Heimberg-Steffisbourg, canton de Berne, Loder-Eyer, Charles, Poterie (1871–1915)

Karl Loder-Eyer (1871-1915), date de la photo inconnue, probablement vers 1910.

Céramiques de Karl Loder-Eyer dans CERAMICA CH

Andreas Heege, Andreas Kistler, 2022

Le potier Karl Loder est né le 22.3.1871 (registre de batême [par la suite toujours abrévié RB] Grossaffoltern, district d’Aarberg, canton de berne, 1, 209). Son grand-père Bendicht Loder (1808-1874 ; RB Grossaffoltern 1, 209) était secrétaire communal à Steffisbourg et a été enseignant dans les villages suivants du canton de Berne Niederwichtrach et Wichtrach (district de Konolfingen), Langnau (district de Signau), Affoltern (district de Trachselwald), Hofwil (district de Fraubrunnen), Röthenbach (district de Signau), et Jaberg (district de Seftigen). Du deuxième mariage de Bendicht Loder avec Anna Barbara Aeschlimann de Langnau (1825 – après 1878) sont nés 12 enfants (voir l’arbre généalogique« Hafner » = potier, « Ausmacherin » = finisseuse/peintre). Sur leurs six fils, deux ont exercé la profession de potier : Bendicht Loder-Walder (1855-1909 ; RB Grossaffoltern 1, 213) et Johann Loder (1844-1894 ; RB Grossaffoltern 2, 107). Johann Loder a épousé une fille de potier, Anna Elisabeth Gfeller (1842-1871 ; RB Worb 2, 107 ; son père était Johannes Gfeller, 1816-1862, potier à Heimberg). Avec elle, Johann Loder a eu trois enfants : Karl Loder (1871-1915), (Karl) Johann Loder (1869-1894) et Maria Loder (1868-1869). Il n’a pas eu d’enfants lors de son deuxième mariage avec Maria Elisabeth Moser, veuve Liniger (1836-1906).

Johann Loder a acquis en 1883 une poterie et son terrain situé à la Bernstrasse (Rue de Berne) 206 à Steffisbourg, (Registre foncier [ci-après toujours RF] Steffisburg 50, 384-387). Il est inscrit lors de la transaction en tant que potier à Heimberg. Il n’a toutefois pas été possible de prouver qu’il possédait préalablement un bien immobilier lui servant de résidence ; il devait donc probablement être locataire quelque part. Lors de l’achat de la poterie, l’immeuble comprenait la maison d’habitation et ses dépendances ainsi que deux ateliers de poterie, qui avaient été utilisés entre 1834 et 1865 par les potiers Christian Künzi (1813-1851), Johannes Künzi (1818-1887) et Samuel Künzi (1820-1870). Le prix d’achat comprenait un broyeur à peinture et les « planches de séchages et de travail du potier ». En 1894, après le décès de Johann Loder et la mort de (Karl) Johann Loder seulement trois mois plus tard, la propriété fortement endettée (valeur : 11 000 francs, dettes : 9153 francs) a été transmise à Karl Loder, alors âgé de vingt-trois ans, par sa belle-mère dans le cadre d’une renonciation à titre onéreux ou un dédommagement lors de la succession (RF Steffisburg 53, 644-647). Avec pertes et profits, le 1er mars 1898, Karl Loder a vendu la poterie et son terrain à un jardinier, qui l’a revendue la même année à un agriculteur (RF Steffisburg 55, 200-204, 425). Il est ainsi fort probable qu’après 1898, la poterie située sur ce terrain n’ait plus été active.

Propriété comprenant la maison d’habitation, les dépendances et les deux ateliers de poterie, située à l’Alte Bernstrasse (Ancienne rue de Berne) 167 ; date de prise de vue inconnue, probablement après 1900.

Cette vente de l’atelier de poterie a finalement été bénéfique pour Karl Loder, car il a pu reprendre le 5 septembre 1898, également avec pertes et profits, une propriété sur laquelle se trouvait une autre poterie, située celle-là à l’Alte Bernstrasse 167 (Ancienne rue de Berne) également à Steffisbourg, dans le cadre d’un achat (une renonciation à titre onéreux) lors de la succession (RF Steffisburg 55, 208-211) de son beau-père, le potier Christian Eyer (1845-1898) dans laquelle se trouvait ce bien qui lui appartenait auparavant.

Karl Loder épouse en 1898 Anna Elisabeth Eyer (2 décembre 1872-29 avril 1933), fille du potier Christian Eyer. Le couple n’a pas eu d’enfants.

Nous ne pouvons que supposer que Karl Loder a suivi sa formation de potier dans l’atelier paternel. Nous n’avons trouvé aucune référence à ce sujet. Aucun document ni aucune céramique signée provenant de son passage à la poterie de Johann Loder située à la Bernstrasse 206 (1894-1898) à Steffisbourg n’ont été conservés.

Les témoignages concernant ses activités commencent avec des articles de journaux en 1899 (Täglicher Anzeiger für Thun und das Berner Oberland  – Journal de Thoune et de l‘Oberland bernois, 11 et 17 août ; Thuner Wochenblatt – L’hebdomadaire de Thoune, 16 août). Charles (en français dans le texte), comme il se faisait apparemment déjà appeler à l’époque, avait participé à la première Exposition cantonale bernoise de l’industrie, de l’artisanat et de l’agriculture au sein de l’exposition collective de l’Association industrielle de Heimberg et avait reçu une médaille d’argent pour sa participation, tout comme son oncle Bendicht Loder-Walder. Parallèlement, la manufacture Wanzenried a reçu un diplôme d’honneur et la compagnie « Musée céramique » du marchand de céramiques Ludwig Hahn une médaille d’or.

1ère exposition cantonale bernoise de l’industrie, du commerce et de l’agriculture, Thoune 1899, stand de l’Association industrielle de Heimberg.

La photo du stand, imprimée dans le guide de l’exposition, montre que les potiers Fritz Frank-Mäder, Christian Frank-Jenny, Friedrich Hänni-Kratzer, Charles Loder-Eyer, Bendicht Loder-Walder, Jakob Reusser, Jakob Schenk, Gottfried Tschanz, Ernst Wittmeier et Eugen Rorschach (Berne) produisaient apparemment tous des céramiques dans le style de la « majolique de Thoune », toujours en vogue à l’époque, tant auprès du public bernois que des touristes. Il est probable que les potiers cités aient également été les principaux fournisseurs de la société « Musée céramique ».

1ère exposition cantonale bernoise de l’industrie, du commerce et de l’agriculture, Thoune 1899, stand de la Manufacture Wanzenried.

D’un point de vue visuel et probablement aussi en termes de qualité, les céramiques de ces potiers de l’Association industrielle de Heimberg, vraisemblablement fournisseur de la société « Musée céramique », pour la plupart non marquées, ne se distinguaient sans doute guère des produits de la Manufacture Wanzenried, également représentée à Thoune sur un grand stand.

De gauche à droite : Anna Eyer, Karl Loder-Eyer et des personnes non identifiées posent vers ou peu après 1900 devant la poterie Loder-Eyer, située à la Bernstrasse – Rue de Berne 167 à Steffisbourg. Le sixième personnage à partir de la gauche, ce petit garçon au chapeau, est probablement Emil Loder.

Des changements familiaux apparaissent en 1900. Lors de l’Assemblée des enfants placés, qui se tient à Steffisbourg le 28 décembre 1900, Emil Loder (1890-1971), un cousin de Karl Loder (voir l’arbre généalogique« Hafner » = potier, « Ausmacherin » = finisseuse/peintre), a été placé avec ses frères Ernst Robert (1891-1969) et Walter (1882-1930) chez son cousin Karl Loder-Eyer (1871-1915), sans enfant, pour un prix de 65 francs par an couvrant les frais de pension. L’intégration dans la famille de son cousin Karl, de 18 ans plus âgé que lui, s’avérera déterminante pour la vie d’Emil. A partir du 10 mai 1906, il obtient un contrat d’apprentissage chez Karl Loder en tant qu’apprenti potier. La commission des pauvres de la commune de Heimberg se chargea de payer la taxe d’apprentissage de 200 francs (archives communales de Heimberg, dossiers de la commission des pauvres 1906, 97 (30.8.1906).

Geschäftsblatt für den obern Teil des Kantons Bern 20. Dezember 1902 Ausgabe 03.

A l’occasion de l’exposition de Noël de l’année 1902 au Musée des arts et métiers de Berne, les travaux de Karl Loder-Eyer ont été à nouveau distingués par le directeur du musée Oscar Blom (Geschäftsblatt für den oberer Teil des Kantons Bern – Feuille d’avis du commerce pour la partie haute du canton de Berne,  1902, No. 49, 20.12.1902). Avec lui, les potiers Loder-Walder et Tschanz ont été cités.

Karl Loder-Eyer participa également avec succès au 2ème concours organisé par le Musée cantonal des arts et métiers dans la catégorie des terres cuites (majoliques) en décembre 1902. Certes, dans certaines catégories, la manufacture Wanzenried remportait toujours les premiers prix, mais Karl Loder se situait apparemment à un niveau comparable avec sa production. Bendicht Loder-Walter reçut un troisième prix et le Musée Céramique, sous la direction de L. Hahn, qui en est le propriétaire depuis le 3 février 1890, une mention honorable (Geschäftsblatt für den oberer Teil des Kantons Bern – Feuille d’avis du commerce pour la partie haute du canton de Berne, volume 50, numéro 28 du 1.4.1903). Le 11 avril 1903, le Tägliche Anzeiger für Thun und das Berner Oberland – Le quotidien de Thoune et de l’Oberland bernois (volume 27, numéro 86) a également félicité Karl Loder pour les prix remportés et l’a qualifié dans ce contexte de « leader de l’industrie locale ».

Carte de visite de Karl Loder-Eyer, après 1903.

Karl Loder était apparemment très fier des prix remportés à Thoune et à Berne, raison pour laquelle il a fait imprimer une nouvelle carte de visite sur laquelle figure la marque de son entreprise (CH L ligaturé – Charles Loder ; la marque n’était pas inscrite au registre du commerce suisse). Outre les prix de Thoune et de Berne, la carte mentionne également un prix à Paris. Il ne peut s’agir que de l’Exposition universelle de 1900, lors de laquelle le Musée Céramique de L. Hahn a également reçu une médaille de bronze pour sa majolique de Thoune (La Tribune de Genève, 1.9.1900). Karl Loder était-il donc un fournisseur important de Hahn et estimait-il que la médaille aurait dû lui revenir ?

Le 30.12.1905, Karl Loder-Eyer et Marie Mürner, née Gfeller (en tant qu’ayant droit de son défunt mari Samuel Mürner) ont dissous la « Société d’entraide et d’amitié » des potiers de Heimberg, fondée le 26 juin 1877, car ils en étaient les deux derniers membres. Par ailleurs, Mme Mürner avait cessé son activité de potière peu de temps auparavant. Il ressort des comptes de clôture présentés par Karl Loder-Eyer que cette Société d’entraide ne possédait plus qu’un wagonnet de « glaçage au plomb de l’entreprise Lutz & Schrämli » d’une valeur de 2380 francs. La litharge a été broyée chez Mme Wanzenried pour 598,50 francs, puis reprise par Karl Loder-Eyer (décompte conservé dans le fonds de l’entreprise « Kunstkeramik Luzern A.G – Céramique artistique, Lucerne S.A. » aux Archives du Canton de Lucerne).

Täglicher Anzeiger für Thun und das Berner Oberland – Journal de Thoune et de l‘Oberland bernois, 19.12.1905, extrait.

Oscar Blom, Der Bund – La Confédération,-  21.12.1905, extrait.

L’exposition de Noël de l’année 1905 au Musée des arts et métiers de Berne reçoit un écho positif dans la presse (Täglicher Anzeiger für Thun und das Berner Oberland  – Journal de Thoune et de l‘Oberland bernois, 3.12.1905, 19.12.1905, 30.12.1905 ; Der Bund – La Confédération du 21.12.1905). On y souligne en particulier la « grande pyramide en majolique de Thoune », exposée par Gottfried Beutter de Thoune [qui a succédé à L. Hahn comme propriétaire de la société Musée Céramique le 25 novembre 1905], Karl Loder-Eyer de Steffisbourg et B. Loder-Walder, maître potier à Heimberg ».  Oscar Blom fait une nouvelle fois l’éloge des produits de Karl Loder-Eyer dans la transcription d’un entretien, publié dans le journal Der Bund – La Confédération du 21 décembre 1905.

Le concours de l’année 1902 et les expositions de Noël du Musée des arts et métiers de Berne étaient quelques-unes des activités par lesquelles Oscar Blom, son directeur, voulait promouvoir et améliorer l’artisanat d’art et la production de céramiques dans le canton de Berne. Ses efforts pour la formation des potiers ont finalement abouti à l’ouverture d’une école de poterie à Steffisbourg en août 1906, subventionnée par l’Etat (Rapport administratif de la Direction de l’intérieur du canton de Berne 1906, 204. Voir à ce sujet Messerli Bolliger 1991).  Karl Loder devint membre de la commission de surveillance (Blom 1908). 24 élèves fréquentaient la classe de modelage de Ferdinand Huttenlocher (1856-1925) et la classe de décoration de Paul Wyss (1875-1952). Parmi les élèves se trouvaient Karl Loder-Eyer, Emil Loder, son cousin Friedrich Loder (1890- ?) et sa cousine Rosa Ida Loder (1889-1912).

En même temps, Huttenlocher et Wyss étaient également enseignants d’arts appliqués dans la classe de céramique, ouverte en 1905, de l’Ecole des arts et métiers de Berne, pour laquelle Karl Loder-Eyer a reçu deux bourses d’État (à l’instigation d’Oscar Blom ?) en 1905 et 1906. Apparemment, Karl Loder-Eyer, tout comme son cousin Bendicht Loder-Walder qui produisait pour l’artiste Nora Gross, spécialisée en arts appliqués, faisait partie des céramistes de la région de Heimberg-Steffisbourg tout à la fois ouverts d’esprit et désireux de se former.

Lors de l’exposition de Noël du Musée cantonal des arts et métiers de Berne, les productions de Karl Loder-Eyer de Steffisbourg étaient représentées par un assortiment de majoliques. A ses côtés, les productions de Bendicht Loder-Walder, Heimberg (assortiment de majoliques) et de la coopérative des potiers de Steffisbourg (assortiment de majoliques également) étaient aussi présentes.

Affichette publiée en 1908 présentant les céramiques de Karl Loder-Eyer.

C’est probablement la raison pour laquelle Oscar Blom a également publié dans son rapport annuel de 1908 une affichette montrant la production de cette période de Karl Loder-Eyer. Sa gamme de produits, comme celle de la manufacture Wanzenried et de la poterie de Bendicht Loder-Walder, également représentées, devaient inciter d’autres potiers à  s’inspirer de leurs céramiques. C’est grâce à cette affichette que nous avons pour la première fois une idée de l’aspect de la production de Loder-Eyer, ici datée sans équivoque. On constate que les décors et les formes de cette production se distancent formellement des produits de la majolique de Thoune inspirés par l’historicisme, qu’Oscar Blom, et avec lui sans doute les enseignants des écoles de céramique, considéraient comme dépassés (Blom 1908). Les décors dans un style Art nouveau stylisé et floral, tels que Paul Wyss, le professeur d’art appliqués aux arts et métiers, les enseignait aux potiers et aux peintres sur céramique des écoles de Berne et de Steffisbourg, passaient donc alors pour nouveaux et modernes.  Il n’est donc pas étonnant que lors de l’exposition de Noël au Musée des arts et métiers de Berne en 1906, les céramiques de Karl Loder exposées aient été décrites comme une « collection de nouvelles majoliques de Heimberg » (Intelligenzblatt für die Stadt Bern – Feuille d’avis de Berne du 15 décembre 1906 ; également Täglicher Anzeiger für Thun und das Berner Oberland  – Journal de Thoune et de l‘Oberland bernois du 19 décembre 1906).

En 1911, pour une raison que l’on ne connaît pas, Karl Loder-Eyer inscrit son entreprise de poterie au registre suisse du commerce (FOSC 29, 1911, p. 1650). Cette inscription restera la seule de son vivant. Par ailleurs, il fait rédiger le 22 décembre 1911, avec l’accord de son épouse, un testament désignant ses trois cousins Emil Loder (1890-1971), Ernst Robert Loder (1891-1969) et Walter Loder (1882-1930) comme héritiers de la poterie en cas de décès. La raison invoquée est l’absence d’enfants du couple.

En vue de l’exposition nationale de 1914 à Berne, une « exposition de Noël sur l’industrie des arts » avait déjà eu lieu en 1910/11 au Musée cantonal des arts et métiers de Berne, au cours de laquelle les exposants devaient intégrer leurs céramiques en respectant un contexte d’art spatial global, respectivement d’aménagement dans l’espace. L’espace destiné aux céramiques de Karl Loder a été conçu par l’architecte bernois Otto Ingold, comme on peut le découvrir dans un compte rendu de l’exposition paru dans le journal Der Bund – La Confédération du 18 janvier 1911.  On peut lire dans cet article : « Exposant : Karl Loder-Eyer, potier, Steffisbourg, majoliques et poteries avec frittes (émaux) colorées, en partie d’après ses propres créations, en partie d’après les créations de l’architecte Otto Ingold et de l’école de poterie de Steffisbourg. Ici, les motifs floraux des céramiques attirent particulièrement notre attention. En ce qui concernent les formes bien proportionnées des différentes céramiques, pour lesquelles on peut immédiatement associer une utilisation prédéterminée (p. ex. pour une décoration de niches (au sens d’enfoncement pratiqué dans l’épaisseur d’une paroi pour abriter un objet décoratif), etc.) et donc déterminées par l’usage, avec leurs décors factuels, contrairement aux ornements purement naturalistes qui les ont précédés, les influences générées par cette exposition d’art spatial sont perceptibles ».

« Ingold, considéré à Berne comme un architecte renommé, bien qu’innovateur, s’est distingué en 1908 par la construction de la maison du peintre Cuno Amiet sur l’Oschwand, petit village près de Herzogenbuchsee, dans le canton de Berne et du Volkhaus (littéralement « Maison du peuple ») de Berne, inaugurée en 1914. En 1913, il participa à la fondation du Werkbund suisse (équivalent suisse alémanique de L’Œuvre, association de promotion et de défense d’un art suisse). Alors que dans l’Europe voisine – notamment en Allemagne – les premières entreprises céramiques réalisaient déjà les conceptions d’artistes innovateurs célèbres comme Henry van Velde (1863-1957), Peter Behrens (1868-1940), Albin Müller (1871-1941), etc., cette collaboration entre Ingold et Eyer fut considérée comme une nouveauté à Berne et fut saluée par un texte laudatif dans la revue Die Schweizerische Baukunst – L’architecture suisse : il se peut que les charmes propres à ces différentes céramiques , effectivement révélées lors d’une telle exposition, ne soient pas remarquées immédiatement par le visiteur. Certains vases sont en partie réalisés d’après les esquisses du fabricant lui-même, mais pour la plupart d’entre eux, ils ont été conçus d’après les dessins de l’architecte Otto Ingold et de l’école de poterie de Steffisbourg ». (citation d’après Messerli 2009, 62-63).

Compte-rendu de l’exposition de 1913, Basler Volksblatt – Journal populaire de Bâle n° 208, 1913, 7 septembre, (Archives de l’Etat, Berne BB 1.9.7, coupures de presse).

1913 Dans le cadre d’une exposition au Musée des arts et métiers de Bâle, les travaux de Karl Loder-Eyer et de E. Lengacher (ancienne Manufacture Wanzenried) ainsi que ceux de la classe de céramique du Musée cantonal des arts et métiers de Berne, sont très bien accueillis. En revanche, les vases d’Adolf Gerber et de Johann Röthlisberger de Langnau suscitent des critiques. Au sein de l’exposition, les travaux de la Suisse sont en concurrence avec ceux du céramiste allemand Max Läuger, des productions des manufactures de majoliques de Karlsruhe, de porcelaines de Berlin et de celles de Copenhague ainsi que des céramiques de Wedgwood (Angleterre).

Geschäftsblatt für den oberen Teil des Kantons Bern – Feuille d’avis pour la partie supérieure du canton de Berne, volume 61, numéro 49, 20 juin 1914.

Nombre de journaux et des articles publiées dans la presse écrite la plus diverse parlent de l’exposition nationale de 1914 à Berne. En juin, nous apprenons que Karl Loder-Eyer, les frères Loder de Heimberg, Friedrich Hänni-Kratzer de Heimberg, Mademoiselle Anna Müller de Grosshöchstetten, la poterie Reusser de Heimberg et Gottfried Moser de Wichtrach étaient représentés à l’exposition nationale en tant qu’exposants. A cela s’ajoutait Emil Lengacher, qui avait entre-temps repris la manufacture Wanzenried.

Sur la base d’un article illustré de Jacob Hermanns (enseignant à l’école de céramique de Berne depuis 1907, également membre du comité s’occupant du « Bazar du Dörfli », un stand présentant les produits de l’Association pour la protection du patrimoine à l’exposition nationale) paru en 1914 dans la Schweizer Illustrierte Zeitung – qui donnera L’Illustré en Suisse romande dès 1921, nous avons tout de même une certaine idée de la production que Karl Loder-Eyer a présenté à Berne. Karl Loder exposait sa production céramique, entre autres, au sein des « Heimkunst-Werkstätten – Atelier d’arts patrimoniaux, Untergruppe – sous-groupe 49A II » dans le « Dörfli[1] » (Heimatschutz – Patrimoine, volume 9, 1914, 156) ainsi que dans le groupe 23 « Keramische und Glaswaren – Céramiques et verres » dont le stand se situait dans une halle spéciale dans le petit quartier du Neufeld, au nord de la ville de Berne (Kiefer 1914, rapport technique). Les « Heimkunst-Werkstätten – Atelier d’arts patrimoniaux » organisaient également des présentations et des démonstrations d’artisanat traditionnel. Robert Loder (1891-1969) y travaillait au tour de potier (selon les documents historiques d’Emil Loder, tirés des archives de l’entreprise « Kunstkeramik Luzern A.G – Céramique artistique, Lucerne S.A. », conservées aux Archives du Canton de Lucerne).

[1] « Dörfli » : littéralement « petit village ». Dans la saga de « Heidi » de Johanna Spyri, le hameau de Dörfli et l’alpe de l’ « Oncle » ont fini par incarner le paysage helvétique et ont contribué au mythe d’une Suisse dont les habitants vivent en toute innocence au bon air des Alpes. Le Dörfli désigne ici un endroit de l’Exposition national présentant les produits du terroir.

Karl Loder-Eyer était en outre un des fournisseurs du « Bazar » de l’Association pour la protection du patrimoine, situé dans le « Dörfli » (Conradin 1914, 99). Les tenanciers de stands n’y vendaient que des marchandises et des souvenirs de voyage préalablement agréés par le comité du bazar ou ayant participé en 1913 au « concours de souvenirs de voyage » (Heimatschutz – Patrimoine 8, 1913, cahier 6, 95 ; Sur les lauréats : Heimatschutz – Patrimoine 8, 1913, cahier 11, 122-123).

Dans son article du 21 juin 1914 décrivant le bazar, le Journal Neue Zürcher Zeitung (NZZ) – Nouvelle gazette zurichoise, la NZZ fait explicitement référence à des « groupes de paysans dansants et  amusants » (figurines en céramique ?) de l’atelier Loder-Eyer, dont nous ne connaissons plus aucune pièce aujourd’hui.

Cependant, deux figurines signées du monogramme de Charles Loder-Eyer (CHL ligaturés), qui ont été conservées en mains privées, fournissent un lien avec le magasin d’articles ménagers « Kaiser & Cie » à Berne (inscription Kaiser sur la figurine du haut), qui était également un fournisseur du « Bazar » de l’Association pour la protection du patrimoine, et qui avait participé avec de nombreux objets à ce « concours pour souvenirs de voyage » précédant l’exposition nationale, cité plus haut. Or, dans la liste des prix de ce concours de 1913, ce n’est étonnamment pas Karl Loder-Eyer qui est l’auteur des figurines, mais le céramiste Cäsar Adolf Schmalz de Heimberg (sous la mention : « 12 figurines de paysans, dansant et jouant de la musique »). Une monographie de l’œuvre de Schmalz répertorie également les deux figurines (Marti/Straubhaar 2017, 127). Pouvons-nous donc supposer que Schmalz a travaillé pour Karl Loder-Eyer et que Karl les aurait signées en tant que propriétaire de la poterie  ? Il faudrait sans doute ici des études plus approfondies sur Cäsar Adolf Schmalz.

Un article de presse sur l’exposition, publié par la NZZ (reproduit dans l’Oberländer Tagblatt – Journal de l’Oberland – du 30.10.1914) souligne la richesse décorative des céramiques de Loder, tout en regrettant que les motifs soient souvent trop recherchés et parfois trop peu adaptés à la forme. Le journal Der BUND – La Confédération (10.9.1914) regroupe les céramiques de Karl Loder-Eyer avec celles des frères Loder et celles de la manufacture Wanzenried (sous la direction de E. Lengacher) sous la dénomination de majoliques de Thoune et les qualifie de « hautement originales et particulièrement excellentes ».

En ce qui concerne plus particulièrement les céramiques de Karl Loder-Eyer, le rapport final de l’exposition souligne leur grand nombre, la richesse des échantillons présentés et leur bonne exécution technique. « En plus des décors peints à la barbotine (engobe à peindre colorée), presque toutes les techniques céramiques ont ici été appliquées avec habileté, sans pour autant que l’appartenance au patrimoine local des céramiques de Karl Loder-Eyer en ait été altérée » (Kiefer 1914).

Nous pouvons nous faire une idée de la céramique produite par Karl Loder-Eyer sur la base de neuf photos numérotées et de trois photos non numérotées. Ces photos se trouvaient dans les archives de la manufacture Céramique artistique, Lucerne S.A. (conservées aujourd’hui dans les archives du canton de Lucerne), où elles ont probablement été classées par Emil Loder à une date inconnue. Les photos n’ont probablement pas toutes été prises en même temps. Elles datent cependant toutes de peu après 1900. Toutefois, le numéro de forme 134 porte clairement la date de 1914 et certaines céramiques (formes 126, 151 et 201 et 213) correspondent aux pièces présentes à l’exposition nationale de Berne. Les majoliques « classique » de Thoune et celles décorées du « motif aux hiboux » en côtoient d’autres avec des décors soit rappelant ceux de Nora Gross, soit évoquant des souvenirs de voyage sur une glaçure de fond bleue claire, avec leurs scènes de paysages suisses « typiques » et leurs vues traditionnelles des lieux touristiques « à ne pas manquer » (comme Thoune, le château de Chillon, les rives du lac Léman), mais aussi des représentations de touristes aux sports d’hiver. Ces dernières contrastent avec des décors basés sur les dessins de Paul Wyss, ou encore avec celles dans le style « Vieux-Langnau » ou celles portant des motifs Art nouveau tels que Karl Loder-Eyer les produisait déjà vers 1907/1908 (voir ci-dessus). La Fondation du château de Thoune conserve un exemplaire de la série de vaisselle en bleu clair, daté de 1914 et portant l’inscription S.L.A.B. ( pour Schweizerische Landes-Ausstellung BernExposition nationale suisse de Berne). La série est cependant probablement plus ancienne, puisque la forme 35 apparaît pour la première fois sur une photo en 1908 déjà.

La photo ci-dessus, sans inscription, ne pas peut être attribuée à Karl Loder-Eyer avec certitude.

Oberländer Tagblatt – Journal de l’Oberland – 10.11.1914. Commentaire : il manque la mention de la médaille d’argent reçue par Johannes Röthlisberger de Langnau !

Karl Loder-Eyer et Emil Lengacher (Manufacture Wanzenried) ont tous deux reçu une médaille d’or à l’issue de l’exposition nationale. Les frères Loder et le maître potier Reusser de Heimberg ont chacun reçu une médaille de bronze.

La présence dans les musées des céramiques de Karl Loder-Eyer et de son atelier est dans l’ensemble plutôt modeste et nécessiterait un traitement plus approfondi. La fondation du château de Thoune conserve des fonds un peu plus importants (dont l’analyse est prévue en 2023).

Céramiques dites « souvenir de voyage en Suisse », datées de 1914 (Fondation du château de Thoune).

Karl (Charles) Loder-Eyer, assiette de la série des Sports d’hiver, signée et marquée « Thoune ». Collection privée.

Karl (Charles) Loder-Eyer, deux assiettes d’une série sur le thème des femmes, avec leurs tabliers affublés de ces nœuds étonnamment grands, signés « Thoune ». Musée du château de Thoune.

 

Série de boîtes pour la conservation ou de boîtes à provisions pour la cuisine de Karl Loder-Eyer, Fondation du château de Thoune.

Ces deux assiettes datant de 1913 et 1914, conservées au musée des traditions populaires de Trubschachen, témoignent de manière impressionnante de la qualité que Karl Loder était en mesure de fournir.

Statuettes de Guillaume Tell et de son fils Walter, marquées du « signe artisanal » de la poterie de Karl Loder-Eyer à Steffisbourg (photo Hans Kelterborn, Fondation du château de Thoune), réalisées en 1864, selon l’inscription à l’inventaire, par un potier immigré de Rekingen dans le canton d’Argovie (inv. 00682). Il s’agit probablement de Gottlieb Bercher (1837-1904), qui a travaillé en 1859 et de 1863 à 1866 comme compagnon chez les potier Johann Farni et Niklaus Frei à Heimberg et qui, après s’être marié à Berne en 1865, s’est définitivement établi à Heimberg en 1866. Comment ces statuettes sont finalement parvenue entre les mains de Loder-Eyer reste un mystère.

Une dernière particularité doit encore être signalée. La fondation du château de Thoune a également acheté deux figurines en céramique, inhabituelles, qui étaient propriété de la poterie de Karl Loder-Eyer. Elles ont été mentionnées pour la première fois par Wyss (1966, 41) et elles dateraient de 1864. Il s’agit de ce que l’on appelle un « groupe de Tell » , c’est-à-dire Guillaume Tell tenant son fils, le petit Walter, par la main. Ces figurines mesurent respectivement 88 et 47 cm de haut.

Oberländer Tagblatt – Journal de l’Oberland – 15.05.1915.

Karl Loder n’a pas pu jouir longtemps de sa grande renommée. Il est décédé de manière totalement inattendue le 11 mai 1915, à l’âge de 44 ans seulement, des suites d’une attaque cérébrale (Nécrologie du journal Der BUND – La Confédération du 14 mai 1915 ; voir également la Geschäftsblatt für den oberer Teil des Kantons Bern – Feuille d’avis du commerce pour la partie haute du canton de Berne, volume 62, numéro 58, du 15 mai 1915).

Dans le testament daté de 1911, son cousin Emil Loder (désigné comme céramiste ou peintre dans les actes du registre foncier) et ses frères (Ernst) Robert Loder (à l’époque potier) et Walter Loder (à l’époque ouvrier agricole) figurent comme principaux héritiers. Le testament, ouvert le 20 mai 1915, a été validé le 20 novembre 1915 par le conseil communal de Steffisbourg. Les parts de la fortune reçue par les trois frères ont été inscrites au registre foncier (RF Thun Bel. I 2880, 288). Le 12 novembre 1915 les héritiers s’étaient toutefois mis d’accord en rédigeant un contrat avec la veuve de Karl, Anna Loder-Eyer, pour lui céder, dans le cadre d’une renonciation à titre onéreux ou un dédommagement, l’ensemble de la propriété avec pertes et profits, arrêtés en date du 11 mai 1915. Le contrat mentionne qu’ils se feront verser les parts de la fortune qui en résultera lors du partage définitif de la succession (RF Thun Bel. I 2881). Le 28 décembre 1915, la radiation de la société « Kunsttöpferei Karl Loder-Eyer – Poterie artistique Karl Loder-Eyer » a été publiée dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC 33, 1915, 1763).

Anna Loder-Eyer, veuve, a vendu la poterie avec pertes et profits le 1er mai 1917 à la coopérative « Kunsttöpferei Steffisburg vormals Karl Loder-Eyer – Poterie artistique de Steffisbourg, autrefois Karl Loder-Eyer », fondée le 13 septembre 1915, qui deviendra plus tard la poterie d’art DESA à Steffisbourg (RF Thun Bel. I, 4118). La coopérative était déjà locataire de l’entreprise auparavant (RF Thun Bel. I, 4118). Celle-ci engagea Adolf Schweizer (1893-1967), de Steffisbourg, comme directeur technique et gérant. Adolf Schweizer avait fait un apprentissage à la manufacture Wanzenried et avait été formé dans la classe de céramique de l’Ecole des arts appliqués à Berne à partir de 1911 (Messerli 2009, annexe listes d’élèves), (nécrologie dans le Thuner Tagblatt – Journal de Thoune, 91, 8 décembre 1967, numéro 288).

Traduction Pierre-Yves Tribolet

Bibliographie:

Blom 1908
Oscar Blom, Die Förderung der Majolika-Industrie in Heimberg-Steffisburg-Thun durch das kantonale Gewerbe-Museum in Bern, in: Jahresbericht pro 1907 des kantonalen Gewerbemuseums Bern, 1908, 1-9.

Kiefer 1914
Georges Kiefer, 23: Gruppe: keramische und Glaswaren. Schweizerische Landesausstellung in Bern 1914, Fachberichte Band VI.

Marti/Straubhaar 2017
Erich Marti/Beat Straubhaar, C.A. Schmalz 1887-1966. Leben und Werk mit Pinsel, Stift und Lehm, Heimberg 2017.

Messerli Bolliger 1991
Barbara E. Messerli Bolliger, Der dekorative Entwurf in der Schweizer Keramik im 19. Jahrhundert, zwei Beispiele: Das Töpfereigebiet Heimberg-Steffisburg-Thun und die Tonwarenfabrik Ziegler in Schaffhausen, in: Keramik-Freunde der Schweiz, Mitteilungsblatt 106, 1991, 5-100.

Messerli 2009
Christoph Messerli, Von der Souvenir- zur Studiokeramik. Die Berner Keramik im 19. und 20. Jahrhundert. Lizentiatsarbeit, Institut für Kunstgeschichte des Universität Bern, Bern 2009.

Wyss 1966
Robert L. Wyss, Berner Bauernkeramik (Berner Heimatbücher 100-103), Bern 1966.