Schüpbach, canton de Berne, poterie Kohler

Schüpbach, vers 1928. 1 Emplacement de la première poterie dans la cave de l’auberge Kreuz, 1869-1879. 2 Poterie de 1879 à 1926. 3 Poterie Kohler, nouvellement construite de 1927 à aujourd’hui. Au nord du pont sur la rivière Emme se trouvent les quartiers « Bord » et « Fuhren ».

Andreas Heege, Andreas Kistler, 2023

Il s’appuie principalement sur le mémoire (en allemand : Seminararbeit) rédigé par Fanny Ruesch (1984) dans le cadre de ses études universitaires et sur les récits et informations orales données par Ulrich (Ueli) Kohler.

Céramiques de la poterie Kohler dans CERAMICA CH

Introduction – Les potiers de la commune de Signau

Schüpbach, dans l’Emmental (littéralement la vallée de l’Emme), fait partie de l’actuelle commune de Signau, dans le canton de Berne. En tant que village de potiers, Schüpbach a toujours été quelque peu éclipsé par Langnau, où un grand nombre d’ateliers de la famille des potiers Herrmann se trouvaient depuis le début du 18ème siècle.

Le premier potier de la commune de Signau est attesté en 1798, lorsqu’un certain Johannes Schüpbach de Schüpbach (1750-?) est inscrit au registre des citoyens helvétiques de 1798 avec la mention de son domicile à Signau (Rohrbach 1999, vol. 2, p. 701). Nous ne savons cependant pas où il avait son atelier. Les archives attestent qu’entre 1835 et 1848, un potier du nom de Christian Herrmann (1793-1851), originaire de Langnau, travaillait à Signau. Là encore, l’emplacement de l’atelier et la gamme de sa production sont inconnus (Heege/Kistler 2017, 90-91). Il en va de même pour le potier Jakob Ryser, dont on a des preuves de l’existence entre 1851 et 1864 (Archives de l’État de Berne, district de Signau B19 et B20). D’après les informations d’Ulrich Kohler, la poterie Ryser à Signau, située dans la maison Moser à la Dorfstrasse – Rue du Village 58, a existé jusqu’en 1920. Des membres de la famille ont ensuite travaillé chez Oswald Kohler et certaines machines de son atelier de poterie ont été reprises par les Kohler.

Les premiers potiers attestés sur le territoire de la commune de Schüpbach étaient les potiers Johann Liechti (1856 et 1860) et Carl Liechti (1860 et 1861, Archives de l’État de Berne, district de Signau B20).

Emplacement de la poterie démolie en 2022/2023 à Schüpbach, au lieux dits Fuhren ou Port/Bord ; carte basée sur Swisstopo, voyage dans le temps, datation de 1893.

Au moins pour Carl Liechti, le lieu de résidence indiqué est Schüpbach-Fuhren ou Schüpbach-Fuhren, Port (Bord). La poterie se serait donc trouvée sur la rive nord de la rivière Emme, en direction de Langnau. L’un des potiers Liechti était le maître d’apprentissage de Niklaus Kohler (voir ci-dessous).

Sur le site de Schüpbach-Fuhren, on trouve également des informations mentionnant le potier Johannes Lüthi (1859 et 1860, Archives de l’État de Berne, district de Signau B20). Peut-être y a-t-il donc eu brièvement deux ateliers de poterie dans ce quartier de Schüpbach, mais nous ne savons rien de leur histoire.

Johannes Lüthi, potier, est né le 2 février 1834 (toutes les informations suivantes proviennent de Daniel Dähler, de la commune bernoise de Wynigen, à 25 km au nord de Schüpbach, que nous remercions chaleureusement !). Ses parents, Johannes (prénommé comme lui) Lüthi, originaire de Lauperswil, à 6 km au nord de Schüpbach (être Suisse c’est être « originaire » d’une commune de la Confédération helvétique, où des membres de sa famille, parfois très lointaine, ont été « naturalisés ». La naturalisation en Suisse, consiste à recevoir un lieu d’origine. Ce lieu d’origine, aussi appelé «droit de cité», correspond à la commune où un citoyen a obtenu ce que certaines communes appellent « la bourgeoisie », qui n’a que de lointain rapport avec la bourgeoisie au sens de classe sociale) et Anna Barbara Riser, originaire de Sumiswald, à 15 km au nord de Schüpbach, vivaient à cette époque à Bowil (à 5 km au sud-ouest de Schüpbach, commune de Grosshöchstetten,  registres paroissiaux de Grosshöchstetten 10/94). En 1850, Johannes fils (le potier) a été inscrit comme résident à Signau (registres paroissiaux de la commune de Lauperswil 21/58). Le 1er juillet 1858, il épouse à Laufen (à 130 km au nord-est de Signau, canton de Zurich) Anna Gisel (1830-?), originaire de Wilchingen (canton de Schaffhouse, à 15 km à l’ouest de Laufen, registres paroissiaux de la commune de Lauperswil 21/58). Lors de l’inscription du mariage, la profession indiquée est «potier à Wilchingen». Le 24 octobre 1858, ils baptisent à Wilchingen leur première fille Elisabeth (registres paroissiaux de Lauperswil 17/93). Ils ont ensuite baptisé leur deuxième enfant, Johann Willibald, le 9 décembre 1859 à Signau, canton de Berne, Johannes étant alors désigné comme « potier résident à  Schüpbach- Fuhren » (registres paroissiaux de Lauperswil 171/110). Mais Johannes n’y resta que peu de temps. Le 13 juillet 1860, Niklaus Schärer, charpentier habitant « la petite maison du gardien » à Wynigen, à 25 km au nord de Schüpbach, a vendu après la mort de son fils Jakob « LA MAISON D’HABITATION RECONSTRUITE PAR LUI-MÊME AVEC LA POTERIE  à l’extérieur du village de Wynigen, … avec le droit à la moitié de l’eau du puits qui s’en écoule. Il a, en outre, vendu le terrain sur lequel se trouvait le bâtiment, ainsi que le jardin devant celui-ci, le tout représentant environ ¼ de pose (La pose était autrefois en Suisse la principale unité de surface pour les terres arables. Elle correspondait approximativement à la superficie qu’un laboureur pouvait travailler en un jour et variait selon la nature du terrain; La pose atteignait 41-62 ares dans les plaines ; donc ici environ 1300 mètres carrés) … » le 13 juillet 1860 à Johannes Lüthi, originaire de Lauperswil, à une vingtaine de km au sud de Wynigen, domicilié comme potier à Schüpbach près de Signau (registre foncier de Wynigen 15/322). Johannes Lüthi n’a apparemment pas été satisfait  son achat de la maison du potier à Wynigen, car il l’a revendue le 16 décembre 1861 aux frères Jakob et Ludwig Althaus, originaire de Schwarzenegg, canton de Berne, potiers à Langnau (registre foncier de Wynigen 15/554 ; sur les potiers Althaus, voir Heege/Kistler 2017, 186-187). Lui-même est apparemment retourné avec sa famille à Wilchingen  canton de Schaffhouse, où le « potier de Wilchingen (sic) » a fait baptiser le 3 janvier 1864 une fille du nom d’Anna (registres paroissiaux de Lauperswil 17/166).

En ce qui concerne la partie méridionale du village de Schüpbach, nous avons les premières preuves de poterie datant des années 1865 et 1866 (potier Lehmann, Archives de l’État de Berne, district de Signau B20), 1867 et 1868 (potier Gottlieb Wüthrich, Archives de l’État de Berne, district de Signau B20) et 1868 et 1869 (potier Christian Bieri,  Archives de l’État de Berne, district de Signau B20). Nous ne connaissons ni la durée d’activité ni l’emplacement de ces poteries. D’après les souvenirs de la famille Kohler, l’une de ces entreprises se trouvait peut-être à l’adresse actuelle de la  Hauptstrasse – Rue centrale 17 à Schüpbach.

Sur la base des documents d’archives et des informations parues dans les journaux (voir ci-dessus : Scheibenarbeiter – tourneur ; Hafner – potier), on peut affirmer que le maître potier Fr. Dällenbach (1864-1937) est attesté à Schüpbach entre 1898 et 1937 (Archives de l’État de Berne, district de Signau B 754, B 755). Selon la famille Kohler, sa poterie se trouvait au lieu-dit «Im Schachen», Schachenweg 5.

Le potier Jakob Berchtold apparaît dans des annonces de journaux et d’autres archives entre 1902 et 1908 (Archives de l’État de Berne, district de Signau B 755). Selon la famille Kohler, cette poterie se trouvait au 43 de la Eggiwilstrasse et aurait cessé son activité vers 1935 (Ruesch 1984, 1).

La poterie Kohler à Schüpbach

Niklaus et Marianne Kohler et leurs enfants ; Schüpbach, avant 1922 (photo Ulrich Kohler, Schüpbach).

Niklaus Kohler (1843-1927), qui, selon la tradition familiale, aurait créé sa poterie à Schüpbach en 1869, ne semble apparaître dans les archives qu’en 1891, puis en 1904/1905 en raison de l’activité des compagnons potiers actifs dans sa poterie (Archives de l’État de Berne, district de Signau B 753, B 755), mais on en connaît beaucoup plus grâce aux travaux de Fanny Ruesch (Ruesch 1984).

Arbre généalogique des familles Kohler-Gerber-Aebi (Malerin – femme peintre ; Hafner – potier, Hafnerei – poterie)

La famille Kohler est originaire de Landiswil, à une dizaine de km au nord-ouest de Schüpbach, canton de Berne, (Registre des citoyens du canton de Berne, institué par décret du gouvernement cantonal bernois le 9 septembre 1822, abrégé ci-après RC, section de Landiswil, 4, 21). Niklaus Kohler (1843-1927, RC Landiswil 5, 616), le premier potier, est né et a grandi à Langnau, village de tradition potière à 7 km à l’est de Schüpbach, dans une famille pauvre. Il est le fils d’un chevrier. Selon la tradition familiale, il a fait son apprentissage chez le potier Liechti à Schüpbach (probablement à Schüpbach-Fuhren), après avoir déjà effectué un apprentissage de brasseur de bière à l’auberge « Löwen – Au lion d’or» à Langnau ; auberge toujours en activité.

Il s’établit à Schüpbach avant 1869 et installe d’abord son atelier de poterie dans une cave de l’actuelle auberge « Kreuz – La Croix» à Schüpbach, Eggiwilstrasse 1 (Ruesch 1984, 9). Le 6 juillet 1866, il épouse Marianne Salzmann, originaire de Signau, connue dans la région comme « guérisseuse ». D’après les souvenirs de la famille, elle n’a pas travaillé dans l’entreprise en tant que peintre. La poterie est restée à cet endroit pendant environ 10 ans. La famille vivait dans la même maison. Vers 1879, Niklaus Kohler a acheté une ancienne tannerie dans le quartier du canal de Schüpbach (anciennement Eggiwilstrasse 81, aujourd’hui Eggiwilstrasse 11).

La poterie à Eggiwilstrasse 11, dessinée par Oswald Kohler en 1929, avec la mention « Mein Geburthaus – Ma maison natale ».

En plus de l’atelier, la maison comprenait également une petite écurie et une grange. Dans la maison voisine, de l’autre côté du canal de Schüpbach (anciennement Eggiwilstrasse 80, aujourd’hui Eggiwilstrasse 9), se trouvait à l’époque un moulin à glaçure. C’est là que Niklaus Kohler se procurait ses émaux. À cette époque, Niklaus Kohler extrayait l’argile dans la région de la commune d’Eggiwil, près du lieu-dit « Gäumenhüsi », à 7,5 km au sud de Schüpbach. Les pièces mal cuites étaient généralement jetées dans l’Emme.

Au début du 20ème siècle, quatre familles ont vécu sporadiquement dans la maison située au 11 de la rue Eggiwil, à côté des familles de Niklaus et Oswald Kohler. On relève, entre autres, la présence de la famille du potier Adolf Gerber et Marie Kohler. Le problème majeur de cette propriété était le niveau très élevé de la nappe phréatique, qui affectait apparemment régulièrement le four et son socle, entraînant des pertes considérables de matériaux destinés à la cuisson. Les plans visant à surélever le four n’ont finalement pas été réalisés.

Quatre barolets, signés et pour certains datés, provenant des débuts de la poterie ont été conservés

Un égouttoir et un récipient à saindoux avec son couvercle emboîtable datent probablement de l’époque de Niklaus Kohler.

Inscription : Römer und Helvetier zur Zeit des Pfahlbauten – Les Romains et les Helvètes à l’époque des palafittes( c’est-à-dire au Néolithique ou à l’Âge du bronze).

La famille de potiers Kohler a conservé une grande assiette qui, avec son décor floral  de violettes et de  tulipes et le fait qu’un engobe de fond blanc recouvre un engobe de fond brun foncé, rappelle encore les traditions de Heimberg des années 1860 à la fin des années 1870. Cependant, le dos est glaçuré d’un jaune-vert inhabituel, ce qui rend difficile la datation de la pièce (années 1880/1890 ?). Si on se réfère à la tradition familiale, cette pièce est attribuée à Oswald Kohler, père (1886-1955), mais pour des raisons chronologiques, elle aurait plutôt dû être créée à l’époque de Niklaus Kohler. De plus, le bras tendu d’Helvetia, la figure allégorique féminine personnifiant la Confédération suisse, rappelle le motif habituel de la pièce de monnaie frappée entre 1850 et 1874, qui représentait Helvetia assise, le bras tendu, et non celui d’Helvetia debout, tenant une lance et un bouclier, qui fut frappé à partir de 1874/1875. La période de l’engouement pour les palafittes se situe également dans les années 1870.

Niklaus Kohler et Marianne Salzmann eurent onze enfants, dont seul Oswald Kohler (1886-1955) suivit les traces de son père. Une sœur célibataire travaillait cependant dans la poterie. La sœur d’Oswald, Marie (1882-1935), épousa le 11 mai 1904 l’apprenti potier Adolf Gerber (1879-1951) de Hasle. Oswald Kohler (1886-1955) fit son apprentissage dans l’entreprise de son père et ne fréquenta jamais d’école professionnelle. Sa seule formation consista à suivre les cours de dessin dispensés par Paul Wyss (1875–1952), enseignant à l’Ecole des arts et métiers de Berne, qui s’est beaucoup investi pour redonner vie à l’artisanat de la poterie.

À partir de novembre 1909, Paul Wyss a également formé des potiers et des peintres sur céramique à Langnau (cours de dessin). Dans un résumé biographique rédigé à l’occasion de son 60ème anniversaire, il est explicitement fait référence au fait que des potiers de Langnau, Schüpbach, Grünenmatt et Oberburg, quatre villages situés principalement le long de l’Emme, sur une distance de 35 km, ont participé à ses cours (Messerli 2017, 93).

Intelligenzblatt – Bulletins d’information de la ville de Berne des 16 et 25 août 1910.

Malheureusement, aucun nom n’est mentionné dans ce résumé, mais les contacts et les produits qui ont suivi nous permettent de supposer qu’il s’agit, entre autres, d’employées, d’enfants, d’apprentis ou de maîtres potiers des poteries Gerber à Hasle, Gerber à Grünen près de Sumiswald, Kohler à Schüpbach, Mosimann à Oberburg ainsi que Röthlisberger, Aegerter et Werthmüller à Langnau (cf. Heege/Kistler 2017, tableau des potiers).

En 1909, Oswald Kohler (1886-1955) reprend l’atelier de Schüpbach en fermage avec son beau-frère Adolf Gerber (1879-1951). Mais en 1911, ils se séparent, probablement pour des raisons de place, et Adolf Gerber reprend l’atelier de Langnau, situé au numéro 3 de la Güterstrasse.

Quelques objets en céramique datant de cette période d’activité en commun (de 1909 à 1911) ont été conservés. Ils illustrent très bien l’influence de Paul Wyss.

 

Une cruche, avec marque et datée de 1910, qui se trouve aujourd’hui dans la collection Werner Gut (KunstGut), à Triengen, est remarquable.

Inscription : Wenn nur der Weisswind käm und meine Frau weg nähm –  Si seulement le vent du nord venait et emportait ma femme. Anno 1911

Dessin non daté, archives de la poterie Kohler.

Inscription : Jüngling liebst du Freud und Ruh : so eile  nicht dem Esland zu – Jeune homme, tu aimes la joie et la paix : ne te précipite donc pas vers l’enfer – Anno 1911

Dessin non daté, archives de la poterie Kohler.

Quelques rares céramiques ont été conservées de la période où Adolf Gerber et Oswald Kohler ont travaillé ensemble (de 1909 à 1911).

Inscription : Micheli Schüpbach von Langnau : genannt der Arzt von Berge – geboren in Biglen 1707 gestorben 1781 in Langnau – Inscription : Micheli Schüpbach de Langnau, surnommé le médecin des montagnes, né à Biglen en 1707, mort à Langnau en 1781.

Assiette non marquée, probablement de l’atelier Kohler/Gerber, 1909-1911, accompagnée d’un croquis provenant des archives de la poterie Kohler.

Roulettes en laiton pour la réalisation de marquages en créneaux. Dans l’atelier d’Adolf Gerber à Hasle ou à Langnau ainsi dans l’atelier commun de Gerber et Kohler à Schüpbach, on décorait avec ces outils les bordures des talons de la face arrière (voir l’assiette de 1911 ci-dessus) et, plus rarement, les bordures de la face visible.

Les influences de Paul Wyss sont bien visibles dans l’œuvre d’Oswald Kohler, père, et sont documentées par divers dessins de projets conservés dans la poterie. Il est difficile de savoir quels projets ont été conçus par Wyss et lesquels par Oswald Kohler ou Adolf Gerber, en raison de l’absence de signatures. Il est également possible que de nouvelles créations aient été réalisées d’après des idées ou des modèles de Paul Wyss.

Inscriptions :

Assiette de gauche : Friede ernaert ; Unfriede zerstört – La paix renforce ; la discorde détruit

Assiette de droite : Silvia und Stefan Schär-Rindlisbacher – zur Hochzeit 1998 – Musikgesellschaft Schüpbach – Silvia et Stefan Schär-Rindlisbacher – pour leur mariage en 1998 – Société de musique de Schüpbach

On voit que des croquis datant de 1909 ont encore été utilisés en 1998 pour le décor de l’assiette de droite (archives de la poterie Kohler).

La Première Guerre mondiale fut une période de crise pour l’atelier Kohler, car Oswald Kohler a été appelé à plusieurs reprises au service militaire pour défendre les frontières et l’atelier ne rapportait rien sans compagnon présent. Bertha Lüthi (1884-1933), l’épouse d’Oswald Kohler, avait donc beaucoup de mal à subvenir aux besoins de sa famille avec deux jeunes enfants (Hans, né en 1909 et Oswald, né en 1914). En 1920, Oswald Kohler reprit l’entreprise de son père Niklaus. De 1925 à 1933, Oswald a été membre du conseil d’administration de l’Association bernoise des maîtres potiers (FOSC Feuille Officielle Suisse du Commerce 48, 1930, 2401 ; 53, 1934, 60) aux côtés de Johann Röthlisberger de Langnau, Adolf Schweizer de Steffisbourg et Franz Aebi de Hasle. À cette époque, Gottfried et Fritz Hänni, de Heimberg, étaient respectivement président et vice-président. Oswald extrayait son argile dans la commune d’Eggiwil, au lieu-dit la «Mosmatt».

La poterie Kohler, Eggiwilstrasse 15, Schüpbach en1927. Devant la maison se tiennent Niklaus Kohler et Franz Kohler, ainsi que Hans Kohler et Bertha Kohler-Lüthi avec leur fille Erna Kohler dans les bras.

ers 1925, on a commencé à planifier la construction d’un nouvel atelier de poterie. En 1926, la construction d’un nouveau bâtiment sur le terrain actuellement situé à la Eggiwilstrasse 15 a débuté. L’atelier de poterie a finalement été achevé en 1927. Il était situé au rez-de-chaussée, au-dessus duquel se trouvaient les pièces d’habitation et une partie de l’étable, attenante à la porcherie.  L’appartement à l’étage était accessible par un escalier à l’arrière du bâtiment qui était partiellement excavé afin de bénéficier d’une cave. Le stockage et le traitement de l’argile se faisaient dans cette cave. La disposition de la maison correspondait à celle des maisons de potiers typiques, comme on en trouve à Heimberg et à Steffisbourg. Une petite boutique était aménagée côté rue. Cependant, la vente se faisait principalement par l’intermédiaire d’intermédiaires et de colporteurs, qui emportaient souvent des marchandises de second choix.

À une date inconnue, Oswald Kohler s’est fait fabriquer un tampon marqueur qui a été conservé dans son état d’origine, mais dont l’utilisation  n’a pu être réellement prouvée que sur très peu de céramiques.

 

Les ours peints au pochoir sur des pots à lait, des terrines et des pots à tabac sont particulièrement caractéristiques de la poterie de cette époque (vers 1930).

 

Bertha Lüthi (1884-1933), l’épouse d’Oswald Kohler, est décédée en 1933. Oswald Kohler (1886-1955)  a épousé plus tard Ida Ramseier (1905-1987), qui était entrée dans la famille comme femme de ménage après la mort de Bertha.

Après 1920, la poterie Kohler a travaillé autant que possible sans personnel externe, tandis que tous les enfants du premier mariage (Hans, Oswald, Franz, Erna et Bertha) ont travaillé, au moins temporairement, dans l’entreprise sous une forme ou une autre. Hans devint plus tard agriculteur. Les deux plus jeunes fils issus du second mariage avec Ida Ramseier (1905-1987), Niklaus (1942-?) et Rudolf (1947-?), devinrent respectivement mécanicien et employé de commerce.

Inscription : Wenn des Vogel fliegt auf einem Baum fangt er an zu pfeifen – Quand l’oiseau s’envole de son arbre, il se met à siffler. Anno 1931

On ne trouve pratiquement plus de céramiques datées des années 1930. L’exemple ci-dessus est donc rare.

En octobre 1935, la poterie Kohler participe au deuxième Marché potier organisé au Musée des arts et métiers de Berne.

En 1935, le premier tour de potier électrique a été acheté pour l’entreprise après la liquidation de la poterie Karl Hodel, située à l’Alte Bernstrasse – Ancienne rue de Berne 135 à la Gare de Steffisbourg (1907-1936). Au fil du temps, deux autres tours électriques ont été ajoutés.

En 1938, la poterie Oswald Kohler est répertoriée dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC 56, 1938, 2357).

En 1938, un hangar supplémentaire a été construit sur le côté nord pour le traitement de l’argile. Toutes les machines et tous les équipements ont été achetés à la coopérative des potiers de Steffisbourg, qui avait fait faillite, pour un montant de 5 000 francs (prix neuf : 13 000 francs). Cette installation est restée en service jusqu’en 2013 (film sur la préparation de l’argile de 0:23 à 3:05 – en allemand).

Préparation de l’argile, état avant 1984 (d’après Ruesch 1984).

Avant l’achat du broyeur à tambour, le traitement de l’argile dans l’atelier de la poterie Kohler était très laborieux. Jusqu’à la fin des années 1920, l’argile était traitée dans l’atelier uniquement à la force des bras. On empilait deux types d’argile de qualité différente et on piétinait la masse d’argile avec des sabots jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment mélangée. Ensuite, on battait les morceaux d’argile sur une table placée dans la cave pour en extraire l’air. Puis on empilait l’argile et on la découpait en fines tranches à l’aide d’une faucille, en éliminant les impuretés les plus grossières (pierres et racines). Enfin, l’argile était passée à la main dans un « cylindre à lisser » au rez-de-chaussée. Cela permettait d’éliminer les derniers petits cailloux. L’argile finie était stockée dans la cave à argile, où elle pouvait « pourrir ». Avant d’être utilisée, elle était à nouveau humidifiée, malaxée (désaérée) et divisée manuellement en portions propre aux différents tournage. Au fil des ans, les quantités d’argile ont été équilibrées le plus précisément possible pour chaque objet afin de réduire le travail de tournage.

Avant 1938, on achetait aussi régulièrement de l’argile prête à l’emploi. En 1949, on mélange 2/3 d’argile bleu-gris provenant de la région de Sumiswald, canton de Berne, à 15 km au nord de Schüpbach, avec 1/3 d’argile rouge provenant de Herbligen, canton de Berne, à 20 km au sud-ouest de Schüpbach. À partir de 1980, on a utilisé de l’argile bleue d’Eggiwil, canton de Berne, à 7,5 km au sud-est de Schüpbach, du lieu-dit « Hindten Grosstannen – derrière les grand sapins » (70 %) et de l’argile rouge sans calcaire de Dättnau, canton de Zurich, à 120 km au nord-est de Schüpbach (20 %). En plus, on ajoutait en plus petites quantités 5 % de sable de boue à forte teneur en calcaire (pour éviter les fissures dans la glaçure), de la poudre de mica (en particulier le minéral leucophyllite, appelé actuellement aluminocéladonite pour augmenter la résistance aux fissures à haute température) et des déchets d’argile.

Avant la Seconde Guerre mondiale, on achetait les glaçures principalement à Meissen, dans la Saxe allemande, puis on s’est tourné vers des fournisseurs tchécoslovaques. Dans les années 1980, il existait cinq recettes différentes pour la fabrication de la glaçure, qui permettaient toutes d’obtenir un revêtement transparent. La préparation pour la glaçure, obtenue parfois après concassage dans un broyeur à tambour spécialement dédié à cette tâche et actionné au sein même de la poterie Kohler, était conservée dans des tonneaux. Cette glaçure était généralement versée sur les céramiques ; plus rarement, les céramiques étaient immergées dans de petits récipients contenant la glaçure ou on appliquait la glaçure au pistolet..

Inscription : Generalmobilmachung des schweizerischen Armee – 3. Division – Mobilisation générale de l’armée suisse – 3ème division – 2 septembre 1939

Malgré la conjoncture en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, l’économie de guerre mise en place a assuré des opportunités de vente. A la même période, les filles d’Oswald Kohler étaient devenues peintres, de sorte que l’atelier de peinture avait besoin de plus d’espace.  En 1943, la poterie a donc été agrandie par l’ajout d’une aile à l’arrière, doublant ainsi sa superficie (partie de droite de la photo ci-dessus).

Plan du sous-sol, avant 1984 (Fanny Ruesch 1984). Inscriptions : Topferei Kohler, Schüpbach ; Untergeschoss ; Lager ; Fechthalte Raum ; Trommel Mühle ; Ton Schneider ; Ton Keller – Poterie Kohler, Schüpbach ; sous-sol ; entrepôt ; salle de stockage ; moulin à tambour ; découpeur d’argile ; cave à argile

Grundriss Erdgeschoss, vor 1984 (Fanny Ruesch 1984).

Un entrepôt a été aménagé dans la cave et l’atelier a été déplacé dans cette nouvelle aile. La cuisson se faisait toujours dans des fours à bois verticaux et rectangulaires, typiques de la région. Le four de Kohler contenait environ 5 m3 de bois. Dans la partie basse du four, on plaçait généralement des pots de fleurs, alors que les produits de meilleure qualité étaient placés plus haut. Une cuisson consommait quatre stères (4 m3) de bois et durait 14 heures. On cuisait surtout par temps de bise (en Suisse, vent froid du nord-est), mais jamais par temps de foehn (en Suisse, vent sec et chaud du sud) à cause de la formation de cendres volatiles. Pour éviter la contamination par ces cendres volatiles, les formes céramiques plates telles que les assiettes et les plats à rösti (le rösti est une galette de pommes de terre, typique de la Suisse alémanique –  les plats à rösti, sont des plats en terre cuite d’un diamètre d’environ 30 cm, avec un bord à collerette, typique de la région potière de Heimberg-Steffisbourg), étaient placées verticalement en « tubulairement » (alignées les unes à côté des autres, elles formaient comme un cylindre) dans le four.

Contrairement à leur père Oswald, les deux fils Oswald, junior/fils (1914-2003) et Franz (1921-1998) ont fait l’expérience d’autres ateliers de poterie après leur apprentissage et leurs cours de formation à l’école spécialisée de céramique de Berne.

Pièce d’examen réalisée pendant son apprentissage de tourneur par Oswald Kohler, fils, à l’école spécialisée de céramique de Berne au semestre d’hiver 1932/33. Elle a peinte (décorée) par un(e) autre peintre sur céramique, inconnu(e).

Dans les années 1930, Oswald Kohler a travaillé pendant une longue période chez Robert Gottfried Hänni (1900-1947) ( Hafner – potier/céramiste – Töpfer – potier ; Gemeinderat – Conseiller de commune) à la Alte Bernstrasse 161 à Steffisbourg, où il a appris à peindre au barolet. Il a ensuite transmis cette compétence à ses sœurs Bertha et Erna. Erna a également suivi une formation de courte durée à l’école de céramique de Berne et a été influencée par les techniques de peinture et les décors d’une certaine Mme Fischer, peintre sur porcelaine, qui travaillait souvent dans l’atelier (sans y être employée).

Des céramiques de Franz Kohler, avec ce décor hachuré des poteries ci-dessus et datant de 1938, alors qu’il était en deuxième année d’apprentissage (en allemand 2. Lehrjahr), ont été conservées. Ce type de structuration de surface a été produit dans son atelier de poterie jusque dans les années 1970.

La pièce d’examen (en allemand Prüfungsstück) de fin d’apprentissage de Franz Kohler, datant de 1940, ressemble presque déjà  aux céramiques des années 1950.

Franz Kohler est parti à Lucerne en 1944 pour une courte période, probablement pour travailler dans l’atelier Kunstkeramik Luzern A.G – Céramique artistique, Lucerne S.A. Il a cependant dû interrompre rapidement sa formation continue en raison de la jaunisse de son père. Pendant un certain temps, il a également travaillé à la poterie Willy Lanz à Gwatt près de Thoune, où il a surtout appris à cuire dans un four électrique. Il a ensuite travaillé quelque temps dans l‘atelier Meister à Dübendorf, où il a appris la fabrication mécanique d’assiettes et l’utilisation d’une cabine de pulvérisation de glaçure céramique (Ruesch 1984, 7). En outre, il a travaillé d’octobre 1945 à février 1946 pour la société Albert Hans «Hans-Keramik» (fondée en 1945), où il a appris la fabrication de moules en plâtre. En 1948, il épouse Martha Liechti (1923-2018) à Signau. Ils emménagent dans un premier appartement au-dessus de l’atelier construit en 1943. Martha Kohler-Liechti est couturière de formation et n’avait aucun lien avec la fabrication de céramique avant son mariage. Dans l’entreprise, sa tâche principale consistera à vendre les produits dans le magasin.

Le 1er avril 1946, Oswald et Franz Kohler reprennent l’atelier de leur père et fondent la société « Gebrüder Kohler – Kohler frères». Cette cession d’entreprise est inscrite au Journal officiel suisse du commerce (FOSC 64, 1946, 1850). Oswald Kohler père continuait de s’occuper de la cuisson, Oswald fils du tournage et Franz du service extérieur, de la correspondance et du traitement de l’argile.

En 1946, un premier four électrique de la marque BBC est acheté. Il sera utilisé jusqu’en 2013. En 1947, l’atelier est agrandi avec une cabine de peinture. En 1952, la première voiture de l’entreprise sera une Mercedes. Elle permet notamment d’améliorer la qualité de service à la clientèle. Quelques photos de l’atelier datant de cette époque, vers 1946, ont été conservées.

1946, Oswald Kohler, fils, en train de tourner des vases.

1946, Bertha et Erna Kohler en train de décorer des céramiques dans l’atelier de peinture.

A l’occasion du 80ème anniversaire de la création de l’atelier, un reportage richement illustré sur la poterie Kohler a été publié, en allemand, dans le magazine dédié à l’art patrimonial «Der Hochwächter – La Haute-Garde » (Schnellmann 1949).

Ces céramiques commémoratives nous donnent une idée de la production de l’année 1949 (celle du haut avec motif d’asters, celle du bas avec ses motifs gravés dans le style « Sgraffito » sur un engobe de fond dite « à la limaille » – voir plus bas).

C’est sans doute dans ce but que différentes photos à but médiatique ont été prises et, pour certaines d’entre elles, publiées :

1949, Oswald Kohler junior en action sur le tour de potier.

1949, Oswald Kohler, junior, et l’apprenti Willy Wüthrich lors du façonnage des anses dont les cordons d’argile sont produits à l’aide d’une presse à anses, un gabarit permettant d’obtenir la section souhaitée.

1949, Franz Kohler emmène des céramiques décoratives devant la maison pour les faire sécher.

1949, Franz Kohler en train de glaçurer une céramique séchée (on dit en allemand « lederharten «  – « avec une consistance de cuir dur », en français : « dégourdi ») à l’aide d’une louche à glaçure en bois.

1949, Erna Kohler (qui deviendra plus tard Erna Schröter-Kohler) peint avec un barolet une terrine comportant un décor gravé préalablement réalisé dans le style « Vieux-Langnau ». Devant elle, sur la table, se trouvent des pinceaux et divers ustensiles pour la peinture.

1949, Oswald Kohler senior retire les céramiques du four électrique (remarquez les assiettes disposées » tubulairement » et placées verticalement). Dans les années 1980, dans la poterie Kohler, certains types de céramiques de table étaient encore cuites en une seule fois, c’est-à-dire sans cuisson de dégourdi ou biscuit. Pour des raisons de coût, la cuisson était effectuée de nuit, lorsque les tarifs de l’électricité étaient plus avantageux. Pour la cuisson des pièces glaçurées, on utilisait des températures comprises entre 960 et 970 degrés Celsius.

En 1955, Oswald Kohler senior légua par testament l’entreprise à son fils Franz, car Oswald junior était resté sans enfant. Oswald junior changea alors d’entreprise et entra dans la société Rössler à Ersigen dans l’Emmental bernois, à 25 km au nord de Schüpbach.

Ainsi, la société « Gebrüder Kohler – Kohler frères » a été dissoute le 1er janvier 1956 et Franz Kohler en est devenu l’unique propriétaire (FOSC 74, 1956, 474). Oswald junior revint toutefois dans l’entreprise en 1959 et y travailla jusqu’à sa retraite en 1979. En 1980, Franz Kohler exploitait encore lui-même une carrière d’argile dans la commune d’Eggiwil, sur le site « Hindten Grosstannen – derrière les grands sapins» à 7,5 km au sud-est de Schüpbach. Franz Kohler fut également membre du comité directeur de l’Association des maîtres potiers bernois pendant un certain temps.  Ses principales tâches dans la poterie était l’administration (comptabilité, réception des commandes et livraison des marchandises, gestion de l’entrepôt, cuisson des céramiques, achat des matériaux et préparation de l’argile). Les membres de la famille et les tourneurs employés dans l’atelier effectuaient tous les travaux nécessaires à la fabrication des pièces, y compris le tournage, la mise en forme des anses, l’engobage et le glaçage. La glaçure au pistolet était effectuée par les apprenties.

Chez les femmes peintres, le principe était que toutes devaient être capables d’effectuer tous les travaux. Dans la réalité, il existait toutefois des différences entre les peintres quant aux techniques décoratives ou aux motifs qu’elles préféraient réaliser. Divers outils caractéristiques ont été conservés de l’atelier de peinture :

Outils pour la réalisation du décor « Vieux-Langnau » : stylets pour la réalisation du décor gravé, roulettes dentées pour la réalisation du décor guilloché, typique de Langnau et barolets. Les pinceaux, évidemment également nécessaires, ne figurent pas sur cette photo.

Les enfants de Franz Kohler et Martha Kohler-Liechti, Ulrich « Ueli » (1949-), Dora (1951-), Werner (1955-) et Eduard (1960-) ont tous suivi une formation de céramistes. Ulrich n’est toutefois devenu potier qu’après une deuxième formation, avant de reprendre la poterie de son père Franz en 1987.  Werner a suivi une formation de céramiste dans l’entreprise, mais s’est ensuite orienté sur une autre voie. Eduard a fréquenté l’école professionnelle de céramique de Berne et s’est spécialisé dans la production de grès après avoir séjourné à l’étranger, notamment en France. Dora a été formée comme peintre sur céramique dans l’entreprise familiale et a ensuite travaillé à la fabrique de céramique Kohler à Bienne. Elle est aujourd’hui agricultrice.

La production de l’atelier de poterie

Selon Oswald Kohler senior et Franz Kohler, l’évolution de la production de la poterie Kohler se divise en deux grandes phases. Jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, la fabrication de vaisselle simple, peu décorée et presque jamais marquée domine en termes de quantité. De cette époque, il n’existe donc pratiquement aucune pièce de musée qui puisse être identifiée et attribuée à la poterie Kohler.

Ce grand bol, engobé et glaçuré, utilisé alors dans l’atelier, devrait, en raison de son décor à rayures horizontales, provenir de l’époque où Niklaus Kohler travaillait dans l’atelier, c’est-à-dire avant 1920.

C’est uniquement grâce à un pot à lait marqué que nous savons que ce type de céramique, décorée au pochoir, a été fabriqué à Schüpbach dans les années 1920/1930. La soupière non marquée a été donnée par la poterie Kohler au Musée des traditions populaires de Trubschachen, qui se trouve à une dizaine de km à l’est de Schüpbach.

Entre les années 1930 et 1970 environ, l’atelier fabriquait de la « vaisselle ordinaire », décorée au pinceau de trois motifs simples : des roses, des asters et une « guirlande de fleurs en forme de couronne ».

1930-1970 : variations sur les motifs floraux : « aster » et « guirlande de fleurs en forme de couronne ».

 

La céramique blanche, également appelée « vaisselle à bord bleu », constituait dans les années 1940-1950 l’essentiel de l’offre destinée aux ménages modestes. Elle comprenait principalement des cruches à lait et des plats à légumes – et était encore fabriquée en 2023 par Ulrich Kohler.

Le pot-à-lait ci-dessus, avec ce décor à la « guirlande de fleurs en forme de couronne », a été fabriqué vers 1983. La poterie Kohler produisait ce décor sur des pots à lait d’une contenance de ¼ à 4 litres, ainsi que sur des plats à légumes et des tasses avec leurs soucoupes.

Ci-dessus, des cafetières avec un décor appelé « Motif Berna » ; période de production : environ 1940-1980 (création d’Oswald Kohler, junior).

Motif « bordure edelweiss », période de production : environ 1940-1980 (ce décor était également disponible en rouge).

Fort de son expérience comme compagnon à Steffisbourg, Oswald Kohler junior s’est également chargé de la fabrication d’une vaisselle avec un décor glaçuré en blanc, bleu, rouge et brun, qui a été produite à partir des années 1940 environ jusqu’en 1980. La céramique avec un engobe de fond bleu et un décor d’edelweiss était principalement livrée aux boutiques de souvenirs de l’Oberland bernois.

Entre 1945 et 1960 environ, la vaisselle dite « Gerzensee », du nom d’un village touristique suisse situé à 25 km au sud-ouest de Schüpbach, était fabriquée avec un décor peint au pinceau très élaboré. Elle devait son nom à un client important de Gerzensee. Avec son engobe de fond de couleur crème à ivoire et son décor peint au pinceau très fin, elle rappelle les décors « Vieux-Beromünster » (une des 9 faïenceries suisse du 18ème siècle était établie, de 1769 à 1847, sous la direction d’Andreas Dolder (1743-1823) puis de son fils  Ludwig (1773-1851), à Beromünster, canton de Lucerne, à une soixantaine de km de Schüpbach), de la Manufacture Céramique artistique, Lucerne S.A.

Inscription sur l’assiette du bas : Es gibt verschiedene Kleider in der Welt – Seidene und zwilchene aber nur ein Menschenherz – Il existe différents types de vêtements dans le monde – en soie et en coton, mais il n’y a qu’un seul cœur humain.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’activité s’est progressivement orientée vers la fabrication de céramiques  « à la mode » et « décoratives ». La description de l’atelier datant de 1949 (Schnellmann 1949) donne un petit aperçu de la production de l’époque.

Inscription sur l’assiette ci-dessus : Gesund sein und frieden haben, sind zwei schöne Himmelsgaben – Être en bonne santé et vivre en paix sont deux beaux cadeaux du ciel.

Depuis la fin des années 1940, la poterie Kohler produisait une vaisselle décorative appelée « Neapelgelb – Jaune de Naples » (décor gravé et peint) avec un décor dit « à la limaille de fer  – voir : décor moucheté » (sur un décor gravé), qui a ensuite été remplacée par la vaisselle dite « Vieux-Langnau ».

Décor « Jaune de Naples ».

La teinte « jaune de Naples » était obtenue avec une deuxième couche d’engobe, tandis que la couleur jaune vif du  « décor à la limaille » était obtenue en ajoutant à la glaçure de la poudre de fer provenant de la forge du village. Pour obtenir la teinte « décor à la limaille » les céramiques comportait généralement une couche d’engobe foncé sous une couche d’engobe blanc ( voir : décor avec double engobe de fond).

Décor dit « à la limaille » : glaçure jaune vif sur un motif gravé, daté de 1948.

Décor dit « à la limaille », glaçure jaune vif sur une double engobe de base – blanc sur noir – avec un motif gravé, daté de 1958.

La céramique au motif « Vieux-Langnau » a été particulièrement prisée pendant des décennies. Il s’agissait du type de céramique le plus complexe fabriqué par la poterie Kohler. Le décor est composé, en principe, de motifs stylisé de végétaux traditionnels du village potier de Langnau im Emmental, datant de la première moitié du 18ème siècle, dont les éléments de base sont la tulipe, la drave printanière en forme de rosette et le cœur de Marie. Des feuilles et des bourgeons étaient combinés. Les motifs étaient répartis en bandes ornementales concentriques ou peints sous forme de bouquets compacts au centre des assiettes et des plats (voir les carnets de croquis ci-dessous).

Une assiette à rösti avec le motif « Vieux-Langnau » (2013)

Les carnets de croquis de la poterie Kohler

Sur les assiettes murales, le décor « Vieux-Langnau » pouvait également être associé à des dictons moralisateurs ou humoristiques. La renaissance des anciens motifs de Langnau est le fruit des efforts conjoints d’Adolf Gerber, d’Oswald Kohler senior et de l’enseignant d’arts appliqués Paul Wyss.

Croquis pour des assiettes patriotiques. Ils seront apposés sur le fond des assiette, les ailes étant décorées de motifs « Vieux-Langnau » ; après 1950.

Après la Seconde Guerre mondiale, ce type de céramique revêtait une importance économique considérable pour la poterie Kohler et assurait une grande partie de son chiffre d’affaires. C’est pourquoi les Kohler ont réagi lorsqu’en 1984, avec la participation du céramiste Heinz Gerber (né en 1933), une nouvelle poterie a été créée dans la Maison du potier Herrmann à Langnau, qui produisait principalement dans le style « Vieux-Langnau » et s’affichait dans la presse comme étant le « sauveur de l’art local de la poterie et pionnière dans ce domaine de la fabrication de céramique », après avoir tenté de débaucher l’un des fils Kohler pour en faire son directeur technique (Ruesch 1984, 78).

Deux assiettes signées provenant du Chüechlihus, Musée régional de Langnau rappellent fortement, par leur décor, des pièces réalisées à partir de 1984 dans la Maison du potier Herrmann. La signature « O. Kohler » ne peut donc désigner que Oswald Kohler, fils (Junior) (1914-2003).

En 1983, les formes suivantes ont été décorées avec le motif « Vieux-Langnau » : chope à cidre, tabatière avec couvercle, boîte à saucisses avec anses et couvercle, cruche, pot à lait, théière, crémier, soupière, saladier, coupe à anse, plat à pâté, plat à légumes, pot à crème, récipient à fruits couvert avec fretel, petit bol pour le « Birchermuesli – mélange de flocons de céréales, généralement de flocons d’avoine, de graines et de fruits secs très répandu en Suisse alémanique, région d’où il est originaire », bol à soupe, bol avec ou sans oreille, boîte à fromage, boîte à confiseries avec anse et couvercle, bol à crème, pot à miel avec couvercle, gobelets, tasses, grande tasse à café avec soucoupe, tasse à moka, assiette creuse (à soupe) avec ou sans bord, assiette (pour le plat principal – en allemand Fleischteller – littéralement – assiette à viande), assiette à dessert, petite coupe à apéro (pour les amandes, olives, chips, etc.), assiettes à dessert, assiettes murales, plat à rösti (diamètre 18, 21, 27 cm), plats à gâteaux, plats à cake, beurrier.

La mention Handb. K.Sch.i.E. se lit Handbemalt – peint à la main ; Kohler. Schüpbach im Emmental.

Afin de faire face à la concurrence de la porcelaine, outre le motif Vieux-Langnau, des services en faïence décorés au pinceau ont même été fabriqués pendant une période limitée, entre 1940 et 1960 environ

Bien entendu, la poterie Kohler a également fabriqué, à la demande de leurs clients, des plats  armoriés ou des céramiques commémoratives pour des manifestations sportives, des fêtes de tir, ou tout autre événement de ce type. Ces céramiques pouvaient être réalisées avec différents types d’engobes de fond et de décors. Pour les plats dénommés « gris noir », l’engobe de fond brun noir était recouvert d’un engobe gris, appliqué simultanément ou pulvérisé ultérieurement. Ce décor a été utilisé jusqu’en l’an 2000 environ.

Fort de son expérience comme compagnon potier à Steffisbourg, village voisin de Heimberg, Oswald Kohler fils a également repris la fabrication de vaisselle à glaçure blanche, bleue, rouge et brune, produite à partir des années 1940 et jusqu’en 1980 environ. Influencés par la céramique de Heimberg, les céramiques à fond noir-brun ou rouge, décorées au barolet, étaient initialement fabriqués à l’unité, mais dans les années 1980, des services complets ont également été achetés par les clients.

Céramiques appelées « Güggelbrun – dialecte bernois : brun-poulet ».

Céramiques « noir et blanc », vers 1955-1970.

Ces céramiques ont été baptisées « Güggelbrun – brun-poulet » ou « Plattenrot – assiette rouge » d’après un modèle dessiné par Oswald Kohler, fils représentant un coq dans l’atelier. Vers 1983, cette variante décorative a été utilisée pour décorer au pinceau les formes de vaisselle suivantes : pichets à lait (de ¼ à 2 litres), cafetière, crémier, théière, tasse avec soucoupe, plat à saucisses, soupière, saladier, sucrier, assiette creuse, assiette, assiette à dessert, plat à rösti (18, 21, 24, 27 cm de diamètre), plat à gâteau, plat à cake, beurrier.

Céramique « assiette rouge ».

Dans les années 1950, la poterie Kohler a créé une autre variante décorative qui a été appelée « Klinkerware – couleur brique ». Pour celle-ci, la préparation de l’argile nécessitait un tamisage très fin. La surface extérieur des céramiques était recouverte d’un engobe fritté (l’engobe fritté, en allemand « Sinterengobe », est un engobe enrichie en fondants qui permet d’obtenir une surface dense, lisse et solide sur la terre cuite même sans glaçure) rouge ou brun foncé, appliqué à l’aide d’un pistolet pulvérisateur, tandis que l’intérieur du récipient était glaçuré. Le décor était ensuite gravé, de sorte que la couleur plus claire de l’argile sous l’engobe fritté plus foncé formait le décor. Cette technique décorative a notamment été utilisée pour fabriquer des vases et des suspensions pour les fleurs.

Une autre céramique, appelée « Lättbrun  (dialecte bernois – Lätt = Lehm – argile en allemand)  brun argile », ne comportait pas d’engobe de fond et n’était généralement décorée que d’un motif très simple réalisé au barolet avec de gros points blancs en forme de gouttes sous la glaçure. L’engobe à peindre à base d’une couleur faite d’argile était appelée « Lättfarbe – couleur argile » dans l’entreprise. En 1983, cette variante décorative était utilisée pour fabriquer les types de récipients suivants : pots à lait (de ¼ à 4 litres), pots à crème, tasses et soucoupes, assiettes à dessert, assiettes, assiettes creuses, beurrier, assiettes murales et plats à rösti. Il existait également des pots à lait et des passoires, simplement décorés de bandes horizontales blanches. Les bols pour les pâtes alimentaires (type spaghettis), plus ventrus, étaient recouverts à l’intérieur d’une couche d’engobe blanc et décorés d’un trait noir sur le bord.

Au cours des dernières années de l’atelier, alors dirigé par Ueli Kohler, un nouveau décor, appelé « Jubilé » a vu le jour (à partir de 1994).

Par ailleurs, à partir de l’an 2000 environ, l’atelier produisait le motif baptisé « Fleurs » (ci-dessus, bleu sur fond blanc) et le motif « Marguerittes » (ci-dessous, sur fond vert clair).

Depuis l’époque de Niklaus Kohler (Schnellmann 1949, 266), de petites figurines d’animaux destinées à servir de jouets pour les enfants ont été régulièrement produites à partir de moules en plâtre composés de deux parties. La fabrication, laborieuse, dont Ueli Kohler se souvient encore très bien, était un travail typique et traditionnel pour les enfants de potiers qui souhaitaient arrondir leur argent de poche.

Malheureusement, ces figurines n’ont pas été signées, ce qui rend difficile la distinction entre celles de la poterie Kohler et celles des autres fabricants de la région de Heimberg et celles de la poterie Röthlisberger à  Langnau. Un grand nombre de moules en plâtre, tant originaux qu’utilisés lors de la production, existent encore aujourd’hui dans l’atelier, de sorte que des animaux et des militaires (dragons) identiques ont encore pu être fabriqués jusqu’en 2023.

Activité commerciale (vente)

Jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, la vente des produits s’effectuait principalement par l’intermédiaire d’intermédiaires et de colporteurs (souvent avec des produits de deuxième choix) et, dans une moindre mesure, dans la petite boutique de l’entreprise. Les colporteurs se rendaient chez les clients à pied ou à vélo. En ce qui concernent les marchandises commandées, elles étaient généralement expédiées par chemin de fer. À partir de 1950, Franz Kohler rendait visite aux clients avec une voiture appartenant à l’entreprise. Jusqu’en 1982, les articles de deuxième choix étaient également vendus à la foire de Blapbach, petit hameau près de Trubschachen, à une dizaine de km au sud-est de Schüpbach, dont les alpages sont des lieux d’excursion réputés,  afin de les proposer au grand public à l’aide d’une « Zwirbele » (une sorte de roue de la fortune). Dans les années 1980, le magasin de l’entreprise avait gagné en notoriété, mais il existait encore quelques importants revendeurs des céramiques de la poterie Kohler. Au cours de ces années-là, la clientèle comprenait également des associations qui commandaient des assiettes murales, des chopes, des tasses, etc. comme trophées distribués lors de compétitions sportives ou en signe de reconnaissance à leurs fidèles membres. Des particuliers et des entreprises passaient également des commandes régulières pour des cadeaux de mariage ou d’anniversaire.

Activité secondaire

Niklaus et Oswald Kohler et leurs familles vivaient en autarcie sur un petit lopin de terre (pâturage pour les vaches et champ de pommes de terre) et cultivaient un potager. Ils possédaient généralement une ou deux vaches, quelques cochons et des chèvres. Dans leur magasin, ils vendaient également de la verrerie et de la vaisselle achetée ailleurs (comme de la porcelaine de chez Rössler à Ersigen dans l’Emmental bernois). La préparation de l’argile et sa revente pouvaient également être considérées comme une activité accessoire de l’exploitation..

Film (en allemand) sur la poterie d’Ueli Kohler

 

Remarque (avril 2025) : Ueli Kohler peut encore aujourd’hui fabriquer et livrer tous les types de céramiques de la poterie Kohler sur commande (Eggiwilstrasse 11, 3535 Schüpbach, canton de Berne, Tel : 00 41 34 497 12 08). Son frère Eduard fabrique dans son atelier des poteries en grès qui peuvent être achetées sur place ou commandées (Eggiwilstrasse 15, 3535 Schüpbach, canton de Berne, 00 41 34 497 21 67).

Traduction Pierre-Yves Tribolet

Bibliographie:

Heege/Kistler 2017
Andreas Heege/Andreas Kistler, Keramik aus Langnau. Zur Geschichte der bedeutendsten Landhafnerei im Kanton Bern (Schriften des Bernischen Historischen Museums 13), Bern 2017.

Rohrbach 1999
Lewis Bunker Rohrbach, Men of Bern: The 1798 Bürgerverzeichnisse of Canton Bern, Switzerland, Rockport 1999.

Ruesch 1984
Fanny Ruesch, Töpferei Kohler, Eggiwilstrasse, 3535 Schüpbach i.E. – Ethnologisches Seminar der Universität Basel, Ethnographische Feldarbeit: Berner Töpferei 15. August – 2. September 1983, Basel 1984.

Schnellmann 1949
Paul Werner Schnellmann, Besuch in einer ländlichen Töpferei, in: Der Hochwächter. Blätter für heimatliche Art und Kunst 5, 1949, 254-266.