Ausmacherin, Heimberg-Steffisburg 1917 (Fotograf Hermann Stauder).
Andreas Heege, Andreas Kistler, 2023
« Finisseuse – Ausmacherin en allemand » est un terme qui apparaît parfois dans les registres paroissiaux (Registre des décès, etc.), par lequel on désignait les peintres sur céramique dans la région de Heimberg-Steffisbourg. Le terme est dérivé du verbe allemand « ausmachen », qui peut être traduit à la fois par « exécuter, terminer » et « peindre ». Le terme « Ausmacherin », probablement très local et propre à Heimberg-Steffisbourg, n’a pas réussi à entrer dans le dictionnaire du dialecte suisse allemand ou ” Idiotikon “. Il faut noter que le métier français de couleuse-finisseuse en céramique ou le métier canadien de finisseuse en céramique non cuite, dont la tâche se réfère au moulage des céramiques (façonneuse), n’est pas celui de finisseuse – peintre en céramique (« Ausmacherin ») décrit dans cet article, dont la tâche principale est de peindre le décor sur des céramiques, encore à cuire ou déjà cuites.
Comme nous l’apprend une source en 1819, les finisseuses étaient généralement responsables de la décoration de la céramique « à la manière de Heimberg ». En 1819, le préfet de Thoune, M. Steiger, adresse un rapport à la Commission de l’économie du Canton de Berne dans le cadre d’une controverse sur l’installation d’un four de potier à Steffisbourg : « La paroisse de Steffisbourg compte actuellement 34 fours. Un maître a généralement un ou deux compagnons, parfois aussi un apprenti et un ouvrier. La plupart du temps, on n’utilise que des femmes et des enfants pour le séchage des terres cuites à usage domestique, mais, en ce qui concerne le finissage, on emploie uniquement des femmes » (Archives de l’État à Berne – en allemand Staatsarchiv Bern, StAB B IV 15, volume XI, 45–46).
Alexandre Brongniart (1770-1847), directeur de la manufacture de porcelaine de Sèvres de 1800 à 1847 et son important livre de 1844 (source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Brongniart).
En 1836, Alexandre Brongniart, alors directeur de la manufacture de porcelaine de Sèvres, visite le village potier de Heimberg. Huit ans plus tard, il publie une brève description de la céramique locale et de sa fabrication. Cette description est d’une importance considérable en tant que témoignage d’un céramiste expérimenté (Brongniart 1844, vol. 2, 14-15) (l’orthographe et le style de l’époque ont été conservé dans la retranscription fidèle des écrits de Brongniart) :
«Dans ce petit district de Heimberg, depuis Thun même jusqu’à environ 1 kilom. au-delà, sur la route de Berne, il y a plus de 50 Potiers. La pâte de cette poterie est composée de deux argiles qui viennent des environs : l’une, rougeâtre vient de Merlingen [plus correctement Merligen sur le lac de Thoune, à 15 km au sud de Heimberg; Boschetti-Maradi 2006, 19], l’autre de Steffisbourg dans le Heimberg ; avant d’être cuit, ce mélange est gris de fumée ; on donne aux pièces diverses couleurs par des engobes argileuses mêlées naturellement ou artificiellement, de divers oxydes métalliques, le rouge par l’argile ocreuse, le brun par le manganèse et le blanc par une argile blanche exempte de fer. Les engobes sont comme à l’ordinaire mises sur le cru bien sec ; sur ses enduits argileux on place des ornements grossiers mais très-variés, avec des bouillies d’argiles colorées par des oxydes très-tingents : l’antimoine, le cuivre, le cobalt et encore le manganèse. Ces couleurs sont dans de petites écuelles ou casseroles ressemblant à des lampes dont le bec est muni d’un tuyau de plume ; une femme fait, avec la couleur qui sort par ce tuyau, les points, les linéaments, et autres figures dont elle veut orner le vase ; la variété d’ornements dont ces potiers savent donner à leurs pièces, est considérable. Le vernis est simplement du minium qui est mis, par saupoudration, sur le cru bien sec. La pâte, l’engobe, les ornements et le vernis sont cuits ensemble, en un seul feu, dans des fours en cylindre couché et à foyer intérieur. On cuit au bois de sapin. » (Brongniart 1844,vol. 2, 14–15. Les illustrations correspondantes ont été publiées dans Brongniart/Riocreux 1845, planche 31,4.12.13).
La répartition des tâches entre les femmes (finisseuses/peintres sur céramique) et les hommes (préparation de l’argile, tournage des récipients, mise en place du four et cuisson) dans les poteries de la région de Heimberg-Steffisbourg existait probablement aussi dans une grande partie de la Suisse alémanique (mais pas à Langnau, canton de Berne, entre 1700 et 1850 environ). Différentes sources iconographiques du début du 20ème siècle continuent à attester de cette situation qui a donc perduré jusqu’à cette date au moins. Cela ne signifie pas que les potiers (ou les compagnons potiers) ne pouvaient pas également peindre ou décorer occasionnellement des récipients, mais ce n’était généralement pas leur travail principal.
Heimberg-Steffisbourg 1917 (photographie d’Hermann Stauder). Illustration de la répartition classique ou usuelle des rôles entre hommes et femmes dans l’atelier de poterie.
Manufacture de céramiques Loder & Schweizer, env. 1920-1924, vue de la salle des femmes peintres sur céramique (photographe inconnu).
Heimberg-Steffisbourg 1926 (photographie d’Hermann Stauder). Illustration de la répartition classique ou usuelle des rôles entre hommes et femmes dans l’atelier de poterie.
Heimberg-Steffisbourg 1934 (Dessin de Paul Wyss dans Wyss 1934). Illustration de la répartition classique ou usuelle des rôles entre hommes et femmes dans l’atelier de poterie.
En 1949, Erna Kohler (plus tard Erna Schröter-Kohler) peint au barolet une soupière comportant un décor gravé, réalisé au préalable, dans le style dit du « Vieux-Langnau ». Devant elle, sur la table, des pinceaux et des engobes à peindre (photographe inconnu). Elle a également fréquenté pendant une courte période l’Ecole de céramique de Berne, mais a été formée dans sa propre entreprise. Chez Kohler à Schüpbach, petit village à 25 km au nord-est de Heimberg-Steffisbourg, la plupart des peintres étaient également des femmes.
Sous l’influence conjointe du travail en manufacture et de la formation spécifique des peintres sur céramique (conception et exécution d’éléments graphiques indépendants des décors), par exemple à l’Ecole de céramique de Berne, le terme de finisseuse et l’image de la profession ont dû tous deux progressivement évoluer. Aujourd’hui, on ne parle plus que de peintres sur céramique.
En octobre 1925, la Schweizer Illustrierte – L’Illustré consacre un article d’une page à l’école de céramique et à l’artisanat d’art à l’occasion de la « Schweizer-Woche – Semaine suisse » (une semaine de campagne publicitaire dédiée à la promotion des œuvres suisses ; active depuis 1917). Une femme peintre sur céramique en illustre la page de titre.
La formation et le travail (la place au travail et le type de travail) sont restés séparés et différents entre les sexes masculins et féminins jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Le métier de « potière/céramiste » (formation complète, du tournage à la cuisson) ne figurait pas au départ dans le programme scolaire. Cela n’a changé qu’à partir du milieu des années 1960.
Margret Loder-Rettenmund (1932- ), peintre sur céramique formée à l’Ecole de céramique de Berne au début des années 1950. Ici dans son travail à la Manufacture de Céramique artistique, Lucerne S.A., à Lucerne-Ebikon, vers 1960 (photographe inconnu).