Dübendorf-Stettbach, Meister & Cie, poterie artistique (1920-1961)

Heinrich Meister, 1894-1972 (Archive Meister & Cie., Christine Hobi)

100 ans de céramiques « Meister »

Richard Kölliker 2020 (ajouts d’après la FOSC – Feuille Officielle Suisse du Commerce, par Andreas Heege)

Céramiques de la poterie Meister dans la banque d’image CERAMICA CH

Heinrich (on trouve également les prénoms Heinz ou Heinz-Tobias) Meister (né le 7 juillet 1894 à Binningen près de Bâle ; † 11 avril 1972 à Dübendorf, près de Zurich), a grandi à Munster, dans la région historique de l’Alsace (F). Il a passé son examen de fin d’études à Colmar, à une vingtaine de km de Munster. A partir de 1912, il a étudié l’architecture à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (appelée de 1911 à 1993 Eidgenössische Technische Hochschule ETH – Haute-Ecole technique fédérale). Il y rencontre son futur associé, Josef Kövessi de Debrecen (Hongrie), qui a étudié les sciences politiques et a écrit une thèse sur l’industrie de la poterie en Suisse (Kövessi 1923). En 1919, Heinrich Meister interrompt ses études et commence un apprentissage de céramiste à la poterie artistique Albert Wächter-Reusser à Feldmeilen près de Zurich, où son travail consiste à concevoir et à peindre des céramiques. Josef Kövessi y travaillait déjà et, d’après ses références professionnelles, il y a appris jusqu’en mars 1920 tout ce qui était important pour le travail d’un potier.

Albert Wächter-Reusser (1875-1938), qui était originaire de Remigen en Argovie, ouvre, au plus tard en mars 1911, une poterie (FOSC 29, n° 77, 509) au numéro 3 de la Schifflände à Feldmeilen, qu’il déplacera au numéros 2 et 4 de la Torgasse dès 1917. Le nom de sa femme (Reusser – prénom inconnu) pourrait indiquer qu’elle avait une ascendance à Heimberg, village du canton de Berne, célèbre pour ses poteries. En 1913, il s’inscrit au registre du commerce sous le nom de « A. Wächter-Reusser, Schweizertöpferei – poterie suisse » (FOSC 31, n° 116, 831). En 1914, sa firme expose à l’Exposition nationale de Berne (Schweizer Illustrierte Zeitung 18, 1914, 377). En 1915, Wächter ouvre un point de vente au numéro 1 de la rue de la Paix à Lausanne (FOSC 35, n° 94, 672), qui est géré par une femme nommée Emma Wächter. En août 1917, Albert Wächter change le nom de la société en « Schweizerische Kunsttöpferei – poterie artistique suisse (FOSC 35, n° 202, S1393). Les céramiques d’Albert Wächter conservées au Musée national suisse prouvent que l’atelier produisait des formes et des décors typiques de son temps, car ils sont similaires à ceux qui étaient également fabriqués à la même époque dans la région de Heimberg-Steffisbourg. Ce sont ces modèles que Heinrich Meister et Josef Kövessi ont appris à concevoir lors de leur brève formation en céramique à la poterie artistique Albert Wächter-Reusser à Feldmeilen près de Zurich.

Dübendorf-Stettbach, canton de Zurich, propriété dans laquelle se trouvait la poterie dans les années 1950 (Archives photographiques Meister & Cie., Christine Hobi).

En 1920, avec le soutien de son oncle Albert Meister, Heinrich Meister et son collègue Kövessi fondent finalement leur propre entreprise « Meister & Kövessi, Atelier d’art et d’art décoratif » à Stettbach, un quartier de Dübendorf, canton de Zurich, d’abord de manière quelque peu informelle, après que l’oncle a acheté une propriété comprenant une maison et un bâtiment pour un atelier qui pouvait servir de poterie, ainsi qu’une turbine pour produire de l’électricité. La propriété avait déjà, auparavant, abrité une poterie, une scierie et un atelier de tourneurs. Plus tard, Heinrich Meister a qualifié Josef Kövessi de « véritable fondateur » de l’entreprise. Il était le professionnel de la céramique, tandis que Heinrich Meister en était le directeur, le caissier, le secrétaire mais aussi le concepteur des céramiques. Pendant une courte période, le maître potier alsacien Alphons Braun a également participé à la mise en place de l’atelier. Sa fabrique de grès céramiques à Thayngen, canton de Schaffhouse, avait été fermée peu de temps auparavant, de sorte que Meister et Kövessi ont pu acheter des matériaux et des machines à un prix avantageux. Un four à moufle destiné à être alimenté en bois et en charbon, dont le contrôle a posé des difficultés considérables au début (remplacé par un four électrique en 1925), a ainsi pu être intégré à la poterie. Il en a été de même pour les glaçures, dont le dosage correct était évidemment difficile à réaliser au début. La production a finalement commencé au milieu de l’année 1920. Le maître potier Braun a alors pris sa retraite, après des litiges juridiques et avant même la création officielle de la société.

Le 1er janvier 1921, Heinrich Meister et son oncle sont officiellement inscrits dans la Feuille officielle suisse du commerce en tant qu’atelier de céramiques d’art sous la simple désignation « Meister & Cie. » (FOSC  39, n° 29 ; p. 221 du 30.1.1921). Toutefois, l’intitulé du logo de l’entreprise comporte déjà le libellé suivant : « A. Meister, Atelier de céramiques d’art ».

Foire d’échantillons de Bâle en 1922, stand de la Société Meister & Co. (Archives photographiques Meister & Cie., Christine Hobi).

Dès l’année 1921, nous trouvons la production de Heinrich Meister présentée à la Foire aux échantillons de Bâle (MUBA).

Publicité pour la MUBA, magazine « Die Tat – L’Acte, 5 mars 1943 ». On y lit : N’était-ce donc pas sur notre stand où vous aviez pu découvrir nos nouvelles poteries qui ont eu tant de succès l’année dernière ? Pour l’instant, nous ne voulons rien encore révéler de ce qui vous attend cette année.

Jusqu’à la fermeture de l’atelier de poterie en 1961, les céramiques Meister ont été régulièrement représentées à la Foire d’échantillons de Bâle (MUBA, voir Foire Suisse Bâle : catalogue officiel), qui  a duré de 1917 à 2019.

La peintre sur céramique Gertrud Meister-Zingg (1898-1984) dans son atelier de peinture, vers les années 1930 (Archives photographiques Meister & Cie., Christine Hobi).

Après une première dépose de candidature et l’obtention d’un travail à temps partiel en 1922, la peintre sur céramique Gertrud Zingg (née le 2 août 1898 à Berne ; † 2 mars 1984 à Uster, à une quinzaine de km de Dübendorf-Stettbach), originaire de Berne, rejoint l’équipe de l’atelier en mars 1923. Elle avait suivi une formation de céramiste à l’Ecole des Arts et Métiers de Berne (maintenant appelée Ecole d’Arts visuels de Berne et Bienne) du semestre d’hiver 1914/1915 au semestre d’hiver 1918/1919, entre autres auprès de Jakob Hermanns, alors directeur de l’établissement (voir tableau des étudiants dans Messerli 2017, 228-229). Heinrich Meister et elle se marient en août 1924. Dans la poterie de Stettbach, Gertrud Zingg dirige alors le département de peinture.

Benno Geiger (1903-1979), ici employé dans l’atelier de poterie Meister (Archives photographiques Meister & Cie., Christine Hobi).

L’un des premiers apprentis potiers de l’entreprise fut Benno Geiger (1903-1979) originaire d’Engelberg dans le demi-canton d’Obwald. Il y effectua son apprentissage de 1920 à 1922. De 1923 à 1925, il a travaillé comme compagnon dans l’atelier. Finalement, de 1935 à 1959, il a dirigé le département de céramique artistique de la Fabrique de céramiques d’Aedermannsdorf dans le canton de Soleure et, en 1941, il a pris la tête de l’Ecole des Arts et Métiers de Berne (maintenant appelée Ecole d’Arts visuels de Berne et Bienne).

Le 1er janvier 1924, le nom de la société change et devient l’Atelier de céramiques d’art « Meister & Cie. » (FOSC 43, n° 117, S901, du 23 mai 1925). Dès cette date et jusqu’à sa mort en 1948, la mère de Heinrich, la veuve Wilhelmine Meister, née Stehlin (FOSC 66, n° 235, p. 2711, 7.10.1948) figure comme associée. Josef Kövessi quitte l’entreprise en 1925 et retourne en Hongrie, en raison de divergences d’opinion sur la direction que devait suivre l’atelier à l’avenir. L’oncle Albert Meister, lui, émigre au Brésil de 1926 à 1930 puis, à son retour, fonde finalement un magasin de marchandises coloniales à Zurzach dans le canton d’Argovie, à une cinquantaine de km de Dübendorf-Stettbach.

1925 La NZZ (Neue Zürcher Zeitung – Nouvelle gazette zurichoise) écrivait le 13 octobre : « Les salles de la Kunsthalle – Salles d’expositions artistiques – [Berne] sont décorées des œuvres de nos artistes de notre Association suisse des peintres et sculpteurs. D’une main sûre, le jury y a placé des exemples significatifs de leurs travaux… Dans le domaine de la céramique aussi, on constate de grands progrès. Il suffit de contempler les assiettes plates ou creuses joliment façonnées de G. Meister-Zingg, les pichets et les coupes techniquement parfaites de Clara Vogelsang, ainsi que les jolies tasses et les bols très pratiques d’Adele Schwander.

En 1926, Heinrich et Gertrud Meister sont admis au sein du Werkbund suisse (SWB – association d’artistes et de professionnels dans le domaine du design fondée en 1913 qui a pour objectif d’ennoblir le travail commercial par l’interaction de l’art, de l’industrie et de l’artisanat et ainsi de permettre une meilleure qualité des produits. Cette association compte actuellement plus de 900 membres dans toute la Suisse). Heinrich Meister devient membre du conseil d’administration de la section zurichoise. Gertrud Meister-Zingg était également membre de la Société des femmes peintres et sculpteurs suisses (GSMBK). En 1927, l’Atelier de céramiques d’art « Meister & Cie. » commence ces premières exportations vers l’Allemagne, la France et les États-Unis. À cette époque, l’entreprise fabrique principalement de la glaçure à faïence, mais aussi un peu d’engobe et de nombreuses terres cuites, le plus souvent sous forme de grands vases de jardin et de pots de fleurs avec des éléments en relief. En outre, l’atelier produit de petites sculptures et des animaux ornementaux en céramique, des figurines de jardin et de grands bacs en Klinkerton fritté (le Klinkerton est une matière céramique proche de la faïence fine, cuite à environ 1170°C jusqu’au frittage, et qui possède une grande solidité et résistance aux contraintes mécaniques et chimiques) ainsi que des céramiques avec leurs typiques décors aux coulures glaçurées (en allemand « Laufdekor »), des glaçures artistiques monochromes, du craquelé, mais aussi des glaçures mates et alcalines (aux sels de sodium, de potassium ou de lithium). En créant de nouvelles ébauches pour de nouvelles céramiques au sein de son atelier, Heinrich Meister réagit avec succès aux tendances de la « Nouvelle Objectivité » alors en vogue et à la raréfaction des ornementations, un courant moderniste également présent dans le domaine de la céramique.

Dans les années trente, l’entreprise a connu une période de prospérité. Outre la Foire aux échantillons de Bâle, la société est également présente à d’autres salons, entre autres à Francfort, et a coopéré étroitement avec le « Zürcher Heimatwerk » (section zurichoise du « Schweizer Heimatwerk – L’Artisanat suisse », une coopérative fondée en 1930 pour commercialiser les produits de l’artisanat d’art et de l’artisanat rural suisses). En 1931, Meister & Cie. acquiert une participation dans la société Wullschleger & Cie. basée à Olten, canton de Soleure, dont le domaine d’activité est le commerce de meubles, d’orfèvrerie, de céramique, de papiers peints et de tissus. Il est évident qu’Heinrich Meister a alors essayé de cette manière de développer un circuit de distribution supplémentaire (FOSC 49, n° 215, 2001 du 16.9.1931). Avec le réveil du « Heimatstil – style patriotique » à la fin des années 1930, en réaction à la « Nouvelle Objectivité », l’atelier produits des céramiques en accord avec cette ligne artistique, car il semble que de nombreux clients voulaient des produits dans cet esprit et étaient adeptes de ce style.

De 1930 à 1959 environ, Heinrich Meister a également été président de l’Association des maîtres potiers et fabricants de poterie suisses, qui a été remplacée en 1959 par « l’Arbeitsgemeinschaft Schweizerischer Keramiker (AKS) – Communauté de travail des céramistes suisses », dont Heinrich Meister était l’un des membres fondateurs.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’entreprise a connu un nouvel essor de ses activités, notamment parce que les contacts avec les États-Unis ont pu être renoués. Cependant, les clients américains, comme, par ailleurs, les clients allemands, suédois et canadiens, exigeaient chaque année une nouvelle collection en exclusivité, ce qui représentait un grand défi pour les concepteurs de la société et, évidemment, également sur le plan de la production. Jusqu’à 20 employés ont été employés après la guerre. De nombreux diplômés des écoles supérieures de céramique en Suisse ont travaillé dans l’entreprise pendant une période plus ou moins longue, par exemple Annina Vital (qui travaillera plus tard à la « Heimtöpferei – Poterie du Foyer » à Coire, canton des Grisons) et Margret Loder-Rettenmund (qui travaillera plus tard aux « Luzerner Keramik – Céramiques lucernoises SA »). Lors du 2ème Congrès international de la céramique à Zurich en 1950, Heinrich Meister a donné l’une des principales conférences, dont le thème était l’histoire de la céramique suisse.

Heinrich Meister et Gertrud Meister-Zingg, dans les années 1950 (Archives photographiques Meister & Cie., Christine Hobi).

À la fin des années 1950, Heinrich Meister s’intéresse à un projet visant à créer, en lieu et place de son entreprise, un établissement consacré à une formation pratique de céramistes pour adultes, dans le cadre des activités de l’Ecole-club Migros, mais ses plans tombent à l’eau. En 1961, en raison son âge (il a 67 ans) et de la baisse de la demande pour ce type de céramiques, l’établissement est fermé (Tages-Anzeiger, Zurich, 3 janvier 1962).

Heinrich et Gertrud Meister-Zingg appartiennent à la « deuxième génération des céramistes suisses modernes », qui se sont distingués par leurs expérimentations variées en matière de formes, de couleurs et de motifs. En changeant de carrière, Heinrich Meister est devenu un « créateur de céramiques à la mode », reconnu internationalement. Il a créé des formes d’une originalité et d’une fraîcheur rares. Parmi les produits les plus courants, on trouve des vases, des lampes destinées à la décoration intérieure et des céramiques utilitaires telles que des bols, des cruches, etc. Gertrud a modelé de nombreux objets figuratifs en plus de son activité de peintre.

Une sélection de ses principales céramiques est conservée au Musée national suisse et au Musée du design de Zurich.

Meister Keramiken – eine kleine Fotosammlung

Expositions de et sur Heinrich Meister :

Maria Weese et Heinz Meister, exposition de céramique, 6 juillet au 10 août 1924, Kunstgewerbemuseum – actuellement, Musée du design, Zurich.

Exposition nationale suisse, Pavillon de la céramique, 1939, Zurich.

« Showing the Master » – objets de la collection Erika Munz et documents historiques provenant des archives de l’entreprise et de la famille Meister. Du 26 septembre au 18 octobre 2014, Centre communautaire de l’Église réformée, Dübendorf, canton de Zurich.

 Bibliographie :

Richard Kölliker, Vom Geschäft mit der schönen Form. Meister & Cie. – Kunstkeramische Werkstätte Dübendorf-Stettbach, 1920 bis 1961. Heimatbuch Dübendorf, Jahrbuch 68, 2014, 25-50.

Richard Kölliker, Meister-Keramik – Heinrich und Gertrud Meister-Zingg und ihre Kunstkeramik Werkstatt in Dübendorf-Stettbach 1920–1961. Privatdruck, Schaffhausen 2014.

Josef Kövessi, Die Tonwarenindustrie in der Schweiz. Diss., Universität Zürich, 1923.

Kupper, Roland, Auf der Suche nach der modernen Form: Meister-Keramik 1920-1961. Sammler-Anzeiger – Gazette des Collectionneurs 35, Nr. 4, 2015, 4.

Erwin Kunz, Aus der Vergangenheit der ehemaligen Töpferei Meister in Stettbach. Neujahrsblatt Zürich 11, Zürich 1966, S. 7-16.

Christoph Messerli, 100 Jahre Berner Keramik
von der Thuner Majolika bis zum künstlerischen Werk von Margrit Linck-Daepp (1987-1983). Hochschulschrift (Datenträger CD-ROM), Bern 2017.

Wegleitungen des Kunstgewerbemuseums der Stadt Zürich, Nr. 55, Keramische Ausstellung Weese, E. Maria und Heinz Meister, Zürich 1924.