Pots à oignons

Fig. 1. Pot à oignons avec appliques en relief et, probablement, sa chaîne d’origine pour le suspendre, 17ème siècle (Musée des Cultures de Bâle, inv. VI-47473, photo Andreas Heege)

Andreas Heege,  2019

Même chez les spécialistes de la culture populaire, presque personne aujourd’hui ne connaît les pots à oignons, et encore moins ne les utilise. Cependant, cette technique de la culture en pot est excellente pour produire des oignons verts, notamment pour leur vitamine C utilisée en hiver comme complément alimentaire, mais aussi pour la soupe. Un grand nombre de pots à oignons, fabriqués en tôle d’étain ou de cuivre, sont conservés dans les musées, bien qu’il n’y ait à ce jour pas de collections complètes ou une littérature disponible sur ce sujet. Il est donc difficile de savoir quand et dans quelles régions cette méthode de production de « verdure » a commencé à être utilisée en hiver. Comme souvent, les pots fabriqués en étain, matière coûteuse, ont été copiés par les potiers. Les découvertes archéologiques sont rares, mais prouvent l’existence des pots à oignons en Suisse alémanique à partir de 1700 environ au plus tard. En outre, on connait actuellement 35 pots à oignons conservés aujourd’hui dans les musées suisses et les collections privées, couvrant une période s’étendant du 17ème siècle aux alentours de 1900. Sur cette base, on peut raisonnablement supposer que cette production était usuelle dans les cantons de Berne, de Zurich, de Saint-Gall et des Grisons. Nous ne savons pas si ce type de pot a également existé sur une large partie du sud de l’Allemagne ou en Alsace, car nous n’en connaissons qu’un seul exemple, celui d’une manufacture de faïence de Nuremberg, au nord de la Bavière. Ce type de pot n’est pas exactement représenté dans les catalogues de vente de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle de Soufflenheim, commune française située dans le département du Bas-Rhin en région Grand Est et réputée pour son artisanat de poterie et la fabrication de produits en terre réfractaire, mais on y trouve des pots à crocus et à persil avec des perforations similaires.

Im Ufzug hangt en Böllekorb                          Dans le galetas est suspendu un pot à oignons,
vo altem Zinn rundum;                                une boule faite de vieil étain.
i gibe n-en keim Antiquar                            Je ne la donnerai pas à un antiquaire
und zahlt er Silber drum.                            Même s’il payait du bon argent pour cela.

D’Grossmuetter hät z’Martini all,                    A la St-Martin, la grand-mère
zwölf Zwiebel ine gsteckt,                          y a enfoui douze oignons,
und am Neujahr händ s‘ wie im Mai              et le jour de l’an comme en mai
die grüene Arme g’reckt.                             y pousseront des bras verts.

Und z’mittst im Winter hämmer Grües      Et en plein hiver, sa verdure
uf üssi Suppe gha;                                   ira directement dans la soupe ;
drum: häst en alte Böllekorb                        Donc : si tu as un vieux pot à oignons
gang g’schwind und pflanz‘ en a.                dépêche-toi d’aller en planter.

Ce poème paru en 1929 dans le « Liechtensteinisches Volksblatt – Journal populaire du Leichtenstein » nous rappelle non seulement que le pot à oignons (fig. 1), un « Zwiebeltopf » qu’on appelait en patois suisse allemand « Bölleckorb » ou « Böllechruech » était un objet domestique usuel mais décrit également sa fonction. Cependant, il n’est malheureusement pas possible de prouver qu’il s’agit bien de la même chose que le « Zibelenkrüge », qui a été produit par Hans Heinrich Hess, un potier bernois en 1689 (Boschetti-Maradi 2006, 85 ; Morgenthaler 1951, 106). Aujourd’hui, presque plus personne ne connaît ce type de céramique, et encore moins son utilisation (Wildhaber 1962, 24 ; Klever 1979, 110). De plus, même le terme désignant l’objet est généralement mal compris de nos jours. Un coup d’œil aux catalogues de vente sur Internet montre que le terme « Zwiebeltopf ou pot à oignons » désigne actuellement un pot fermé pour la conservation ou un récipient de stockage pour les oignons de cuisine séchés qui ne sont justement pas censés germer.

La question de savoir ce qui se passe lorsque vous considérez le poème ci-dessus comme un manuel d’utilisation pour effectuer une plantation de bulbes d’oignons a pu être testée dans le cadre d’une petite expérience au printemps 2016 en se servant d’un pot d’oignon authentique du 18ème ou du début du 19ème siècle (je tiens ici à remercier vivement Yvonne Greisler, de Berthoud, pour m’avoir permis d’utiliser ce pot à oignons).

Fig. 2. Pot à oignons du 18ème siècle, sans marque, lors d’une expérience en 2016 (propriété privée, photo Andreas Heege)

Ça a parfaitement fonctionné (fig. 2). Seules les pointes d’oignons qui n’étaient pas parfaitement positionnées devant le trou n’ont pas trouvé le moyen de germer. Les pousses d’oignons ont pu être coupées deux fois de suite et utilisées pour la cuisine. Au printemps, les bulbes ont même pu être replantés dans le jardin, mais ils n’ont alors donné qu’une seule nouvelle pousse, minuscule, avec une toute petite fleur. Nous pouvons donc l’affirmer : Le pot à oignon traditionnel était utilisé pour la production de verdure contenant de la vitamine C, pouvant être utilisé comme condiment pour la soupe pendant la saison froide et sombre.

Fig. 3. Pots à oignons en étain et en céramique, sans marque, au musée du Toggenbourg à Lichtensteig, canton de Saint-Gall (TML inv. 521, 1020, photo Andreas Heege)

Le poème le mentionne à juste titre : Un grand nombre de pots à oignons, de formes diverses, étaient faits en étain (fig. 3). Il existe des pièces avec des rebords très présents et d’autres de forme vraiment sphérique (exemples : Musée historique de Berne inv. 4179, 7086, 37216 ; Schaffhouse, Musée de tous les saints inv. H20490 ; Musée du Toggenbourg Lichtensteig inv. 1020 ; Musée national suisse inv. LM-23541). Je suis déjà tombé sur un pot à oignons en cuivre (Schaffhouse, Musée de tous les saints inv. H54524). Pour autant que je sache, il n’y a pas à ce jour de collections complètes ou une littérature disponible sur ces objets en étain. En conséquence, on ne sait donc pas non plus où de tels pots à oignons en étain ont été fabriqués. Comme souvent, l’étain, très cher, a été copié par les potiers. Cependant, nous n’avons pour l’instant aucune idée de la date exacte du début de ce processus, car les pots à oignons en céramique connus à ce jour sont souvent non datés. On ne sait pas non plus s’il s’agit d’une forme fonctionnelle exclusivement suisse alémanique ou s’il faut également tenir compte d’une production dans des territoires voisins de la Suisse allemande, comme en Allemagne du Sud ou en Alsace. En général, la surface intérieure des pots à oignons en céramique n’a ni engobe de fond, ni glaçure.

Les découvertes archéologiques sont rares et, en raison de leur caractère fragmentaire, elles ne peuvent souvent pas être attribuées de manière univoque ou évaluées sans qu’un doute persiste. Il existe actuellement des pièces qui restent indéterminées provenant, entre autres de l’ancienne Fosse aux ours de Berne (avant 1765, Boschetti-Maradi 2006, planche 40, G44), du plus récent bâtiment – le n° 4 – de la verrerie du vallon du Chaluet à Court dans le Jura bernois (avant env. 1840, Frey 2015, planche 96 673, avec de grands trous et une glaçure sur les deux faces recouvrant l’engobe) et , sans date, d’une étude sur des constructions aux numéros 3/4 de la rue Oberalstadt (Au-dessus de la vielle ville) à Zoug (fig. 4,1 ; Roth Heege/Thierrin-Michael 2016, cat. 287).

Fig. 4. Découvertes archéologiques de pots à oignons en Suisse. 1. Zoug, Oberaltstatdt 3-4 (Archéologie cantonale de Zoug, photo Andreas Heege). 2. Berthoud, Kornhausgasse – ruelle du grenier à grains (Service archéologique du canton de Berne, n° de photo 46122, photo Badri Redha). 3. Cour, Pâturage de l’Envers (Service archéologique du canton de Berne, n° de photo 70185, photo Jonathan Frey). 4. Berthoud, Grenier à grains (Service archéologique du canton de Berne, n° de photo 30517, photo Badri Redha).

Une découverte archéologique que l’on a bien pu cataloguer a été trouvée dans la verrerie bernoise du Pâturage de l’Envers à Cour dans le Jura bernois, qui a été en production de 1699 à 1714 (fig. 4,3). Le pot à oignons est recouvert d’une glaçure verte à l’extérieur et ne comporte pas d’engobe de fond (Frey 2015, cat. 282). Une céramique de première cuisson correspond à l’incendie de la ville de Berthoud en 1715 et peut être associée à la production de la poterie Vögeli (fig. 4,4 ; Baeriswyl/Gutscher 1995, fig. 79,17 ; Boschetti-Maradi 2006, planche 27,E2 ; sur l’histoire de la poterie Vögeli : Heege 2015). Lors d’une fouille dans la rue immédiatement adjacente à la ruelle du Grenier à grains de Berthoud, des fragments d’un autre pot à oignons ont été retrouvés. D’après la graphologie du numéro qui y est gravé, il est très probable que les fragments de ce pot puissent également être attribués à la poterie Vögeli (fig. 4,2 ; Heege 2015, fig. 8). En 1900, l’horloger Henzi de Berthoud a vendu au musée de cette ville un pot à oignons intact, daté de 1696, probablement du même potier, ce qui donne une bonne visualisation de l’aspect d’un pot à oignon de cette époque (fig. 5,1). Avec cette pièce, nous sommes ainsi entrés de plein pied dans la discussion sur l’origine et la datation des pots à oignons, puisque le pot de Berthoud représente actuellement le plus ancien spécimen qui soit daté.

Fig. 5. Les plus anciens pots à oignons de Suisse portant une date, respectivement les pots à oignons présentant un décor en relief. 1. 1696, (salle de l’Association des Chevaliers à Burgdorf, inv. IV-0618, photo Andreas Heege). 2. 1720, (Fondation Fahrländer-Müller, inv. K164, photo Andreas Heege). 3 Début du 17ème siècle (Musée national suisse, inv. HA-3002, photo Donat Stuppan).

On a recensé à ce jour 35 pots à oignons avec une simple glaçure au plomb ou une glaçure à faïence dans les musées suisses et des collections privées, dont la plupart sont illustrés dans cet article. Les dimensions des pots à oignons sont relativement variables. Les diamètres au niveau des bordures varient entre 10,6 et 24 cm, les diamètres supérieurs à 20 cm étant l’exception plutôt que la règle. Les hauteurs sont comprises entre 10,6 et 22 cm. En règle générale, la hauteur est légèrement supérieure au diamètre bord-à-bord. Les deux pièces les plus anciennes sont datées de 1696 et 1720 (fig. 5,1.2) et présentent une glaçure verte sur un engobe de fond blanc. La pièce de 1720 ne peut être attribuée avec certitude à la production de Berthoud.  Deux pièces, une du musée des Cultures de Bâle (fig. 1) et l’autre du Musée national suisse de Zurich (fig. 5,3) sont décorées d’appliques en relief et viennent probablement d’une production de la fin du 17ème siècle du nord-est de la Suisse. On ne peut exclure, cependant, qu’elles aient été produites à Winterthour, dans le canton de Zurich (Heege/Kistler 2017b, 96-99). Sur le plan de la datation, on peut penser que ces deux pièces sont de la même époque ou légèrement plus anciennes que le spécimen bernois de Berthoud.

 

Fig. 6. Pots à oignons à glaçure verte. 1. 1791 (Musée du Toggenbourg, Lichtenstein Inv. 2025, photo Andreas Heege). 2. 1807 (Musée des cultures de Bâle, inv. VI-3128). 3. 18ème siècle (salle de l’Association des Chevaliers de Berthoud, inv. IV-1024, photo Andreas Heege). 4. Fin du 18ème siècle (propriété privée, photo Andreas Heege). 5. 18ème ou 19ème siècle (Musée des cultures de Bâle, inv. VI-2729, photo Andreas Heege). 6. 18ème ou 19ème siècle (Musée national suisse de Zurich, inv. LM-004564, photo Donat Stuppan). 7. 18ème ou 19ème siècle (Musée de tous les saints, Schaffhouse, inv. H17398).

De nombreux autres pots à oignons sont également décorés avec une glaçure verte. Pour être suspendus, on remarque qu’ils comportent des éléments différents qui peuvent se présenter sous forme de poignées, de volutes, d’œillets de suspension ou de trous sous la bordure supérieure. Les pots à oignons sont de forme plutôt sphérique et n’ont pas de cols significatifs. Souvent, les pots à oignons ont une sorte de système d’écoulement sous leur base prenant la forme d’un petit tube annelé. Cependant, il peut aussi être absent (fig. 6). Deux pièces datées de 1791 et 1807 prouvent (fig. 6,1.2) que cette forme a été produite jusqu’au 19ème siècle. La forte variété des formes atteste également du fait que nous avons probablement affaire à de nombreux fabricants dans toute la Suisse alémanique.

Fig. 7. Pot à oignons avec décor peint en bleu sous glaçure, première moitié du 18ème siècle (Musée national suisse de Zurich, inv. HA-4111, photo Donat Stuppan).

Trois pots à oignons font partie du grand groupe des céramiques bernoises à décors peints en bleu sous glaçure. Le plus beau se trouve maintenant au Musée national suisse (fig. 7). En raison de son décor à feuilles d’acanthe, que l’on trouve par ailleurs très souvent sur les poêles en faïence de la région bernoise, confirmé par la représentation de l’ours, j’imaginerais bien une production du Mitteland (Moyen-Pays) bernois de la première moitié du 18ème siècle (Heege/Kistler 2017b, 114-125).

Fig. 8. Pots à oignons avec décors peints en bleu sous glaçure ou glaçure à faïence. 1. Première moitié du 18ème siècle (propriété privée, photo Andreas Heege). 2. Première moitié du 18ème siècle (Musée national suisse de Zurich, inv. HA-4052, photo Donat Stuppan). 3. Fin du 18ème ou 19ème siècle (Musée national suisse de Zurich, inv. LM-003620, photo Donat Stuppan).

Un deuxième pot à oignons (fig. 8.1) vient d’une collection privée. Au vu de la qualité et du style de sa peinture, il se peut qu’il soit relié à la production de l’atelier du potier Bleuler qui a travaillé dans la région du lac de Zurich au 18ème siècle (Heege/Kistler 2017b, 100-105). Un troisième pot à oignons porte également un décor peint en bleu sous glaçure (fig. 8,2). Toutefois, une attribution à l’une des deux régions de production mentionnées ci-dessus ne semble pas possible pour le moment. Il en va de même pour le seul pot à oignons connu avec une glaçure à faïence et une peinture bleue de grand feu (fig. 8,3), qui est peut-être un peu plus récent que les pots à oignons dont il vient d’être question. La situation est différente avec un autre pot d’oignon en faïence, qui n’a été découvert qu’après l’achèvement de cet article. Il est stylistiquement attribué à la manufacture de faïence de Nuremberg et aurait été produit entre 1720 et 1770 (Glaser 2017, cat. 361).

Fig. 9. Pots à oignons avec décor tacheté ou décor guilloché, probablement issus de la production de Langnau, dans le canton de Berne. 1. Fin du 18ème ou 19ème siècle (Musée d’histoire de Berne, inv. 8415, photo Christine Moor). 2. Première moitié du 19ème siècle (salle de l’Association des Chevaliers de Berthoud, canton de Berne, inv. IV-0195, photo Andreas Heege).

Au moins pour deux de ces pots à oignons qui ont survécu dans les musées ,montrés ci-dessus, on peut penser qu’ils ont été produits à Langnau dans l’Emmental, canton de Berne. Le premier pot à oignons (fig. 9,1) présente une bordure supérieure rainurée, comme on en trouve sur les cruches (BÜK 1) et les pots (TO 1a ou TO 3a) de Langnau (Heege/Kistler 2017a, 767-768). Le décor de la partie externe avec son engobe de fond rouge et ce motif tacheté brun foncé correspond également très bien aux usages en vigueur à Langnau. La suspension se fait à l’aide d’œillets latéraux, comme on les connaît à l’arrière des plats à barbe. Le seul indice de datation repose sur ce décor, en usage à Langnau entre 1785 et 1864, avec cependant peu de pièces datées. Le deuxième pot, en revanche, présente sur sa face externe un engobe de fond blanc et un décor guilloché, avec une glaçure jaune et un décor tacheté brun foncé par-dessus (fig. 9,2). Il était suspendu au moyen de trous présents dans son rebord, au travers desquels étaient probablement accrochés à l’origine les crochets d’une chaîne de suspension. Il est impossible de lui attribuer une date, car c’est le seul exemple de Langnau, malheureusement non daté, présentant ce décor. Cependant, un décor de ce type est facilement concevable entre 1800 et 1850 (Heege/Kistler 2017a, 767-768).

Fig. 10. Pots à oignons avec décors tachetés, lieux de fabrication inconnus. 1. 19ème siècle (salle de l’Association des Chevaliers de Berthoud, Inv. 0-5430). 2. 19ème siècle (Musée d’art et d’histoire, Neuchâtel, inv. AA-3284). 3. 19ème siècle (Musée d’histoire de Berne, inv. 8416, photo Christine Moor). 4. 19ème siècle (Musée d’art et d’histoire, Neuchâtel, inv. AA-1256).

Ces quatre autres pots à oignons présentés ci-dessus, à décors tachetés brun foncé, présentent des typologies très hétérogènes (fig. 10,1-4). Comme ce décor est très facile à réaliser, aucune attribution régionale ne peut être établie. Une classification chronologique qui court jusqu’à la fin du 18ème ou la première moitié du 19ème siècle est probablement la plus précise possible en la matière.

Fig. 11. Pots à oignons du 19ème et du début du 20ème siècle, produits par différents potiers. 1. 19ème siècle (salle de l’Association des Chevaliers de Berthoud, Inv. 0-5428, photo Andreas Heege). 2. Deuxième moitié du 19ème siècle (Musée « au Grenier à grains » de Wiedlisbach, inv. 211, photo Andreas Heege). 3. Deuxième moitié du 19e siècle (Musée régional de Langnau, inv. A320, photo Andreas Heege). 4. Fin du 19ème siècle (Musée Alt-Falkenstein, canton de Soleure, photo Roland Blaettler). 5. Dernier quart du 19ème siècle, majolique de Thoune (Musée national suisse de Zurich, inv. LM-071495, photo Jonas Hänggi). 6. Dernier quart du 20ème siècle, majolique de Thoune (Musée du château de Thoune, sans numéro d’inv., photo Andreas Heege). 7. Début du 20e siècle (Musée du château de Thoune, inv. 2338, photo Andreas Heege).

J’aimerais dater d’autres pots à oignons dans le 19ème siècle en raison de leurs glaçures ou de leurs décors. Certains d’entre eux pourraient venir de la région de Heimberg/Steffisbourg dans le canton de Berne, riche en poteries. Cependant, une affectation n’est pas possible pour les deux premiers objets ci-dessus parce que, pour l’un, il n’a qu’un engobe de base rouge sous la glaçure et, pour l’autre, parce qu’il est décoré de manière trop inhabituelle (fig. 11,1-2).  Le troisième pot à oignons (fig. 11,3) comporte ce qu’on appelle un décor de perles, qui a été développé dans la région de Heimberg/Steffisbourg au début du 19ème siècle et qui est resté en production jusqu’à la seconde moitié du 19ème siècle. La combinaison d’une peinture brun foncé et d’une glaçure jaune soutenue suggère une production du canton de Berne et une datation dans la seconde moitié du 19ème siècle (Heege 2008, fig. 2-3). Cela s’applique également à un autre pot à oignon (fig. 11,4) avec sa décoration typique de bandes horizontales brun-noir (pour la datation : Baeriswyl/Heege 2008, 168.- Heege 2012, 168-169.- Heege/Kistler 2017a, 177). De la région de Heimberg/Steffisbourg proviennent également les spécimens à décor d’edelweiss, qui peuvent éventuellement être attribués à la production de la Manufacture de Wanzenried fondée en 1878 ou aux potiers de Heimberg, qui ont travaillé pour elle (fig. 11,5 et 6). Ce n’est qu’à la fin des années 1870 ou au début des années 1880 que l’edelweiss a trouvé une faveur croissante auprès des amoureux des Alpes, souvent des touristes français ou anglais, et peut donc être considéré comme une bonne référence chronologique (Messerli 1995 ; Roth-Rubi/Schnyder/Egger et al. 2000 ; Heege 2008, fig. 5). Le pot à oignons avec un décor tacheté (Fig. 11,7) ne peut être daté qu’empiriquement du début du 20ème siècle.

Fig. 12. Pots à oignons « à la manière de Heimberg » probablement de la région de Berneck dans le canton de Saint-Gall, connues pour ses poteries. 1. Fin du 19ème siècle (Musée local de Berneck, Maison Torggel, inv. 2010_1586, photo Andreas Heege). 2. Fin du 19ème siècle (Fondation Fahrländer-Müller, inv. K087, photo Andreas Heege). 3. Fin du 19ème siècle (propriété privée, photo Claire Hauser-Pult).

Il existe une autre région de production en Suisse alémanique où les pots à oignons ont peut-être été produits encore un peu plus tardivement au cours du 19ème siècle. Il s’agit des poteries de la région de Berneck dans le canton de Saint-Gall (pour ce lieu de poterie : Heege 2016, 28-36 ; Heege/Kistler 2017b, 369-373). Le musée local de Berneck, situé dans la Maison Torggel, conserve un pot à oignons (fig. 12,1) avec un typique décor au barolet et un bord perforé pour y attacher la suspension. De très bonnes pièces comparatives se trouvent au Musée du Toggenbourg à Lichtensteig (voir fig. 3) et dans la collection de céramiques de la Fondation Fahrländer Müller (fig. 12,2) ainsi que dans des collections en mains privées aux Grisons (fig. 12,3). En plus du décor au barolet, ces deux derniers pots portent un décor moucheté au violet de manganèse dans l’engobe base. Cette technique de décor a été développée vers 1800 à Langnau dans l’Emmental, canton de Berne, et s’est très vite répandue dans toute la Suisse alémanique (Heege/Kistler 2017a, 167-168 et fig. 369,2).

Fig. 13. Pots à oignons fabriqués dans l’atelier du potier Christian Lötscher (1826-1880) à St. Antönien dans le Prättigau, canton des Grisons. 1. Daté de 1872 (propriété privée, photo Andreas Heege). 2. Fin du 19ème siècle, acheté au dernier potier de St. Antönien, Andreas Lötscher (Musée rhétique de Coire, inv. H1970-206, photo Andreas Heege).

Il est également probable que le potier Christian Lötscher (1822-1880) à St. Antönien dans le canton des Grisons se soit inspiré des pièces de Berneck, qu’il aurait pu voir lors d’une de ces foires locales, alors usuelles, pour produire ce type de pot. Ou bien, on peut imaginer que ce soit un client qui lui ait demandé de réaliser une telle pièce. Un pot à oignons (fig. 13,1), qui vient de la « Haus Valär – maison de la famille Valär », à Jenaz, région de Prättigau/Davos, canton des Grisons, à une quinzaine de km de St. Antönien, a été fabriqué en 1872 par Christian Lötscher pour Katharina Valär-Bardill (1847-1930) ou Katharina Bardill-Valär (1813-1886) (Heege 2019, 400 fig. 383). Il a une forme de bulbe compressé avec un bord en boudin épaissi vers l’extérieur. Après l’engobage et la dépose de la glaçure, neuf trous ont été percés dans la paroi. Sous le rebord, il y a deux petits trous pour la suspension. Un motif de rosette régulièrement distribué sur toute la surface fait office de décor. En 1907, le Musée rhétique de Coire acheta directement à Andreas Lötscher le Jeune, le dernier potier de St. Antönien actif dans cette poterie, et qui y produisit, entre autres, des pots à oignons (Heege 2019, 400 fig. 384), un deuxième exemplaire présentant un décor très similaire (fig. 13,2).

Finalement, il convient de noter qu’en Angleterre, il existe des céramiques en faïence fine qui se présentent sous la forme de ruches ou de sorte de hérissons avec des trous caractéristiques et que l’on appelle là-bas des « crocus-pots ». Ces pots avec cette forme si particulière datent d’environ 1815 et ont donc apparemment pour fonction de permettre de cultiver les crocus de printemps ou de similaires fleurs à bulbes (Reilly 1995, 124).

Fig.14. Pots à crocus, poterie Lehmann-fils, Soufflenheim, Alsace ; illustration extraite de la liste de prix des années 1920/30 (reproduction Andreas Heege).

Deux types de pots semblent avoir des fonctions similaires. On peut les trouver dans le catalogue publié dans les années 1920/30 décrivant les produits de l’entreprise de céramique Lehmann-Söhne, Soufflenheim, Alsace (fig. 14). Ils n’apparaissent pas dans les anciens catalogues de Soufflenheim (voir Legendre/Maire 1996 ; Legendre/Maire 2010 ; je remercie Jean-Pierre Legendre de m’avoir fourni des exemplaires du catalogue des fabricants de Soufflenheim).

Fig. 15. Pot à persil, poterie Emil Scheydecker, Soufflenheim, Alsace, illustration extraite de la liste de prix des années 1900 (reproduction Andreas Heege).

D’autre part, à la fin du 19ème siècle, il existait alors un « pot à persil », qui était probablement destiné à la culture du persil sur le rebord de la fenêtre (fig. 15).

Fig. 16. Pot à persil, découverte archéologique à Bâle (Musée historique de Bâle, Inv. 1963-87, photo Andreas Heege)

Comme de nombreuses poteries de Soufflenheim présentent également ces petits pieds courbés, typiques des pots de cuisson, j’avance l’hypothèse que cette découverte archéologique trouvée à Aeschenvorstadt (faubourg d’Aeschen) à Bâle, et aujourd’hui conservée au Musée historique de Bâle, est bien l’un de ces pots à persil (fig. 16 ; MKB 1963.87).

Cet article a également fait l’objet d’une publication :

Heege 2022
Andreas Heege, Zwiebeltöpfe, eine ungewöhnliche Gebrauchsform des 16. bis 20. Jahrhunderts in der Schweiz, in: Karla Roşca, Ceramica rituală, Ceramica utilitară – Ritualkeramik, Gebrauchskeramik, Sibiu 2022, 237-248.

Bibliographie : 

Baeriswyl/Gutscher 1995
Armand Baeriswyl/Daniel Gutscher, Burgdorf Kornhaus, Eine mittelalterliche Häuserzeile in der Burgdorfer Unterstadt (Schriftenreihe der Erziehungsdirektion des Kantons Bern), Bern 1995.

Baeriswyl/Heege 2008
Armand Baeriswyl/Andreas Heege, Herzogenbuchsee, Finstergasse 8. Grabung 1994/95 und Bauuntersuchung der Kirchhofmauer 1999, in: Archäologie Bern/Archéologie bernoise. Jahrbuch des Archäologischen Dienstes des Kantons Bern, 2008, 149–180.

Boschetti-Maradi 2006
Adriano Boschetti-Maradi, Gefässkeramik und Hafnerei in der Frühen Neuzeit im Kanton Bern (Schriften des Bernischen Historischen Museums 8), Bern 2006.

Frey 2015
Jonathan Frey, Court, Pâturage de l’Envers. Une verrerie forestière jurassienne du début du 18e siècle. Band 3: Die Kühl- und Haushaltskeramik, Bern 2015.

Glaser 2017
Silvia Glaser, Nürnberger Fayencen. Geschichte und Erzeugnisse einer Manufaktur in der Reichsstadt, Nürnberg 2017.

Heege 2008
Andreas Heege, Bern, Engehaldenstrasse 4. Funde aus einer Latrinen- oder Abfallgrube des späten 19. Jahrhunderts., in: Archäologie Bern/Archéologie bernoise. Jahrbuch des Archäologischen Dienstes des Kantons Bern, 2008, 197–215.

Heege 2012
Andreas Heege, Drei neuzeitliche Grubeninventare von Jegenstorf, in: Archäologie Bern/Archéologie bernoise. Jahrbuch des Archäologischen Dienstes des Kantons Bern, 2012, 159–196.

Heege 2015
Andreas Heege, Die Hafnereien Vögeli in der Burgdorfer Unterstadt, in: Burgdorfer Jahrbuch 83, 2015, 41–68.

Heege 2016
Andreas Heege, Die Ausgrabungen auf dem Kirchhügel von Bendern, Gemeinde Gamprin, Fürstentum Liechtenstein. Bd. 2: Geschirrkeramik 12. bis 20. Jahrhundert, Vaduz 2016.

Heege 2019
Andreas Heege, Keramik aus St. Antönien. Die Geschichte der Hafnerei Lötscher und ihrer Produkte (1804-1898) (Archäologie Graubünden, Sonderheft 7), Chur 2019.

Heege/Kistler 2017a
Andreas Heege/Andreas Kistler, Keramik aus Langnau. Zur Geschichte der bedeutendsten Landhafnerei im Kanton Bern (Schriften des Bernischen Historischen Museums 13), Bern 2017a.

Heege/Kistler 2017b
Andreas Heege/Andreas Kistler, Poteries décorées de Suisse alémanique, 17e-19e siècles – Collections du Musée Ariana, Genève – Keramik der Deutschschweiz, 17.-19. Jahrhundert – Die Sammlung des Musée Ariana, Genf, Mailand 2017b.

Klever 1979
Ulrich Klever, Alte Küchengeräte, München 1979.

Legendre/Maire 1996
Jean-Pierre Legendre/Jean Maire, La céramique de Soufflenheim (Bas-Rhin) du milieu du XIXe siècle au début du XXe siècle. Typologie de la production et éléments de chronologie, in: Cahiers Alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire 39, 1996, 139–170.

Legendre/Maire 2010
Jean-Pierre Legendre/Jean Maire, Nouveaux éléments pour la chronologie de la céramique de Soufflenheim au XIXe et au XXe siècle, in: Cahiers Alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire 53, 2010, 161–175.

Messerli 1995
Barbara E.  Messerli, Von der Exotik des Edelweiss, in: Eberhard Grunsky/Bendix Trier (Hrsg.), Zur Regionalität der Keramik des Mittelalters und der Neuzeit. Beiträge des 26. Internationalen Hafnerei-Symposiums, Soest 5.10.-9.10.1993 (Denkmalpflege und Forschung in Westfalen 32), Bonn 1995, 93–100.

Morgenthaler 1951
Hans Morgenthaler, Der Hafner Heinrich Hess und sein Hand- und Hausbuch. Ein Beitrag zur Geschichte der stadtbernischen Hafnerei am Ende des 17. Jahrhunderts, in: Berner Zeitschrift für Geschichte und Heimatkunde, 1951, 100–114 und 132–145.

Reilly 1995
Robin Reilly, Wedgwood: The new illustrated dictionary, Woodbridge 1995.

Roth-Rubi/Schnyder/Egger u.a. 2000
Kathrin und Ernst Roth-Rubi/Rudolf Schnyder/Heinz und Kristina Egger u.a., Chacheli us em Bode… Der Kellerfund im Haus 315 in Nidfluh, Därstetten – ein Händlerdepot, Wimmis 2000.

Roth Heege/Thierrin-Michael 2016
Eva Roth Heege/Gisela Thierrin-Michael, Oberaltstadt 3/4, eine Töpferei des 16. Jahrhunderts und die Geschichte der Häuser, in: Eva Roth Heege, Archäologie der Stadt Zug, Band 2 (Kunstgeschichte und Archäologie im Kanton Zug 8.2), Zug 2016, 10–154.

Wildhaber 1962
Robert Wildhaber, Küchengeräte. Basel , Museum für Völkerkunde und Schweizerisches Museum für Volkskunde. Sonderaustellung 15. Dezember 1962 – 15. Mai 1963, in: Schweizer Volkskunde. Korrespondenzblatt der Schweiz. Gesellschaft für Volkskunde 52, 1962, Heft 5/6.