dure et tranchée qui caractérisent en général les ornements suisses. Dans ce petit district de Heimberg, depuis Thun même jusqu’à environ 1 kilom. au-delà, sur la route de Berne, il y a plus de 50 Potiers. La pâte de cette poterie est composée de deux argiles qui viennent des environs : l’une, rougeâtre vient de Merlingen [plus correctement Merligen sur le lac de Thoune, à 15 km au sud de Heimberg; Boschetti-Maradi 2006, 19], l’autre de Steffisbourg dans le Heimberg ; avant d’être cuit, ce mélange est gris de fumée ; on donne aux pièces diverses couleurs par des engobes argileuses mêlées naturellement ou artificiellement, de divers oxydes métalliques, le rouge par l’argile ocreuse, le brun par le manganèse et le blanc par une argile blanche exempte de fer. Les engobes sont comme à l’ordinaire mises sur le cru bien sec ; sur ses enduits argileux on place des ornements grossiers mais très-variés, avec des bouillies d’argiles colorées par des oxydes très-tingents : l’antimoine, le cuivre, le cobalt et encore le manganèse. Ces couleurs sont dans de petites écuelles ou casseroles ressemblant à des lampes dont le bec est muni d’un tuyau de plume ; une femme fait, avec la couleur qui sort par ce tuyau, les points, les linéaments, et autres figures dont elle veut orner le vase ; la variété d’ornements dont ces potiers savent donner à leurs pièces, est considérable. Le vernis est simplement du minium qui est mis, par saupoudration, sur le cru bien sec. La pâte, l’engobe, les ornements et le vernis sont cuits ensemble, en un seul feu, dans des fours en cylindre couché et à foyer intérieur. On cuit au bois de sapin. » (Brongniart 1844, Bd. 2, 14–15. Les illustrations correspondantes ont été publiées dans Brongniart/Riocreux 1845, planche 31,4.12.13).
Céramiques de Heimberg (Brongniart/Riocreux 1845, pl. 31,4.12.13). Le n° 4 a cependant été acheté à Thoune par le musée de Sèvres en 1817 déjà, tandis que les n° 12 et 13 ont été rapportés par Brongniart en 1836.
Les céramiques produites dans la région de Heimberg-Steffisbourg dans le « style de Heimberg » sont très diverses. Elles n’ont pas encore été structurées de manière exhaustive sur le plan typologique. Comme la région est devenue au 19ème siècle le leader du marché des poteries sur le plan du style, elle a tout naturellement eu une influence importante également sur d’autres régions productrices de poteries du canton de Berne et du reste de la Suisse, il est difficile de déterminer avec certitude le lieu où une céramique individuelle a été produite. Pour prendre cet état de fait en compte, on utilise la désignation « à la manière de Heimberg » pour qualifier cette céramique. L’indication de provenance « région de Heimberg-Steffisbourg » doit donc être comprise de manière très générale et inclut explicitement tous les lieux des poteries environnantes à l’intérieur du canton de Berne (par exemple aussi les produits de Langnau, dans l’Emmental, de la seconde moitié du 19ème siècle, voir Heege/Kistler 2017/2, 172-173). L’indication d’origine « Berneck (canton de Saint-Gall) » doit également être comprise comme un terme générique, qui inclut certainement d’autres sites de production dans la région au sens large – entre autres Steckborn, canton de Thurgovie ou même (?) les villages des potiers du Bregenzerwald autrichien (littéralement, forêt de Bregenz, une des principales régions du Land du Vorarlberg en Autriche). La dénomination de la localité de « Berneck » doit donc être comprise ici aussi comme un terme générique pour les céramiques « à la manière de Heimberg » que l’on trouve principalement dans les musées de Suisse orientale (cantons des Grisons, d’Appenzell, de Saint-Gall et de Thurgovie). Du point de vue stylistique, ces céramiques ne peuvent jamais être clairement distinguées des céramiques du canton de Berne. Actuellement, faute d’une meilleure base, la classification se fait plutôt selon « l’instinct ».
Plat creux (plat à rösti) précoce de Heimberg à bord arrondi, datée de 1783 (Musée d’histoire de Berne BHM 3189).
À partir de 1780 environ, l’étendue des décors et des formes des céramiques « à la manière de Heimberg » comprend des récipients à engobes de fond noir, rouge et plus tard blanc (les pièces les plus anciennes sont datées de 1781 ; SNM LM-3509 ; SNM LM-18395, et les suivantes, plus récentes, de 1783 : BHM 3189, MKW 219).
Souvent, les faces intérieures et extérieures d’un récipient diffèrent par leurs engobes de base (noir-rouge, noir-blanc, rouge-blanc, rouge foncé-rouge orange), mais il existe aussi des céramiques dont les deux côtés sont recouverts d’un engobe de même couleur, rouge ou blanc, respectivement beige (Heege 2010, Fig. 67, 68-70, 73-79). Les formes fermées comme les cruches, les pichets, les pots ou les soupières ont toujours un engobe de fond blanc à l’intérieur.
Région de Heimberg-Steffisbourg, plat creux (plat à rösti) à bord arrondi, datée de 1793 (Musée Ariana, Genève MAG R 222).
À peu près en même temps que les céramiques à engobe de fond noir et brun foncé, une deuxième ligne de production a démarré dans la région de Heimberg, qui se caractérise par un engobe de fond rouge à brun rouge intense (par exemple MAG R 222). La plus ancienne pièce datée est une assiette au décor de dragon (militaire à cheval d’une milice bernoise) avec un rebord de forme inhabituelle datant de 1784 (SNM LM-63935).
La céramique est largement décorée au barolet. Ensuite, le décor peint peut encore être accentué par des incisions avec le « stylet à graver ». En outre, on trouve aussi des « décors guillochés ».
Plat creux (plat à rösti) avec décor gravé et au barolet, ainsi qu’un décor guilloché sur l’aile, vers 1800/1810 (Musée Ariana, Genève MAG 7609).
Assiette typique de Heimberg avec le dicton du potier « Ich bin der Vogel aller Ding, des Brot ich ess, des Lied ich sing – Je suis un oiseau et autant de pain je mange, autant de mélodies je chante, 1799 » (Musée Ariana, Genève MAG R 220).
Les plats et assiettes creuses « à rösti » portent souvent des « dictons », qui ne correspondent que partiellement à ceux de Langnau, mais présentent une composante plus internationale en raison des pérégrinations des compagnons. Ils sont toujours peints au barolet et non, comme à Langnau, gravés. Une combinaison du décor au barolet avec le « décor peigné » ou le « décor aux coulures » semble être inhabituelle à Heimberg. Probablement que ces ateliers produisaient également des céramiques avec glaçure unicolore ou avec un simple décor tacheté, ou encore avec des « particules colorées dans l’engobe de fond ». Afin de savoir si les rebuts de cuisson de la poterie « Grosses Höchhus – La Grande maison du haut » de Steffisbourg, sur lesquels on a trouvé des décors à l’éponge et des décors herborisés sont vraiment représentatifs des décors « à la manière de Heimberg », il serait nécessaire de poursuivre les fouilles sur les autres lieux des poteries de la région.
Ce qu’il est convenu d’appeler « la majolique de Thoune » s’est développée dans les années 1870 sur la base du style des céramiques « à la manière de Heimberg », qui a de plus en plus perdu sa spécificité sous l’influence des écoles de céramique et des classes de dessin ainsi que sous celle de l’Art Nouveau et de l’Art Déco. Il est donc parfois difficile de faire la distinction entre des céramiques « à la manière de Heimberg » et celles dans le style dit des « majoliques de Thoune », d’autant plus que les majoliques de Thoune étaient produites tant par des ateliers de poteries artisanales et individuelles que par des manufactures proto-industrielles, respectivement par de petites usines de céramiques comme celle de Johannes Wanzenried à Steffisbourg.
Les assiettes et plats « à rösti », d’abord avec une bordure arrondie puis, après 1800, à bords coudés (plats à collerette) sont très caractéristiques de la céramique « à la manière de Heimberg » à partir de 1780. On trouve aussi fréquemment des soupières couvertes et des pots à anses (pots à lait). Les cafetières et les tasses à café ne sont pas rares. D’autres formes sont plus exceptionnelles, telles que les fontaines murales et leurs bassins, les plats à barbe, les écritoires, les pots à tabac, les barattes à beurre, les assiettes avec égouttoirs, les bols en forme de calotte, les bougeoirs, les tirelires, les lampes à huile et les sucriers. Les pots couverts pour le stockage de la nourriture (pots à saindoux) semblent être d’une grande rareté, du moins dans une production avec un décor peint. Mais il manque une vue d’ensemble systématique des formes, tant pour les objets conservés dans les musées que pour les trouvailles archéologiques.
Plat creux (plat à rösti) à collerette biseautée, vers 1810/1820 (Musée Ariana, Genève MAG R 242).
Les assiettes et les plats « à rösti » à collerette angulaire-triangulaire comme celle du Musée Ariana à Genève (MAG R 242) sont depuis longtemps considérés comme des produits typiquement suisses dans la littérature sur les arts populaires. On suppose que ces formes céramiques ont été imitées dans le sud de la Forêt-Noire (massif montagneux du sud-ouest de l’Allemagne, situé à la frontière avec la France) et dans le sud du district allemand de Moyenne-Franconie (l’une des sept circonscriptions de Bavière) avec cet engobe de fond noir typique et ce décor, sur la bordure, de crochets en forme de S – motif du chien courant – peint au barolet – typiques des céramiques « à la manière de Heimberg », après que des compagnons potiers se soient familiarisés avec les formes et les motifs couramment utilisés dans la région de Heimberg-Steffisbourg (Groschopf 1937, 44 ; Spies 1964, 38, 39, 66 ; Bauer 1971, 51-52 ; Bauer/Wiegel 2004, 389). Une filiation inversée, du sud de la Forêt-Noire vers Heimberg, a également été supposée (Meyer-Heisig 1955, 39-43), mais elle n’a pas encore été suffisamment étayée par manque de données en provenance du sud de l’Allemagne. La date du début effectif de l’apparition des céramiques « à la manière de Heimberg » au sud de l’Allemagne n’est pas actuellement pas clairement établie en raison de l’absence d’inventaires bien datés des trouvailles archéologiques des Lands allemands du Bade-Wurtemberg ou de la Bavière. À Schwäbisch Gmünd, ville du Land allemand du Bade-Wurtemberg, aucun plat ou assiette « à rösti » avec collerettes à bords coudés datant d’avant 1817 n’a été trouvé (Gross 1999). Un examen approfondi de la littérature et de nombreux inventaires de musées suisses révèle qu’aucunes assiettes ni aucuns plats « à rösti » avec collerettes coudées n’étaient présents ni dans la production traditionnelle de Bäriswil (avant 1821) ni, jusque dans les années 1830, dans celle de Langnau (Heege/Kistler/Thut 2011 ; Heege/Kistler 2017/2). Cette forme de collerette ne s’est donc pas développée au 18ème siècle dans le centre du canton de Berne. Et même parmi les plus anciennes assiettes ou plats datés produits à Heimberg avec un engobe de fond noir ou rouge, de 1781 et jusqu’aux années 1820, ce sont principalement les formes avec une bordure arrondies sur la face supérieure que l’on peut trouver (voir par exemple MAG N 686, MAG R 195 , MAG R 221, MAG R 213, MAG R 240, MAG R 244, MAG R 219, MAG R 222, MAG R 185, MAG R 239). Dans les musées, la plus ancienne céramique avec une collerette à bords coudé est datée de 1813, puis, on en trouve de plus en plus souvent au cours des années suivantes (FMST K114, BHM 5876, Heege 2010, fig. 75). Leurs nombreuses présences parmi les trouvailles archéologiques de la Brunngasshalde à Berne (1787-1832) n’est donc pas surprenante (Heege 2010, fig. 67, 68, 70, 72, 74, 76 et 77). Dans le cadre des recherches archéologiques, une variante de ces collerettes coudées, comportant pour la première fois une forte présence de particules de couleur dans l’engobe de fond, a été trouvée dans les fouilles de l’Alte Landvogtei (vielle demeure baillivale) à Riehen dans le canton de Bâle-Ville (proche de l’Allemagne du sud). Elle a été déposée en ce lieu au plus tard en 1807. On y a aussi trouvé deux autres plats « à rösti » ayant cette forme de collerette (Matteotti 1994, planches 77 et 78, 92). Ces trouvailles semblent soutenir la thèse de Meyer-Heisig (filiation inversée, du sud de la Forêt-Noire vers Heimberg).
Regroupements des céramiques « à la manière de Heimberg »
L’aperçu suivant ne prétend pas être exhaustif, car le corpus complet des céramiques « dans le style de Heimberg », respectivement « à la manière de Heimberg », n’a pas encore été entièrement étudié.
Céramiques « à la manière de Heimberg » avec engobe de fond noire ou rouge, phase la plus ancienne
Plat de 1792, avec ce dicton du potier: « Die Rosen schmöcken [riechen] lieblich die Knaben sind betriblich – Les roses sentent bons, les garçons sont entreprenants » (Musée Ariana, Genève MAG R 215).
Cette céramique datée de 1792 aux engobes noir et rouge et aux influences stylistiques de la région de Schaffhouse, respectivement du sud du Bade-Wurtemberg, est la plus ancienne du groupe des céramiques « à la manière de Heimberg ». Elle est typique de la période qui coure de 1780 à environ 1820. Plus tard, on verra ces céramiques continuer à se développer, tant sur le plan technologique que sur celui des couleurs, et les motifs peints se modifier, comme , par exemple, sur les plats ci-dessous (Heege/Kistler 2017/1, 378-411).
Céramiques « à la manière de Heimberg – noire et rouge », collerettes biseautées, vers 1840-1860 et vers 1865-1870 (Musée Ariana, Genève MAG R 216 et R 234).
Les céramiques « naïves » de Heimberg
Un ensemble distinct, avec des décors et motifs locaux, apparaît à partir du début du 19ème siècle (voir MAG R 241, MAG 7312, MAG 16699, MAG R 212, MAG R 194, MAG R 217, MAG R 218, MAG R 223, MAG 971). Il se caractérise par des représentations d’apparence naïve, dans lesquelles des personnage – souvent des enfants – sont représentés dans des vêtements, des uniformes et des activités d’adultes.
Les vêtements sont majoritairement ceux à la mode pendant l’Empire postrévolutionnaire ou le Biedermeier. On les reconnaît particulièrement bien à la coupe des robes. Ce groupe, derrière lequel se cachent probablement un seul ou un tout petit nombre de peintres céramistes de Heimberg et d’ateliers travaillant de la même manière, a commencé au plus tard en 1808 avec la représentation d’un potier et d’un peintre céramiste dans l’atelier (BHM 7943). La pièce la plus récente de cette série est datée de 1832 (MKB VI-2821). Mais il est possible qu’il existe un deuxième peintre sur céramique qui a travaillé de manière similaire et dont les céramiques ont été produites jusqu’en 1856 au moins (par exemple BHM 8751 ; Heege 2010, fig. 78 ; voir également Creux 1970, 130, 5).
Céramiques « à la manière de Heimberg » avec draperies
Avec leurs décors de draperies, particulièrement présents sur les assiettes, plats « à rösti » et soupières, voilà un autre grand groupe des céramiques « à la manière de Heimberg ». Ce type de décor couvrant une grande partie des bords rappelle la décoration textile des intérieures de cette époque où les styles Empire et Biedermeier régnaient en maître (voir MAG 12016, MAG AR 1999-97).
Malheureusement, presque aucuns de ces plats ne sont datés, de sorte qu’une attribution temporelle précise n’est guère possible. Il n’y a que peu d’indices chronologiques. Des céramiques avec des draperies isolées, encore courtes et ne comportant généralement qu’un ou deux pans, sont attestées en 1802, 1815, 1817, 1820 et 1828 (SNM LM-4816 ; MKB VI-5125 ; SNM HA-4250 ; NH-KL NH2000-025 ; MKB VI-977). Les premières draperies triangulaires juxtaposées à plat apparaissent sur le bord des assiettes en 1817 et 1819 (SNM HA-4250 ; MKB VI-3932). Il n’est donc pas surprenant que des motifs similaires soient également apparus dans les trouvailles archéologiques des déchets urbains de la Brunngasshalde à Berne, déposés là avant 1832 (Heege 2010, fig. 74). Mais, à titre d’exemple, on trouve également des draperies de ce type sur une assiette datant de 1867 (SMT 5186) et sur un poêle en faïence datant de 1864, qui était utilisé dans l’atelier du potier Johann Künzi à Heimberg comme poêle pour sécher les céramiques crues (Buchs 1970). L’évolution de cette décoration a finalement débouché dans la seconde moitié du 19ème et au début du 20ème siècle sur le décor « aux hiboux – en allemand Chrutmuster – littéralement motif aux feuilles » couvrant la presque totalité de la surface des « majoliques de Thoune » (Blaettler/Ducret/Schnyder 2013, planche 73,1).
Céramique « à la manière de Heimberg » avec engobe de fond blanc, décor gravé et décor au barolet
En plus des céramiques à engobe de fond noir ou rouge, une troisième série de produits à engobe de fond blanc, combinés avec des décors gravés et peints au barolet (par exemple MAG 7610, MAG N 30, MAG 4638, MAG 7608, MAG 4640, MAG R 165, MAG AR 2015-383, MAG 16697) se développe dans la région de Heimberg-Steffisbourg à partir du début du 19ème siècle. Comme pour les céramiques de « Langnau », dans l’Emmental bernois, le contour des fleurs et des feuilles, mais aussi des personnages, des armoiries et des draperies a d’abord été gravé puis rempli d’engobe à peindre avec le barolet. Certaines parties des motifs peuvent aussi avoir été peintes seulement avec le barolet sans gravure initiale. Des assiettes ou plats de cette série de produits peuvent également se trouver avec une aile recouverte d’un engobe noir ou rouge et un bassin engobé en blanc (comme MAG 14039) ou, à l’inverse, avec un bassin engobé en noir ou rouge et une aile en blanc. Le dos peut également être engobé en rouge. L’ensemble de cette série de produits n’est pas suffisamment daté.
Si les dates gravées ou peintes sur cette série de céramiques sont correctes, la technique décrite ci-dessus se retrouve pour la première dans le fond d’une assiette datée de 1805 (SMT 22). Suivent deux plats à barbe datés de 1813 et 1829 (RML A78 ; propriété privée), une cafetière sur pied datée de 1814 (MKB VI-2881), un plat daté de 1819 (HMTG T225), une assiette datée de 1820 (SMT 569), une cafetière datée de 1827 (MKW 229), un vase daté de 1829 du compagnon potier saxon Carl Traugott Lieberwirth (MKB VI-1432, fig. 62) et finalement une tasse à café, et sa sous-tasse, datée de 1830 (BHM 8424, HEEGE 2010, ill. 69). En outre, le musée du château de Thoune conserve également un bol à crème (SMT 11132) daté de 1831 et une assiette de 1831, sur laquelle même le lieu de fabrication « Heimberg » est indiqué (SMT 12680, fig. 66). Ces dates sont étayées par des trouvailles archéologiques. Des poteries de ce type ont été trouvées dans le sol à Wimmis, dans le canton de Berne, à une quinzaine de kilomètres au sud de Heimberg, entre 1820 et 1836 (ADB, FpNr. 340.013.2011.01) et ont également été déposées dans la décharge municipale de la Brunngasshalde de Berne avant 1832 (Heege 2010, fig. 68,2). Le développement du décor de ce groupe s’étend toutefois au-delà de cette période, probablement jusque vers 1850/60, et couvre donc probablement la première moitié du 19ème siècle, avec un pic de production pendant la période 1820-1840.
La désignation de Heimberg en tant que région de production probable de cette série de produits à engobe de fond blanc, combinés avec des décors gravés et peints au barolet n’est pas seulement dû au vase (MKB VI-1432) fabriqué par Carl Traugott Lieberwirth chez le potier Christen Reusser à Kiesen, à 5 kilomètres au nord de Heimberg, et à l’assiette du musée du château de Thoune (SMT 12680) qui mentionne « Heimberg » comme lieu de production, mais aussi aux quelques exemples qui peuvent être attribués à cet atelier de poterie à Heimberg en raison des motifs « naïfs » de son décor (voir plus haut).
Assiette du Musée du château de Thoune, datée de 1831 (SMT 12680).
On trouve également de petits dragons (militaires à cheval) et d’autres enfants habillés en adultes sur des engobes de fond blanc (ZHdK-KGS 01100 ; MKB VI-2217 ; SNM HA-4255, LM-45843). Les vêtements féminins sont toujours froncés sous le buste, comme on peut s’y attendre avec la mode française omniprésente dans cette République helvétique (1798-1803), au temps de la médiation (1803-1813) puis de la restauration (dès 1815), c’est-à-dire jusqu’aux années 1830. Les armoiries cantonales bernoises (MAG 7610, MAG 7608) sont très populaires sur cette série de céramiques. On les trouve non seulement sur la tasse datée de 1830 (BHM 8424 ; HEEGE 2010, fig. 69), mais aussi sur d’autres assiettes (BHM 12549, BHM 12580 ; MKB VI-2216), sur des plats à barbe (RML A80 ; BHM 2594, BHM 21232) et même sur une cafetière (MAG 4638).
Céramiques « à la manière de Heimberg » décorées au barolet avec des engobes à peindre bleus
L’utilisation de la couleur bleue déposée au barolet sur les céramiques « à la manière de Heimberg »” a commencé timidement à la fin des années 1820 (MKB VI-1432) et est ensuite devenue de plus en plus populaire. Cinq assiettes et plats à engobe de fond blanc du Musée Ariana à Genève sont stylistiquement liés entre eux par l’utilisation de cette couleur bleue déposée au barolet, présentant généralement d’importantes coulures (MAG 7608, MAG 4640, MAG R165, MAG AR 2015-383, MAG 16697, voir aussi MAG R 216, MAG 14093).
Deux assiettes (plats « à rösti ») du Musée Ariana à Genève (MAG 7608 et MAG 4640) sont liées par leur décoration sur l’aile composée de fleurs, soit sphériques soit en forme de rosette, et de petites feuilles rondes et vertes accompagnées de petits points brun foncé alignés. En outre, l’assiette MAG 4640 est également liées à l’assiette (plat « à rösti ») MAG R 165 par les motifs de draperie déjà mentionnés. Les bandeaux de fleurs et de feuilles décrites ci-dessus se développe à partir des années 1820. Cependant, à un stade précoce, les lignes de petits points brun foncé qui les accompagnent semblent manquer, comme sur une cafetière du Fitzwilliam Museum de Cambridge, Royaume-Uni, datant de 1836 (FWMC C.1910-1928).
Gourde datée de 1842 (MKB VI-10765).
Des bandeaux complétement décorés se trouvent également sur deux assiettes datées de 1837 et 1838 (SNM LM-010321, MAHN AA-1462) et sur une gourde datée de 1842 (MKB VI-10765). Les rares céramiques similaires sont datées de 1848 (propriété privée, maison d’Albert Anker à Aneth, canton de Berne, Seeland), 1853 (BHM 5874, MKB VI-1765), 1857 (BHM 6937), 1858 (MTrub 677), 1863 (SMT 4896), 1864 (MAHN AA-2023) et 1871 (MKB -1423).
Céramiques « à la manière de Heimberg », uniquement avec un décor au barolet dont le bleu présente d’importantes coulures
Les céramiques « à la manière de Heimberg » qui n’ont qu’un décor au barolet sans décor gravé additionnel (voir MAG 14205, MAG R 152), semble représenter une sorte de régression ou, pour le moins, un stade de développement plus récent.
En règle générale, les différents engobes à peindre des barolets étaient associés entre eux. Ainsi, le bleu, présentant souvent d’importantes coulures, est soit la couleur principale, soit au moins la couleur d’une grande partie de la céramique. Une décoration au barolet de plusieurs couleurs avec une composante bleue apparaît pour la première fois sur un plat à barbe daté de 1862 (propriété privée Cham). Les autres pièces datées sont rares. Parmi elles, on trouve une soupière datée de 1869 (RSB IV-924), deux assiettes avec égouttoir de 1874 (SNM LM-011799, SNM LM-017871) et deux plats à barbe de 1874 et 1877 (Musée des Augustins, Fribourg en Brisgau, Land allemand du Bade-Wurtemberg 2008/041 ; MBS 1920.129). Ce groupe comprend également des pièces décorées avec les armoiries du canton de Berne, comme sur une petite soupière (MKW 265), sur des tasses à café avec leurs sous-tasses (SMT 4898) ainsi que sur un pot à lait (SMT 4904).
Ce n’est qu’à partir de 1854 qu’on trouve des céramiques décorées seulement d’une peinture bleue et d’inscriptions brun foncé . Ce style de décor, qui peut également être associé à un décor au barolet multicolore, est souvent attribué dans la littérature à un seul atelier, à savoir celui du potier David Anderes à Heimberg (1810-1873 ; Buchs 1988, 94), en raison d’un plat à barbe daté de 1866 qu’il a signé de son nom (SMT 649) (Wyss 1966, 40 ; Messerli-Bolliger 1991, 47-48 ; Roth-Rubi/Schnyder/Egger/Fehr 2000, 6-10 ; Boschetti-Maradi 2007, 58-59).
Toutefois, cette affirmation ne tient pas en raison de la datation des objets (qui court jusqu’en 1884 alors que David Anderes décède en 1873). Il en va de même pour l’affirmation de Fernand Schwab qui les attribue uniquement à l’atelier de la poterie Loosli à Wimmis, dans le canton de Berne, à une quinzaine de kilomètres au sud de Heimberg, (Schwab 1921, 106, remarque 72). Par ailleurs, il n’est pas du tout certain qu’un seul atelier de poterie à Heimberg ait produit des céramiques peintes en bleu entre environ 1840 et 1873. Par exemple, le maître potier Christen Matthis à Heimberg a produit des céramiques très similaires dans son atelier de la rue Dornhalde, comme l’assiette datée de 1872 ci-dessous (MKB VI-3919).
Dans une poterie du village voisin de Steffisbourg, on a également trouvé des fragments de céramiques partiellement décorées en bleu sur un engobe de fond blanc datant de la première moitié du 19ème siècle (Heege 2012, fig. 12). Et à Langnau, dans l’Emmental bernois, on sait qu’à partir de 1840 (Heege/Kistler 2017/2, 117 fig. 138), mais surtout après le milieu du 19ème siècle, on utilise intensivement la couleur bleue et ces coulures sur des céramiques peintes au barolet (Heege/Kistler 2017/2, 173).
Céramiques « à la manière de Heimberg » – Néo-Renaissance
L’apparence de ce petit sucrier conservé au Musé Ariana à Genève (MAG R 179) est très influencée par les guirlandes de lauriers disposées entre les mascarons de style néo-Renaissance. Le style néo-Renaissance dénote un goût pour l’historicisme, qui se caractérise par une réutilisation consciente du style de la Renaissance. Venu de France, ce style qui débute sous Louis-Philippe, le « roi-citoyen », s’est répandu après 1830 dans toute l’Europe avec différentes variations nationales. Cette mode, qui se retrouve à la fois dans l’architecture et les arts décoratifs, est également présente dans l’artisanat, le mobilier et la céramique. Le style néo-Renaissance connait son apogée entre 1870 et 1885, une époque durant laquelle ses caractéristiques, notamment au niveau formel, étaient devenues les uniques références décoratives. Il existe, pour ce sucrier, six pièces comparatives dans les musées suisses et au Musée Fitzwilliam de Cambridge au Royaume-Uni, qui, toutes, sont exemptes de date (FWMC, Inv. C. 1944-1928 ; KGMZ, Inv. KGS 01972 ; MAHN, Inv. AA-1198 et AA-2056). Dans deux cas, elles sont ornées de décors peints au barolet en bleu au lieu du vert (SMB, Inv. O-5361 ; SNM, LM-10327). On ne connaît pas d’autres céramiques présentant des caractéristiques comparables. Le lieu de fabrication reste vague. Ce qui nous fait pencher pour la région de Heimberg/Steffisbourg sont la présence de lignes de petits points brun foncé ainsi que les informations, d’ordinaire peu pertinentes, sur les origines des pièces dans les inventaires des musées. Le sucrier du musée Fitzwilliam a été acquis par eux en 1894 chez l’antiquaire Samuel Born-Straub, en fait chez sa fille Margarethe, de Thoune. Les deux sucriers du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel, dans un état de conservation parfait, comme s’ils n’avaient jamais été utilisés, sont arrivés dans le musée en 1887 en provenance de la collection du Bernois Edouard de Reynier. Des points de référence pour une datation nous manquent également. Ces sucriers auraient été produits avant 1881, car c’est la date de réception la plus récente apparaissant dans les inventaires des musées. Cette année-là, le Musée des Arts décoratifs de Zurich (actuellement Musée du Design de Zurich) a acheté son sucrier chez un marchand de Schaffhouse. Si le style néo-Renaissance était le top du design dans les années 1870, on doit se demander d’où les potiers de Heimberg tiraient leur inspiration pour cette production ? Dans ce contexte, il faut vraisemblablement faire référence à l’entreprenant marchand parisien Eugène Boban (1834-1908 ; Riviale 2001), aujourd’hui fortement contesté en raison de ses contrefaçons d’antiquités, qui, dans les années 1860, a motivé les potiers Wyttenbach et Küenzi de Heimberg en leur demandant de produire, dans le style néo-Renaissance, des « céramiques de luxe » d’après des dessins qu’il leur a fournis (HUBER 1906, 278).
Keramik «Heimberger Art» – Weisse Grundengobe über schwarzbrauner Grundengobe
Cette assiette du Musée Ariana à Genève (MAG R 188) fait partie d’un grand groupe aux motifs décoratifs similaires. Ce groupe débute avec des pièces datées de 1849/1850 (collection privée; SNM, Inv. LM 10323) et se poursuit avec des céramiques produites jusqu’en 1871 au moins (MKB, Inv. VI-15780).
On y trouve des assiettes avec des dictons inscrits dans un bandeau semi-circulaire, comme c’est le cas pour l’assiette ci-dessus, ou à l’intérieur d’un cercle placé au centre de l’assiette (MAHN AA1232, MAHN AA1457, HMO 8357). La particularité de ce groupe réside dans un décor posé sur la superposition d’engobes de fond noir et blanc. Cependant, puisque le décor gravé ne traverse que l’engobe de fond blanc sans traverser l’engobe noir, les lignes de traçage apparaissent, sous la glaçure, d’une couleur foncée à noire. De temps en temps, la glaçure au plomb se dissout dans l’engobe de fond noir, ce qui produit alors des coulures filandreuses sur les bords du décor gravé. Au contraire, le décor gravé sur les céramiques de Langnau atteint le tesson, de sorte que son apparence est rouge à brun rougeâtre sous la glaçure.
Dans la littérature, il n’y a pratiquement aucune mention sur cette technique particulière de décor. Karl Huber, archiviste de la ville de Thoune, est le seul, à notre connaissance, à l’avoir évoquée dans son « Histoire des potiers de Heimberg », publiée en 1906 (Huber 1906, 278), bien qu’il ne donne aucune indication de date à laquelle la production de ces céramiques à double engobes de fond aurait commencé. La première apparition de ce style remonte aux années 1830. Le Musée national suisse conserve une assiette datée de 1837 (SNM LM-010321), que l’on doit considérer, à première vue, comme la plus ancienne.
On trouve cependant deux assiettes similaires, l’une avec la même date de 1837 gravée, et l’autre la date de 1838, toutes deux conservées au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel (MAHN AA 2164 ; MAHN AA 1462). La même année, cette technique de décor a également été utilisée pour deux soupières « à la manière de Heimberg », identiques (collection privée ; MKB, Inv. VI-1783). À partir de 1840, au vu de la diversité des décors et de la conception des pièces, il semble que la production ait été assurée par de nombreux ateliers (voir aussi MAG 14206 ; MAHN AA 1453 ; MAHN AA 2184 ; MAHN AA 3276 ; MAHN AA 1233 ; MAHN AA 2042 ; MAHN AA 2023 ; MAHN AA 1430 ; MAHN AA 1455 ; MAHN AA 1456 ; MAHN AA 1431 ; MAHN AA 1232 ; 1457). Par la suite, de 1843 à 1877, ce type de céramiques ne comporte que des motifs gravés et plus de motifs peints additionnels (MAHN AA 1453 et, presque identique : RSB IV-599).
Un plat à gâteau daté de 1875, signé d’une peintre sur céramiques de Heimberg s’appelant Imhof, née Frank, nous est également parvenu (FWMC C.1950-1928). Il n’est, en fait, pas surprenant que l’on trouve cette technique également dans le contexte des majoliques de Thoune (Huber 1906, 279, MAHN AA 1764, MAHN AA 1989-60, MAHN AA 1416, MAHN AA 1417, MHLCF n° 6). Cependant, Heimberg n’a pas été le seul site de production. En relation avec son travail dans l’atelier de Peter Herrmann (1809-1871) à Langnau, le compagnon potier Martin Labhardt de Steckborn, sur les bords du lac de Constance, district de Frauenfeld, canton de Thurgovie, on peut prouver que la production de céramiques décorées de manière comparable, c’est-à-dire avec un seul décor gravé, existait en tout cas en 1853 (MAHN AA 2055 ; Heege/Kistler 2017/2, 381-386).
Décor de perles
Ce qu’on appelle le « décor de perles » fait également partie de la céramique « à la manière de Heimberg ». La question de l’origine, de la datation et du développement de ce groupe de céramiques « à la manière de Heimberg » et de ses liens avec les céramiques de Langnau (voir le mot-clé « Décor de perles » dans le glossaire) ne peut être résolue que de manière rudimentaire. L’une des raisons en est qu’il n’y a eu jusqu’à présent aucunes trouvailles de récipients à décor de perles dans aucun des sites archéologiques du 19ème siècle explorés dans le canton de Berne. Le décor est également absent des déchets de production des poteries Höchhus (maison haute) de Steffisbourg, canton de Berne, près de Heimberg (Baeriswyl 2008) ou de celle située à Sonnweg 1 (chemin du Soleil) à Langnau, canton de Berne (Heege/Kistler 2017/2, 154-183).
Sucrier à décor de perles daté de 1816 (Musée Ariana, MAG Genève R 178), réalisé par le potier Friedrich Gfeller d’Oppligen « Au pont du quartier de Rotache ».
C’est pourquoi un sucrier datant de 1816 et conservé au Musée Ariana à Genève (MAG R 178) est un objet exceptionnel. Il mentionne non seulement une date, mais aussi le nom du potier Friedrich Gfeller et comme potentiel lieu d’origine « ÿm Heimberg » (« à Heimberg »). A ce jour, on n’a trouvé qu’une seule mention de ce potier, datée de 1829. A cette époque, il vivait à Oppligen « beir Rotachen Brügg » («au pont du quartier de Rotache » ; Oppligen est à 5 km de Heimberg). Entre 1827 et 1829, un Hans Gfeller y avait aussi son atelier de poterie (Registre des habitants de Konolfingen, B 1434 – Konolfingen se trouve à onze kilomètres au nord de Heimberg). L’attribution du décor de perles à la région de Heimberg-Steffisbourg résultant de cette localisation coïncide avec les déclarations de Karl Huber, archiviste de la ville de Thoune. Dans son article sur l’« Histoire des poteries de Heimberg », publié en 1906 dans le « Magazine touristique de Thoune et de ses environs », il écrit : « … Au début du 19ème siècle, une nouvelle vie a commencé à Heimberg. Un style de décoration, unique et inédit, a alors vu le jour : de petites perles ont été collées sur la surface en diverses rangées, arcs-de-cercles ou groupements variés. Sur l’engobe blanc-verdâtre, elles étaient colorées en vert émeraude, rouge brique ou jaune soutenu et, parfois, en brun … » (Huber 1906, 278).
Le décor de perles est largement présent dans les musées avec les céramiques « à la manière de Heimberg ». On le trouve sur des sucriers, terrines, tirelires, vases, pots à lait et cafetières qui sont recouvertes sur leurs deux faces d’un engobe de fond blanc. Ces céramiques datent probablement toutes du premier et du deuxième tiers du 19ème siècle (MAG R 178, MAG 16698, MAG AR 2015-364, MAG N 850, MAG AR 2015-366, MAG N 196). Le sucrier du Musée Ariana à Genève (MAG R 178) de 1816 est l’une des deux pièces bien connues de cette technique décorative qui portent des dates. L’autre est une tirelire de 1859 (RML A306) à décor de perles conservée au musée régional de Langnau. En ce qui concerne un autre sucrier du Musée Ariana à Genève (MAG N 196), la guirlande en feuilles de lauriers ajoutée en relief et l’inhabituelle couronne de perles sous la bordure constituent des indications d’une fabrication plus récente. Toutefois, cette hypothèse n’est pas étayée de comparaisons datées. Comme une grande partie des couvercles de soupières et de sucriers blancs décorés de guirlandes de perles ont des prises en volutes typiques de Langnau, mais de formes simplifiée ou résultant d’un développement ultérieur (MAG AR 2015-364, MAG N 850, MAG N 196) il faut se demander quelles influences réciproques ont eu lieu pendant les premier et deuxième tiers du 19ème siècle : s’agit-il de produits de Heimberg avec d’anciens éléments de décor et des variantes de prises typiques de la production de Langnau, ou de produits de Langnau avec des motifs décoratifs typiques de Heimberg ? Apparemment, pour les céramiques au décor de perles, les échanges réciproques annoncent la fin du style Langnau et la domination croissante des décors de Heimberg, également dans la production de Langnau. À l’avenir, et seulement à certaines conditions, la question des zones de production pourrait être résolue par de nouvelles fouilles sur les lieux de fabrication. Les soupières et sucriers du Musée de l’Ariana à Genève (MAG R 178, MAG 16698, MAG AR 2015-364, MAG N 850, MAG AR 2015-366, MAG N 196) doivent pour le moment être attribués à la production de Heimberg. Cependant, la preuve absolue qu’il y a eu, à Langnau, une production de céramiques au décor de perles avec des fleurs et des petites feuilles gravées, existe bien.
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